"La méditation, c'est rester assis les yeux fermés" : stéréotype. Dépassé ? Oh que non ! Encore et toujours, quelques irréductibles résistent, défenseurs d'on-ne-sait-quoi. Pour la majorité des gens, même curieux de spiritualité, la méditation est un exercice d'introversion qui consiste à bloquer les sens, à se couper du monde, de la vie. Selon le lieu commun véhiculé depuis Schopenhauer et Hegel, la mystique "orientale" en particulier est un "culte du néant". Une fuite. Un suicide à petit feu. Un symptôme de la haine de soi, c'est-à-dire de la rancœur vis-à-vis du corps, de la vie. Un symptôme psychotique. De là, la religion, l’ascèse et la moraline qui dénigrent le réel au nom des arrières-mondes.
Voyez cet article de Shyam Dodge :
"Le déchaînement de rage contre la renaissance dont témoigne le Bouddha mythique (ou textuel) fût accomplie les yeux clos, concentration tournée vers l'intérieur, le monde exclu de sa rêverie. Le yogin, escaladant l'escalier intérieur (à sept marches) vers l'illumination, réalise ce voyage avec un regard intérieur".
"The fury of rebirth for the mythical (or textual) Buddha was realized with the eyes closed, concentration turned inward, the world shut out from his reverie. The yogin, climbing the inner stairway (seven steps) to enlightenment, enacts this journey with an internal gaze".
Tout l'article
Il est vrai qu'une importante partie de la tradition yogique et mystique propose une introversion au terme d'une introspection. La théologie mystique, par exemple, parle de méditer sur nos péchés, puis de fermer les yeux pour que s'ouvre l'oeil du coeur mystique, lumière incréée de la fine pointe de l'âme, du "je" en contact avec la déité. Hadewij dit ainsi :
"Quoi que vos sens perçoivent, maintenez votre intérieur dans l'unité,pour pénible qu'il vous soit de vous sentir ainsi disputée par deux êtres." (Nouveaux poèmes, p. 171)
Il y a là assurément un arrachement et une fermeture. Une acceptation et un rejet.En Inde, le cliché est encore plus fort. Le yogin est classiquement décrit comme "tendu par l'effort", les yeux fermés ou révulsés vers le haut, la langue appuyée contre le palais, les membres repliés dans la position compacte "du lotus", les sens "rétractés comme les pattes d'une tortue effrayée". Il est vrai aussi que l'auteur de cet article, Shyam Dodge, affirme être un ancien apprenti-gourou dans une tradition néohindoue qui correspondait de façon caricaturale à ces images d'Epinales. Même les adeptes de vipassana ferment les yeux, le plus souvent. Autre exemple : je viens de lire un article sur une lignée de yogis adeptes du Sâmkhya. Ils sont cloîtrés dans une grotte artificielle au Jharkhand. Le gourou actuel est emmuré depuis vingt-cinq ans. Il communique seulement par une petite fenêtre. Etc. etc. Les images de la contemplation et de la méditation (mystique ou philosophique) sont des images de replis, de contraction, d'aveuglement volontaire. De peur, donc ?
Ce serait être aveugle... aux images du Bouddha. Les yeux mi-clos... ou mis-ouvert ? Résolument ouverts, dirais-je. Et l'on pourrais convoquer des centaines de "Bouddhas textuels" pour l'établir en toute certitude. Les yeux sont précieux, l'oeil est LA porte. Voyez les enseignements les plus ésotériques du dzogchen. Les instructions, répétées en des dizaines de manuels aujourd'hui traduits en anglais, sont claires : fermer les yeux, se couper du monde, c'est se couper de l'éveil, de notre vraie nature. Les yeux sont "les portes de la sagesse". Or, les yeux sont simplement le paradigme des sens.
Vers ici ? Vers quoi ? Vous voyez quelque chose, vous ?
Rester les yeux ouverts, naturellement, noyés dans l'espace, en perpétuelle dilatation (vikasvatî citih). Mais sans fixation, sans point de référence. Aveugle ? Non ! Au contraire chers lecteurs ! Faites-en dès à présent l'expérience. Laissez le champs de votre attention visuelle s'étendre, se relaxer jusqu'aux "bords" du paysage, et au-delà, sans artifice. Ce paysage n'est-il pas à présent plus limpide ? Ses couleurs, plus vives ? Et cette ouverture sans limite, espace d’accueil impartial et bienveillant à la fois, est-elle "dedans" ou "dehors" ?L'attention est-elle focalisée ou panoramique ? Forcée ou naturelle ? N'est-elle pas infuse, diffuse, fraîche et comme "décrochée" de toute dualité ? En même temps, y a-t-il un obstacle aux choses, aux mouvements ? N'avez-vous pas l'impression, au contraire, que tous flotte librement, comme en apesanteur, comme des ronds dans l'eau, comme des volutes de fumée ? Plus personne ne voit. Et pourtant, tout est là, plus présent que jamais, vif et précis, alerte et dispos. C'est la vie en HD/3D/4G qui ne connaîtra jamais l’obsolescence. L'écran n'est pas éteint. En un sens, il vient de s'allumer.
Imaginez-vous dans une forêts de pins. C'est l’hiver. L'air est glacial et vif. Pas un nuage. Le ciel est bleu azur et sa lumière, rasante, semble tout traverser. Vous vous arrêtez. Le silence vous prend. Tout bouillonne. Votre sang dans les tempes, dans les mains, dans tous les membres. Les pulsations du cœur se manifestent jusque dans votre champs visuel, sous la forme de schémas géométriques qui apparaissent et disparaissent en cadence. Le silence n'a jamais été aussi intense, prenant. Quelle paix ! Et pourtant, il n'y a plus aucune barrière entre l'intérieur et l’extérieur. Je suis le silence du bruit, ou le bruit du silence. On ne sait plus. Quelle énergie ! A couper le souffle. A couper tout. Et pourtant, tout bat, tout va, tout pulse. Comme un de ces ballons gonflés à l'hélium (c'est peut-être ça "l'initiation à l'hélium" ?) Ah...
C'est cela, la méditation. Shyam, regarde le ciel, ouvre la bouche, laisse venir, laisse être, laisse partir, vague de lumière dans la lumière. Et, alors, reconsidère la question.
Attitude de peur-sans-peur, émerveillement-sans-chakras-ni-auras :
Les yeux dans le grand bleu omniface-sarvatomukha Introversion ? Non !Y a quelqu'un ?Posture du repos dans l'absence d'espritAi-je l'air introverti ?Coupé du monde ?De quel côté me tourner ?Vide à l'intérieur, plein à l'extérieur Hé bé !Bhairava-bouddhiste, Fraîcheur Indestructible