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❛Opéra❜ Gaetano Donizetti, La Favorite enfin en version originale française, au Théâtre des Champs-Élysées • Service minimum scénique... mais grand luxe musical.

Publié le 24 février 2013 par Appoggiature @App0gg1ature

❛Opéra❜ Gaetano Donizetti, La Favorite enfin en version originale française, au Théâtre des Champs-Élysées • Service minimum scénique... mais grand luxe musical.

Marc Laho, Alice Coote et Ludovic Tézier - © V. Pontet, Théâtre des Champs-Élysées

S'agit-il d'un chef d'œuvre ? Sans doute pas, mais l'amateur d'opéra n'écoute-t-il (et ne voit-il) que des chefs d'œuvres ?
S'agit-il d'un excellent livret ? Oh que non, mais l'amateur d'opéra n'écoute-t-il (et ne voit-il) que des pièces à la dramaturgie raffinée, tels que Der Rosenkavalier ?
S'agit-il - à défaut - d'un texte littéraire ? Grand Dieu, non plus - et il s'en faut ! Mais l'amateur d'opéra n'écoute-t-il (et ne voit-il), en français ou dans d'autres langues, que des drames dignes d'un Hoffmannsthal ?
❛Opéra❜ Gaetano Donizetti, La Favorite enfin en version originale française, au Théâtre des Champs-Élysées • Service minimum scénique... mais grand luxe musical.
S'agit-il , au moins,  d'une bonne synthèse scénographie/décors/costumes ? Pas très excitante, au vrai ! Plutôt nue (illustrations ci-dessus et dessous), guère imaginative. Non point "nulle", en tout cas, à condition de savoir pardonner le statisme récurrent des personnages, et l'assez grotesque "danse des canards" du chœur à flonflons (photo immédiatement ci-dessous) (1). Mais... l'amateur d'opéra ne voit-il œuvrer sur les plateaux que des génies de la mise en scène ?
Deviendrions-nous adepte de la méthode Coué ? Avouons que ce spectacle comporte nombre de raisons de ne pas désespérer. Pourquoi nier que nous ressortons de cette Favorite du Théâtre des Champ-Élysées excité comme une puce, touché en plein cœur, littéralement imbibé de musique ? Une Favorite enfin redonnée dans sa langue française originale, celle du Grand Opéra de 1840, tiré d'une intrigue médiévale et ibérique d'exactement cinq cents ans antérieure.

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La scène du bal - © V. Pontet, Théâtre des Champs-Élysées

Tout simplement aux anges (2), parce les individualités réunies pour l'occasion sont remarquables, si ce n'est exceptionnelles. Quel quatuor (voire sextuor) vocal, pas seulement fait de personnalités - mais de synergie,  de parfait esprit de troupe... et - osons le mot - de communion.

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Une version originale française

Ludovic Tézier est un Alphonse XI non seulement royal, mais carrément... impérial. Sonore, dense, coloré, souple ! Stature (physique et vocale) d'airain, il revendique en Donizetti (ici encore, si italianisant, cinq ans après Lucia di Lammermoor) ce quelque chose qui le fait hériter d'un Bruson, l'un des plus grands barytons à avoir honoré le Bergamasque. Quel dommage que la cabalette de son unique air n'ait pas été doublée ; à cette infime réserve près, voilà de la part du Français une véritable démonstration.
Alice Coote, jusqu'ici plutôt rompue au bel canto baroque, est ici une révélation. Entravée semble-t-il, au long des représentations précédentes, par une vilaine affection respiratoire, elle trouve la force, en ce 17 février, de n'en presque rien laisser paraître. Le personnage déchiré (et déchirant) de Leonor, écrit pour la "légendaire" Rosina Stolz, arbore une tessiture littéralement effrayante, que fait particulièrement ressortir l'une des seules grandes scènes véritablement passées à la postérité - et aux récitals : L'ai-je bien entendu - Ô mon Fernand - Mon arrêt descend du Ciel (Acte III).
Occasion pour la Britannique de faire valoir un velouté plutôt homogène, sans déplaisant hiatus de passage. Le bas et le medium sont ronds, puissants, très sensuels ; l'aigu paraît plus mince, mais est offert avec toute l'agilité et le l'acéré requis. L'investissement émotionnel, quant à lui, est considérable.
Balthazar, le père supérieur du monastère de Compostelle, est un prototype pré-verdien : sorte de Padre Guardiano mâtiné de Grand Inquisiteur. Net, sans esbroufe, en vraie basse noble, Carlo Colombara régale d'une composition à laquelle ne pourrait être reprochée (très à la marge) qu'un léger manque de mordant, surtout dans les velléités d'excommunication de l'ecclésiastique à l'égard du roi... où devraient donc souffler - avec plus d'un quart de siècle d'avance - les frissons apocalyptiques du conflit des  deux basses, trône et autel, de Don Carlos.

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Gaetano Donizetti (1797-1848)

À louanger, que ce soit pour Colombara comme pour l'autre non francophone Coote, une diction française tout à fait remarquable (à peine une pointe d'accent). Cela étant, que personne n'attende des librettistes Royer et Vaëz autre chose que des poncifs et autres chevilles aujourd'hui terriblement vieillis.
Le très bon ténor belge Marc Laho remplace Celso Albelo initialement prévu - avec tant de finesse technique et de grâce (comme dit le nom même de son emploi) ! À l'épreuve d'une partie éreintante destinée à une autre légende, Gilbert Duprez, voici un matériau de luxe, mi-Beuron mi-Alagna : technique accomplie, aigus enivrants, nuances et demi-teintes dispensées sans avarice. Un miel sonore à peine édulcoré par une pointe très pardonnable de fatigue à l'acte IV.

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Les créateurs Stolz & Duprez, gravure contemporaine

En effet, cet acte repose presque tout entier sur les épaules des jeunes amants (les velléités contradictoires de Fernand y dépassant, d'ailleurs, toute vraisemblance). Depuis le magnifique chœur d'entrée jusqu'à la fin, puissante, sans fioriture aucune, il n'est pas une de ses mesures qui ne se meuve dans les hauteurs ; ceci n'est peut-être pas suffisamment souligné.
Raffinement extrême, les petits rôles de Don Gaspar et Inès échoient à de personnes de qualité, en les personnes de Loïc Félix et Judith Gauthier. C'est assez dire l'investissement qualitatif.
Enfin, dernière raison d'être ravi, l'osmose. Derrière cette belle escouade de gosiers, Gaetano Donizetti sait désormais se faire orchestrateur (3), en  plus de vocaliste. Il a de bonnes raisons de s'échiner à la tâche : épater Paris, alors capitale musicale de l'Europe, sur son terrain propre du Grand Opéra, c'était la porte ouverte sur la gloire (4).
À ce jeu de la flamboyance, Paolo Arrivabeni, l'Orchestre National de France et les deux Chœurs (Radio France & Champs-Élysées) s'avèrent simplement exceptionnels. Les cavatines demeurent comme elles doivent être, épurées, sans jamais devenir mièvres. Dans un style plus nerveux, la conduite des cabalettes et des strettes, des finales à épate ; le délié stupéfiant de vents sollicités sans répit, la qualité de soutien aux chanteurs en un équilibre scène/fosse de tous les instants : tout cela n'appelle que des éloges, tant se déroule sous nos oreilles (en dépit de curieuses pauses silencieuses ?) une authentique fête belcantiste.

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L'équipe au complet pour les saluts - © Jacques Duffourg

Car ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : bien sûr, nous l'avons dit, c'est du Grand Opéra à la Française, avec ballet, scènes de genre à effet "bœuf". Mais les lignes mélodiques !? Fioritures au goût trop ultramontain expurgées, voilà qui sent sa Lucia, voire sa Stuarda ou son Devereux (si peu antérieurs) à plein nez. Qui s'en plaindrait ?
Franchement : à défaut de déflagration théâtrale puissance 100 de la lignée d'une Médée (lire notre chronique - également opéra et DVD 2012 d'Appoggiature, voire notre rétrospective et notre portfolio), comment ne pas remercier les équipes impliquées de nous avoir, d'entrer de plain-pied dans cette utopie vitale qu'on nomme l'opéra. La chose n'est pas si fréquente.
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(1) Probablement le moment du ballet, un incontournable du Grand Opéra à la Française, quoiqu'absent de cette production (vu les circonstances, c'est sand doute préférable).
(2) Le cas de le dire : la version initiale de La Favorite, écartée en 1839 pour cause de censure, s'appelait... L'Ange de Nisida.
(3) Point hautement révélateur de la qualité du travail : il existe une réduction voix/piano de La Favorite signée de... Richard Wagner !
(4) Les Martyrs sont chronologiquement antérieurs : 10 avril 1840, au lieu de 2 décembre pour cette Favorite. Pour autant, le premier ouvrage n'était pas une création au sens propre, puisqu'il reprenait, en l'aménageant à la française, le Poliuto de 1838... dont la censure napolitaine n'avait pas voulu.
 À réécouter sur France Musique... seulement jusqu'au 2 mars !  Pour consulter le site du Théâtre des Champs Élysées
 Jacques Duffourg
  Paris, Théâtre des Champs Élysées, 17/02/2013 : La Favorite (1840).
Grand Opéra de Gaetano Donizetti, donné en langue originale française. Mise en scène de Valérie Nègre.

Marc Laho, Ludovic Tézier, Alice Coote, Carlo Colombara, Loïc Félix, Judith Gauthier ‣ Orchestre National de France, Chœurs de Radio France & des Champs Élysées - direction : Paolo Arrivabeni.

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