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La Boue de Saint-Pierre, de Ralpanie Mwana Kongo

Par Liss
Pélagie n'a pas eu une enfance heureuse. Comment l'aurait-elle pu puisque sa mère ne lui a pas prodigué l'amour qui aurait pu être comme un rempart contre toutes les vâcheries de la vie ? Cette mère, Mâ Monique, qui aurait dû la protéger de son père, l'a traitée en rivale, comme si une petite fille pouvait grandir en nourrissant le désir de devenir la femme de son père. Pélagie a subi les viols de son père sans que personne ne vole à son secours, excepté son frère, Gaspard, qui sera bien sûr traité de menteur lorsqu'il ouvrira sa bouche d'enfant pour dénoncer ce qu'il savait, ce que tout le monde savait. Face à une mère tyrannique et un père immonde, le jeune garçon quitte le domicile familial et va se construire ailleurs où, à force de volonté, de courage, de travail, de patience, il parvient à se faire une situation confortable au point de devenir, plus tard, son propre patron.     Quant à Pélagie, elle tombe enceinte de son père deux fois de suite et donne naissance à François et à Dimenga. La vie étant décidément insupportable chez elle, elle est récupérée par Brice, qui au départ voulait simplement prendre du bon temps avec elle, mais devient finalement son compagnon. Une fille, Léonide, concrétise cette union, mais ce n'est pas le début d'une vie nouvelle, plus paisible, pour Pélagie. Son Brice est irresponsable, n'est pas capable de garder un emploi qui a pourtant été généreusement trouvé par son beau-frère, se ruine dans l'alcool et le jeu et c'est encore Pélagie qui doit faire des pieds et des mains pour qu'ils conservent leur logement, pour quils aient quelque chose à se mettre sous la dent. A défaut d'amour, Brice ne lui témoigne même pas la reconnaissance qu'elle mérite.
Bref pour tous, c'est comme s'il n'y avait rien de bon, de bien en elle. Elle est regardée comme la boue qui caractérise le lieu où elle a grandi : Saint-Pierre, une boue qui jette son anathème sur ce quartier et qui, en plus d'être la cause de l'insalubrité générale, provoque aussi tant d'accidents de la route. Cette boue, dont il est fait plusieurs fois mention dans le roman, est le symbole des malheurs qui accablent une population livrée à elle-même, alors qu'un tout petit effort de la part des hommes politiques suffirait à produire des résultats spectaculaires.   Un habitant de Saint-Pierre se lamente à juste titre : "Nous vivons toujours dans la boue, mangeons et dormons dans la boue. Nos pieds sont noirs de boue. Pendant ce temps, le maire vit dans une ruelle bien goudronnée, rote et pète dans sa villa trois étages." (La Boue de Saint Pierre, page 41)   Tanu, ce pays qui pourrait être le Congo ou un autre pays de l'Afrique subsaharienne,  n'est pas pauvre, mais les habitants vivent dans la misère, leur niveau de vie pourrait être largement amélioré, si seulement ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir pensaient à faire bon usage des deniers publics. On a tout ce qu'il faut pour vivre bien, mais on ne prend pas les bonnes décisions. Ce qui se passe à l'échelle de la nation est à l'image de ce qu'on observe dans le microcosme familial : on ne profite pas de ce qu'on a, on néglige la valeur de ce que l'on possède, croyant que l'air est plus doux, l'herbe plus verte ailleurs. Comme la chèvre de Monsieur Seguin, Louisa, l'épouse de Gaspard, ne se satisfait pas de la vie qu'elle mène avec son mari. Celui-ci n'a pourtant d'yeux que pour elle, il rentre sagement à la maison après son travail, qu'il ne fait prospérer que pour lui en faire profiter. Cependant Louisa se languit, alors même qu'une Pélagie aurait été tellement heureuse à sa place ! Comme Madame Bovary, elle prend un amant qui, à ses yeux, n'a rien de comparable avec son médiocre mari. Elle vit enfin des instants palpitants, à l'image de ses rêves, avant de se réveiller dans une réalité cauchemardesque.   Ce roman m'a fait penser à L'Hôte indésirable de Doris Kelanou, ou à cet autre de Donatien Baka, Ne brûlez pas les sorciers, dans leur manière de peindre la société moderne africaine, pour ne pas dire congolaise. Ralphanie Mwana Kongo a visiblement voulu lever le voile sur des sujets qui sont tus : la pédophilie, l'inceste sont plus fréquents qu'il n'y paraît en Afrique, les mères ne sont pas toutes aussi attentionnées qu'on l'aurait espéré : Louisa ne s'occupe pas de ses jumeaux trisomiques, Mâ Monique continue à aimer et à soutenir un mari qui a abusé de sa fille. L'image de l'homme est également dégradée. Heureusement, le roman se termine sur une image positive, celle de quelqu'un qui essaie de réparer les erreurs du passé, qui revient vers celle qui l'a aimé pauvre, alors que, ayant désormais une situation enviable, il lui suffirait de brandir un billet de banque pour avoir de nombreuses femmes à ses pieds.   J'aurais préféré que le narrateur manifeste un peu plus de discrétion, en effet il laisse trop transparaître son point de vue, au lieu de laisser le lecteur formuler le jugement qui s'impose, par exemple lorsqu'il qualifie de "niaiseries" les lectures de Louisa : "Louisa avait lu des romans à l'eau de rose, s'était abreuvée de mille et une histoires où une belle tombait amoureuse du prince charmant. Ces niaiseries avaient bercé son âme." (page 46) Ou bien, page 96 : "Il lui raconta des mensonges gros comme la lune, des baratins vieux comme le monde."   Je trouve également dommage que Pélagie, qui se présente au départ comme l'héroïne du roman, soit finalement éclipsée par la suite, au profit du couple Louisa-Gaspard, si bien qu'on aurait du mal à déterminer lequel des personnages est le personnage principal, ce pourrait bien être aussi Firmin, ce domestique témoin des frasques de sa maîtresse.     Enfance, amitié, couple, Politique et fétichisme, relations parents-enfants, Ralphanie Mwana Kongo aborde plusieurs sujets dans ce premier roman.   Ralphanie Mwana Kongo, La Boue de Saint-Pierre, L'Harmattan, Paris, 2012, 160 pages, 16.50 €.    

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