L’insomniaque horloge bâilla péniblement, rêvant un jour de s’arrêter. Effleurée par la fuite de l’ombre, elle fit tressaillir un noctambule que le silence empêchait de dormir. Pressé d’être au diapason, le noctambule bouscula un hibou renfrogné auquel on sabotait quotidiennement le coucher. Son aile muette dispersa les dernières voiles du vaisseau nocturne et la lune, dépouillée du scapulaire moucheté qu’elle affectionnait, en voulut au soleil qui la rendit scarieuse comme une corolle de Perce-neige éblouie.
Saisissant l’opportunité d’un tel spectacle, le noctambule qui se trouvait être un poète trempa cérémonieusement le croissant de la lune dans son café au lait, l’aube naissante.
(Extrait de Demi-songes, 1979, épuisé.)
Vignette : Petit déjeuner avec croissant de Gabriel Guy.
Ce texte intitulé Petite scène dans son édition première, datant de 1977 ou 1978, a été publié dans mon premier recueil de poèmes, Demi-songes, sorti en 1979. Le fond est aussi léger que la forme alourdie d’adverbes mais il fut écrit voici trente-cinq ans ! À moins de vingt ans, je n'avais pas encore été présenté au peintre Gabriel Guy que je connaissais pourtant de nom. Bien plus tard, dans son atelier, j'eus plusieurs fois l'occasion de m'arrêter devant un de ses tableaux, le petit déjeuner avec croissant que je ne résiste pas au plaisir de faire cohabiter avec ce texte de jeunesse, en souvenir des moments amicaux passés avec Gabriel Guy qui vient de nous quitter. (J'ai aussi un goût prononcé « alimentairement incorrect » pour les croissants et autres viennoiseries, surtout les croissants !)