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La guerre civile qu’a connue le Congo Brazzaville, en 1997, a pratiqué une telle saignée au cœur des Congolais, elle a fait couler tant de sang que les plumes se sont dressées, pour dire la tragédie. Romanciers, nouvellistes, poètes, dramaturges, essayistes, tous ont ressenti le besoin de s’exprimer sur cet événement qui marque un tournant dans l’histoire du pays. Il y eut aussi une guerre en 1993, il y en eut une autre en 1998, mais celle de 1997 fut à ce point meurtrière, elle fournit tant d’exemples au chapitre des horreurs que l’on peut comprendre la promptitude des écrivains à se tourner vers leur arme favorite : la plume. Le poids de l’encre n’égalera jamais celui du sang versé, mais au moins il rendra témoignage de ce sang et pourra peut-être noyer l’envie de recommencer ! Léopold Congo Mbemba écrivit les poèmes qui composent Le Tombeau transparent pendant les événements mêmes. « Ecrits alors que nous menions campagne de sensibilisation sur la guerre, ces textes n’étaient gouvernés par aucun projet de publication. Ils s’écrivaient de ce que nous apprenions et ressentions sur le lieu des manifestations », déclare-t-il dans la préface à la deuxième édition du recueil, « ils valaient notre contribution de poète contre la guerre ; nous luttions à voix nues. » Ce recueil est donc la contribution de Congo-Mbemba, sa manière de lutter en faisant entendre sa voix de poète, une voix nue qui donne à entendre la vérité dans toute sa nudité.
J’ai été saisie par la beauté et la singularité de cette voix qui me parvient aujourd’hui, alors que le poète n’est plus. Il nous a quittés le samedi 16 février 2013, à 53 ans, mais il est toujours possible de l’entendre, de l’écouter, de dialoguer avec lui en prenant l’un de ses recueils. C’est ce que j’ai fait, en me penchant sur Le Tombeau transparent.
Ce recueil comporte deux parties. Une première, intitulée « L’impuissance », où le poète fait le constat des atrocités qui ont été commises. Il nous invite à regarder « là-bas, au fond des yeux ». Ce vers, « là-bas, au fond des yeux », est repris comme un leitmotiv dans tous les poèmes de cette première partie. Il s’agit des yeux de ceux qui ne sont plus, le mot « homme » est d’ailleurs remplacé par celui de « ombre » pour les désigner. Cette première partie est dominée par le champ lexical de la mort et de la désolation. La récurrence des termes « mort », « sang », « douleur », « larmes »… témoignent de l’importance de la tragédie et forment comme une chape à travers laquelle le poète peine à trouver la lumière.
On comprend son désespoir, on comprend son abattement, lorsque des mains « brisent la prière de vie » (page 29), lorsqu’ « il tombe une pluie saveur de larmes/et couleur de sang » (page 39), lorsque la seule expression du pouvoir, c’est de « servir le plus de vies/aux tables de la mort » (page 31). Congo Mbemba dit la mort mais aussi la cruauté. Les hommes en armes n’ont épargné ni les vieillards, ni les enfants, ni même les fœtus, et ils se sont particulièrement acharnés sur les hommes. Congo Mbemba dit l’exode, il dit le pillage, il dit le manque de sépulture, il dit, avec quels accents, le viol :
« (…) il est des guerriers là-bas, Là-bas au fond des yeux,
Qui d’ardentes prières à d’étranges dieux
Demandent à trouver du pétrole
Jusque sous les jupes des filles.
Les nubiles n’auront plus à offrir La terre de vierge et indélébile sang
Dans laquelle se plante l’unique homme
Que femme n’oublie jamais en sa vie
Le voile glacé des noces de viol Couvrira nos femmes
De l’étreinte épouvantable
Des bras de la guerre » (page 41)
Face à toutes ces barbaries engendrées par la guerre civile, le poète ne peut que se sentir impuissant, d’où le titre de cette première partie, et il ne se montre pas du tout tendre envers les hommes politiques, de quelque bord qu’ils soient : ce sont eux qui ont plongé le pays dans cette barbarie ! Ils ne sont pas dignes d’être appelés des dirigeants :
« Ce ne sont que des imposteurs Ceux qui à la tête des hommes
Sont incapables de magie à faire surgir
De la nuit de la terre
Des rainures de lumière
A tisser les nids de la vie. » (page 27)
Qu’on ne lui reproche surtout pas d’avoir déploré tels morts plutôt que tels autres. On sait que l’appartenance régionale était au cœur de cette guerre, mais « ce sont les hommes qui nous importent, non le nord ni le sud », clame-t-il dans sa préface.
Si Léopold Congo Mbemba est conscient que ses mots ne peuvent guérir les plaies ouvertes par la guerre, ce n’est pas pour autant qu’il ne faille rien faire, rien espérer. A « L’impuissance » succède « La foi ». Le poète espère donner à ces ‘‘sans sépulture’’ une tombe, à travers son livre, un lieu de recueillement :
« Je serai dans cette vie L’urne humaine, l’asile de votre disparition…
Je suis… le tombeau transparent. » (page 61)
Il veut les faire revivre à travers ses mots. Cette partie du recueil est irriguée par le champ lexical de la parole : « voix », « appel », « parole », « dire », « gorge », « langue », « bouche », « écho »… ces termes reviennent avec insistance au détours des vers, car le poète veut se garder de l’oubli :
« Je ne ferai pas de mes cheveux Le nid de l’oubli »
Ce sont ces deux vers-là qui sont scandés dans cette partie. Et Léopold Congo Mbemba nous invite à faire comme lui : n’ensevelissons pas ceux qui sont partis dans la tombe méprisante de l’oubli, il faut les en sortir !
« extraire de la mort comme des oxydes
de la terre l’or,
le métal humain ;
et de la matière du silence,
la parole.
Bâtir de la rouille des joies défuntes
les nids de feu
dont la couvée à éclore
sera
la résurrection
de nos noms. » (page 77)
Et vous, allez-vous oublier Léopold Congo Mbemba ? Ferez-vous de vos cheveux, le nid de l’oubli ?
Léopold Congo Mbemba, Le Tombeau Transparent, L’Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 2002, 102 pages, première édition 1998.
Œuvres de Léopold Congo Mbemba
Chez L’Harmattan : - Déjà le sol est semé, 1997
- Le Tombeau transparent, 1998
- Le Chant de Sama N’Déye, suivi de La Silhouette de l’éclair, 1999
Chez Présence Africaine : - Ténors-Mémoires, 2003
- Magies, 2012