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[Critique] MARGARET de Kenneth Lonergan (2012)

Par Celine_diane
[Critique] MARGARET de Kenneth Lonergan (2012)
Margaret est un film maudit. Tourné en 2005, empêtré dans des tourmentes procédurales, sorti dans une seule salle parisienne (en version française qui plus est), tiraillé entre plusieurs versions DVD. Pourtant, c’est un chef d’œuvre, né d’un combat acharné mené par Kenneth Lonergan, le réalisateur de Tu peux compter sur moi. Le point de départ est un tragique accident de bus dans lequel une inconnue perd la vie. Lisa (Anna Paquin) et le chauffeur (Mark Ruffalo) ont chacun leur part de responsabilité dans le drame. La suite est une douloureuse prise de conscience de l’adolescente sur les réalités de la culpabilité, du monde adulte, des conséquences de ses actes, du monde malade qui l’entoure. Et ce n’est pas un hasard si le film se déroule dans un New-York post 9/11, encore hanté par une violence sourde, violence qui jaillit des débats entre les lycéens d’une classe, ou encore entre protagonistes au restaurant. Margaret, dont le titre est emprunté à un poème de Gerard Manley Hopkins sur le chagrin et le deuil, prend la forme d’un opéra élégiaque, traversé d’éclairs de génies et d’une mélancolie poisseuse. La version en salles (celle que l’on a vue) dure 2H30 (contre les 3H30 voulues originellement par Lonergan) et elle est passionnante. On y sent les ratures, la puissance des détails, la complexité des émotions en jeux. D’une lenteur qui caresse l’exactitude documentaire, l’œuvre fascinante de Lonergan décortique une héroïne foudroyée par le passage à l’âge adulte, balancée dans un réel innommable régi par l’argent, le sexe et le pouvoir. Sa quête désespérée de rédemption, qui se frappe la tête contre des murs infranchissables, offre une vision inédite de la fin de l’innocence. 
Car Margaret est, avant tout, un film gigantesque sur la perte des illusions, étrangement hors du temps et paradoxalement ultra contemporain. L’imagerie seventies (le film, tiens tiens, est d’ailleurs produit par Sydney Pollack et Anthony Minghella) côtoie les immensités des buildings new-yorkais que se plaît à filmer Lonergan dans des apartés aériens, sortes de plages de réflexions urbaines aux horreurs en cours. La vie semble alors n'être qu'une immense scène de théâtre où chacun se recouvre d’un masque social, tant la mère de Lisa (comédienne) que ses professeurs (Matt Damon, Matthew Broderick), où chacun subit un rôle prédéterminé (Jean Reno, résumable et réduit par tous à ses origines et à sa simple fonction d'homme qui courtise). Ils gravitent tous autour du personnage principal, incapable de comprendre ses déchirures, tous acteurs de son drame personnel. L’un lui prendra ce qui lui reste d’innocence et de virginité (Kieran Culkin), l’autre lui crachera au visage ses vérités d’adulte (Jeannie Berlin, la meilleure amie de la femme morte). A la fin, Lisa n’a alors plus d’autre choix que de lâcher les armes. Dans ce monde, il n’y a ni justice ni coupable, rien que des faits et des larmes. “Now no matter, child, the name: Sorrow's springs are the same”, écrit Manley Hopkins
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