Zero Dark Thirty (Kathryn Bigelow)

Retraçant « l’après 11 septembre », la traque des membres d’Al-Quaïda, et ce jusqu’à l’arrestation de Ben Laden, Zero Dark Thirty, nous emmène dans une reconstitution documentée des faits.

Très bien amené, le film nous fait traverser différentes phases, en rendant l’attente interminable de l’enquête, les moments de désespoir et de découragement, ou les instants insoutenables de torture.

C’est d’ailleurs ainsi que commence le film. A l’encontre de tout ce que la vision américaine a pu montrer ou assumer, nous voyons ici la torture d’un prisonnier, membre d’Al-Quaïda, par un agent de la CIA chevronné. Choqués, nous subissons aussi la scène, tout comme Maya l’agent nouvellement débarqué sur le camp, posant en nous-mêmes la question de cette pratique. Brillamment tenue par Jessica Chastaing, Maya est celle qui va mener l’enquête, pendant près de 5 ans, jusqu’à l’arrestation de Ben-Laden.

Elle semble d’abord étrangère aux pratiques de ses collègues, même si elle est qualifiée de « tueuse » par ces derniers. Mais elle apprend rapidement, et met en application les pratiques de son collègue, qu’elle observe. Avec opiniâtreté, elle va mener son enquête, explorant les pistes et les différentes hypothèses, passant de pays en pays, pour interroger les éventuels témoins. Nous la suivons notamment sur les sites d’Afghanistan, ou du Pakistan. Nous éprouvons toute la dureté de la situation, en supportant la violence des actes, des interrogatoires et des rencontres. Nous vivons la difficulté à comprendre les réactions d’autrui, quand on ressent qu’on est étranger à un pays, à une façon de penser, en oubliant certaines précautions qu’on est habitué à prendre.

Ce qui ressort surtout c’est la solitude intense l’héroïne (qui se traduit dans 3 scènes qui ont particulièrement retenu mon attention). Une solitude dans ses convictions, et dans son enquête, pour laquelle elle suivra une piste dont elle seule est convaincue. Nous l’accompagnons dans ses moments de doutes, de regain de motivation, de tâtonnements. Elle passe de témoins en témoin, compulse les vidéos, traque un nom. Cet homme semble être un fantôme, il se dérobe et a « disparu » comme il est dit par un témoin. Elle-même se change en ombre, elle cherche à se cacher affublée de postiches pour dissimuler sa véritable identité, jusqu’à disparaitre dans cette scène courte et intense, sous son long voile noir, qu’elle retire en arrivant chez elle, débouchant seule sa canette qu’elle avale goulument.
Autour d’elle, le vide se crée aussi. Les rares relations qu’elle développe avec ses collègues sont exacerbées, et l’on mesure avec elle lorsque son amie, une autre agent lui demande si elle a des amis, qu’elle n’en a finalement aucun.
Jusqu’à ce que progressivement elle puisse entrevoir une lueur. Une mince piste qui aboutit à la scène finale. L’assaut est une opération millimétrée, menée peut être un peu trop proprement pour être vraiment réaliste, mais qui tient en haleine jusqu’au bout. Filmée presque comme si nous étions dans un jeu vidéo, nous sommes en immersion totale.

Maya donne les directives de loin, jusqu’à cette scène puissante où après avoir suivi des yeux l’hélicoptère qui ramène les hommes de la mission, elle traverse leur camp où ils sont occupés à faire l’inventaire ordonné des pièces récupérées sur place. Elle n’attire pas les regards en marchant droit vers le corps qu’elle brûle d’identifier, pour mettre fin à tout cela. Poignante une nouvelle fois à cet instant, Jessica Chastaing confère à son personnage, autant de détermination que de vulnérabilité. Fébrile elle donne son verdict, avant de repartir seule dans un avion privatisé juste pour elle, sans pouvoir partager la nouvelle.

Le film lui rend hommage brillamment, sans nous ennuyer une seconde.

A voir :
Zero Dark Thirty, un film américain de Kathryn Bigelow (2h29)