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A moins de vivre sur une île déserte, d'être sourd ou malentendant ou d'avoir migré avant l'heure en terres stellaires, vous avez forcément entendu parler de Sixto Diaz Rodriguez. En effet un film où l'intéressé tient son propre rôle lui a été consacré en 2012, et l'homme a depuis quitté cette lose persistante qui comme pour nombre de ses semblables folkeux semblait le poursuivre invariablement depuis des décennies.
L'artiste a enregistré deux Olympia archi bourrés à son nom, tout un chacun rend hommage à son savoir-faire dont le monde, c'est égal, a failli être privé ; un nouvel et 3ème album est d'ores et déjà annoncé.
A l'arrivée, les bras nous en tombent ! Car on est ici en présence d'un chanteur/auteur/compositeur digne de figurer au Panthéon du genre ; un de ces artistes maudits dont l'intelligentsia ne s'était plus entichée depuis .....Nick Drake, pas moins ! A cette différence appréciable que Rodriguez est vivant lui, et qu'il aura eu le temps de tirer les marrons du feu, pérennisant son oeuvre et vivant en temps réels les hommages dus à son rang et à son incommensurable talent.
On parle d'un type au timbre de voix exceptionnellement juste, mi sardonique, mi chevrotant, d'un auteur aussi brillant que Dylan ou Fred Neil, dont il semble a posteriori comme l'idéal pendant chicano, d'un compositeur inouï (là, mettez tous les génies du siècle passé qui vous viennent à l'esprit et dont nous relatons souvent les exploits ici), d'un arrangeur stupéfiant - il faut écouter ces techniques de studio beatlesiennes utilisées sur "Sugar Man"- bref d'un artiste indispensable.
Les pamphlets abondent : "Inner Ciry Blues", "This is Not a Song, this is an Outburst", "Rich Folks Hoax" (sublime titre) , la satire sociale se veut vindicative (le furieux et saturé "Only Good for Conversation) ; la gent féminine des classes aisées en prend pour son grade ("Like Janis" avec la meilleure phrase de Cold Fact : and don't try to enchant me with your manner of dress /'Cos a monkey in silk is a monkey no less.
Tandis que "Sugar Man" qui ouvre le disque et donne son titre au film-révélation est une ode au camé attendant le dealer.
Floué par son pays d'origine où il est si difficile d'être prophète, ainsi que par un promoteur véreux ne jugeant pas utile de lui dire qu'il avait vendu des disques par camions en Afrique du Sud, Rodriguez avait poursuivi un itinéraire de protest singer très engagé dans l'hémisphère sud, avant de raccrocher les crampons. Et peut-être bien que tel l'héritier d'un Woody Guthrie, si sa guitare n'avait pas permis de tuer des fascistes, elle avait peut-être contribué à sa façon à la fin de l'Apartheid.
Il était donc juste révoltant qu'un artiste aussi essentiel ne fasse une fois de plus parler de lui qu'une fois disparu.
Un an après Cold Fact, Rodriguez sortirait encore un chef d'oeuvre, Coming from Reality (71), dans l'indifférence générale ; mais il était écrit que pour une fois l'histoire serait belle et que le génie serait reconnu à temps.
Qu'importe finalement si le 3ème album venait tel ceux de Bill Fay ou Nick Garrie, autres revenants, à nous laisser sur notre faim ; l'essentiel n'a-t-il pas déjà été écrit ?
En bref : un très grand disque d'un égal de Dylan ou d'un Fred Neil ; des mélodies et des textes à tomber et à faire tomber toutes les inconséquences. Interprétées, chantées et arrangées par un orfèvre ; j'en jette encore ?
le site
"Sugar Man"
"Only Good for Conversation"