Nos jeunes sont dans la rue. Qui ne perçoit l’aspect ambigu et complexe de leurs manifestations ? Car en fin de compte, n’est-ce pas contre eux-mêmes qu’ils se soulèvent ? N’est-ce pas leur manque d’ardeur qui décourage la profession et rend chaque réforme insupportable et cruelle ? C’est parce qu’ils sont impossibles, qu’elles semblent invivables… Et ce sont nos élèves qui nous le disent !
Il est difficile de ne pas sentir les contradictions et l’ironie de la situation : des élèves qui soutiennent des professeurs épuisés par eux. Des enseignants qui se battent avec ceux qui le plus souvent réchignent, résistent et luttent contre eux. Alliance sociale éphémère sur fond de guerre scolaire continuelle.
Qui pourtant peut les blâmer ? Quel adulte, quel travailleur ne connaît au fond les mêmes oppositions ? D’un côté la conscience professionnelle, de l’autre la peine à travailler. Tantôt le sens du devoir, tantôt la révolte face à la contrainte et l’appétit de liberté. Y a-t-il un citoyen modèle ? Un individu qui ne serait tour à tour partie de la société, puis homme naturel et privé ?
Nous sommes tous un peu doubles, déchirés et hésitants, incertains et flottants. Tel est le malheur de l’homme civilisé qui ne sait surmonter cette dualité entre sa vocation publique et ses penchants privés. Telle est aussi notre société qui nous pousse en tout sens et nous entraîne sur des voies contraires : valorisation constante du travail et appel parallèle et acharné aux loisirs… Comment ne pas être perdu et divisé ?
La paix des mentalités devra en passer par une lente réforme des mœurs : espoir d’une réconciliation entre des impulsions qui ne pourra venir que de l’éducation. Il nous faut apprendre à vivre, écrivait Rousseau, c’est-à-dire surmonter l’état naturel et aimer l’ordre civil : tel est le vrai métier auquel l’éducation doit nous préparer.