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Simon Lagunas : La liberté guidait ses pas

Publié le 27 février 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune
Simon Lagunas (à gauche) aux côtés du Colonel Rol-Tanguy, dirigeant de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale

Simon Lagunas (à gauche) aux côtés du Colonel Rol-Tanguy, dirigeant de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale

Il y aura bientôt 20 ans disparaissait Simon Lagunas. Aubagnais d’adoption né à Marseille en 1912, militant communiste, volontaire en Espagne dans les rangs républicains, résistant, déporté et militant pour la Paix,  sa vie entière est une leçon de courage et son message demeure d’une vibrante actualité

Lorsque j’emprunte l’avenue Simon-Lagunas qui surplombe le stade De-Lattre, il m’arrive de penser à cet homme disparu en 1993 dont le souvenir conservé précieusement par celles et ceux encore vivants qui l’ont côtoyé s’est étiolé au fil du temps pour n’être plus qu’une simple plaque commémorative. Juste à côté, au lycée Joliot-Curie où j’étais scolarisé à l’époque, un professeur de mathématiques dont je ne me souviens plus le nom nous avait longuement entretenu à propos de la nécessité de conserver en mémoire les traces du passé. Des tags antisémites et néo-nazis avaient été découvert dans l’enceinte de l’établissement et avaient créé un vif émoi parmi les enseignants. Notre professeur nous avait expliqué alors qu’il était vitale pour ne pas réitérer les erreurs du passé de connaître notre histoire. Pour nous faire comprendre l’importance de cela il avait je me souviens utiliser cette image nous conseillant d’avancer sur le chemin de la vie tout en conservant éclairée une petite lanterne accrochée au dos. Avec son association des déportés, Simon Lagunas avait participé à un de ces nombreux colloques dans les lycées et collèges d’Aubagne et de Marseille sur la Résistance et la Déportation et établi le dialogue avec quelques 2000 étudiants. Il avait constaté, disait-il, l’intérêt de la jeunesse pour les questions concernant le passé de la nation alors que tout était mis en œuvre, disait-il, pour falsifier l’Histoire et tenter de couper les jeunes de leurs racines nationales. Il ne cachait pas sa fierté de voir une grande partie de la jeunesse fermement décidée à préserver son avenir. Une volonté qui s’était illustrée en 1986 dans l’impressionnante mobilisation des étudiants et lycéens contre un projet de loi qui prévoyait le rétablissement de la sélection entre bacheliers et une hausse des droits d’inscriptions dans les universités (1). Une volonté qui s’était affichée aussi un an plus tôt à Aubagne dans un immense rassemblement de jeunes en contre-feu à la montée du Front National et de ses incendiaires (2). Les motifs de satisfaction ne manquaient pas alors pour cet ancien résistant qui avait combattu durant toute une vie pour défendre les valeurs de justice sociale et les libertés et consacré les dernières années de sa vie à militer pour la Paix et le désarmement nucléaire.

En janvier  1985, près de 2000 jeunes rassemblés au Charrel contre le racisme et la montée du Front National

En janvier 1985, près de 2000 jeunes rassemblés au Charrel contre le racisme et la montée du Front National

« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent »

Je n’eus pas la chance de rencontrer Simon Lagunas au cours de l’un des ces colloques dans les lycées et collèges de la région. Nos chemins se croisèrent plus tard. J’animais avec une poignée de copains un fanzine qui était alors tout à fait dans l’air du temps de ces « résistances ». A grands coups de chroniques rock’n’roll, de poésie et de manifestes contre l’austérité déjà et la répression policière, nous ramions à contre-courant d’une pensée unique qui imposait sa vision d’un ordre mondial inébranlable. Simon Lagunas avait accepté de s’exprimer dans notre vilain petit canard et m’avait confié quelques photos précieuses qui auraient leur place dans les manuels d’Histoire. Comme ce cliché pris en 1940 où on l’aperçoit avec ses camarades taper le carton quelques heures avant leur départ pour le front de Sedan. Simon Lagunas m’expliqua les raisons qui l’amenèrent en 1934 à adhérer au Parti Communiste : « J’avais 18 ans en 1930. Le monde capitaliste était en proie à une grave crise économique. Pendant des mois, chaque matin de 7h à midi, j’ai effectué à pieds le trajet de Saint-Loup au centre-ville à Marseille en prospectant toutes les entreprises à la recherche d’un emploi. Partout c’était la même réponse : pas d’embauche. Je suis devenu militant communiste pour le droit au travail, le droit à la vie, le droit à la Culture, le droit au bonheur. Je suis devenu militant communiste en découvrant toutes les injustices inhérentes à la nature du capitalisme dont la plus importante est l’exploitation du travail humain ».

Il évoqua aussi son engagement de 1936 à 1938 en tant qu’officier des Brigades internationales dont les volontaires combattirent en Espagne les troupes fascistes du général Franco. Mobilisé en 1939 sur le front de Sedan, il obtient la Croix de Guerre. En 1940, arrêté par « mesure préventive » (3) et interné, il parvint à s’évader lors d’un transfert de camp et rejoignit la Résistance en Lozère. Capitaine dans les Francs Tireurs et Partisans Français, il fut à nouveau arrêté au cours d’une mission par la Gestapo, torturé puis déporté au camp de Buchenwald en Allemagne. Là encore, c’est le courage et l’espoir qui guidèrent son action : Simon fut commandant de la compagnie de choc qui participa à l’insurrection et à la libération du camp avant l’arrivée des armées alliées.

Simon me confia qu’il était encore en proie à un terrible cauchemar qui agitait parfois ses nuits, un souvenir que j’avais fait à ce moment-là le choix de ne pas évoquer dans l’interview publié. S’en était-il confié à beaucoup d’autres, je l’ignorai. Dans ce cauchemar, Simon courrait avec ses camarades d’internement en direction de leurs geôliers pour les désarmer et prendre possession du camp. Dans cette course éperdue pour survivre, n’entendant que le sifflement des balles, il apercevait confusément des compagnons d’infortune tombés à terre fauchés par la mort…

 « Ce sont les Hommes et les peuples qui font l’Histoire et aujourd’hui, plus que jamais, leur intervention est nécessaire »

Un héros Simon Lagunas ? L’homme réfutait ce terme. Sur les champs de bataille, il n’y a que des victimes dont le souvenir est un nom gravé sur les monuments aux morts. J’avais rencontré Simon Lagunas et l’avait écouté comme on se repaît des paroles pleines d’enseignements d’un vieux guerrier, d’un ancien et d’un sage. J’avais tout à apprendre d’un homme, alors âgé de 75 ans, qui avait consacré son existence à défendre celle des autres et dont ni la volonté ni la faculté à s’indigner ne s’étaient asséchées avec le temps. A l’aune des combats menés dans les années 80 par cette génération qualifiée trop rapidement et trop sévèrement de « génération bof », il fondait beaucoup d’espoir dans la jeunesse. Ses mots me reviennent avec une extraordinaire actualité : « Le plein emploi, le niveau de vie décent, la formation de qualité, la protection sociale, l’avenir de notre jeunesse : tout cela est incompatible avec la survie du système capitaliste en France comme ailleurs. Le système a besoin du tiers-monde affamé et d’une planète surarmée, de millions de chômeurs, de soupes populaires et de restaurants du cœur. Il accumule les milliards de profits et les scandales de toutes sortes. Lorsqu’on apprend qu’en un seul jour de crise boursière s’est volatilisé l’équivalent de toutes les dettes du tiers-monde, on ne peut manquer de s’interroger sur les ressorts profonds qui actionnent cette société. La contradiction fondamentale s’accentue toujours plus entre, d’une part la logique du profit et, d’autre part, la satisfaction des besoins des Hommes. La crise économique n’est pas fatale. On peut en sortir avec d’autres critères de gestion et de décisions. Mais cette transformation ne se fera pas seule. Ce sont les Hommes et les peuples qui font l’Histoire et aujourd’hui, plus que jamais, leur intervention est nécessaire ».

Au moment où j’écris ces dernières lignes, j’apprends la disparition d’un autre grand homme : Stéphane Hessel s’est éteint à l’âge de 95 ans. Stéphane Hessel fut l’auteur, chacun le sait, du livre « Indignez-vous » qui s’est écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires. Cet ancien résistant et déporté, devenu diplomate, est notamment connu pour ses prises de position concernant les droits de l’homme, le droit d’asile et l’accueil des migrants. « Il avait semé les graines de la noble indignation qui avaient germées dans des millions d’esprit », écrit Kaddour Haddadi dans un hommage publié sur les réseaux sociaux. Le chanteur du groupe HK & Les Saltimbanks l’avait rencontré et lui avait consacré une chanson dans son album « Les temps modernes ». « En ce triste jour de d’hiver, écrit-il encore, nos rêves, nos révoltes, nos espoirs et nos utopies fleurissent déjà, pour saluer comme il se doit, le grand Monsieur qui s’en va… tutoyer les étoiles.

Comme Simon Lagunas, la vie de Stéphane Hessel a été de bout en bout une vie d’engagement et de combat infaillibles pour les droits de l’homme et l’émancipation du genre humain. Il aurait probablement aussi fait siens les mots du grand Victor Hugo qui écrivait : Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. Et ajouter avec Simon : Et cette lutte inclut l’amour.

Thierry GIL

(1) Les manifestations provoquées par ce projet avaient rassemblé jusqu’à un million d’étudiants et furent réprimées violemment. Le 4 décembre, la Sorbonne fut occupée. Un manifestant eut la main arrachée en ramassant une grenade. Le lendemain, la police fit évacuer la Sorbonne et un étudiant, Malik Oussekine décéda sous les coups de policiers. Jacques Chirac fut contraint de renoncer à sa réforme et le ministre Alain Devaquet fut obligé de démissionner.

(2) Créé à Aubagne, l’association Vivre Ensemble et Unis a rassemblé en janvier 1985 quelque 2000 jeunes à la halle des sports du Charrel pour dire non au racisme.

(3) Le 26 septembre 1939, le président du Conseil, le radical Daladier (on dirait aujourd’hui le Premier ministre), signe un décret-loi prononçant la dissolution du Parti Communiste qui se trouve en premier lieu parmi les opposants au régime de Vichy. Les députés de ce parti sont déchus de leur mandat en 1939, et beaucoup sont internés, toujours traqués par la police française. Vichy continue d’appliquer le décret Daladier et pourchasse les éléments communistes qui manifestent leur activité sous une forme clandestine.


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