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“Möbius” d’Eric Rochant

Publié le 27 février 2013 par Boustoune

Il y a vingt ans, Eric Rochant signa Les Patriotes, son troisième long-métrage. Un film d’espionnage français ambitieux, avec une approche du genre volontairement intimiste et réaliste, et un casting culoté faisant confiance à de jeunes acteurs peu connus (mais qui ont fait du chemin depuis…) – Yvan Attal, Sandrine Kiberlain, Emmanuelle Devos – et de seconds couteaux français et américains – Nancy Allen, Richard Masur, Bernard Le Coq, Jean-François Stévenin.
Artistiquement, ce fut une réussite, saluée comme elle se devait par la critique. Commercialement, ce fut un échec, qui poussa Eric Rochant, pourtant reconnu comme l’un des talents les plus prometteurs de la “Nouvelle Nouvelle Vague”, à se lancer dans des productions plus “commerciales”, sur le papier du moins, qi ont finalement nui à sa carrière.

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Après une période de silence forcé, suite au bide (mérité) de Total western et une remise en forme télévisuelle (les deux premières saisons de Mafiosa), le cinéaste retente le pari du film d’espionnage intimiste avec Möbius. Mais cette fois, il s’est entouré d’une distribution plus solide, avec Jean Dujardin et Cécile de France dans les rôles principaux, plus Tim Roth et Emilie Dequenne en soutien. De quoi garantir un succès populaire? Pas sûr, car ce long-métrage, autant le dire tout de suite, tranche quand même sérieusement avec les films d’espionnages proposés régulièrement par le cinéma hollywoodien contemporain. Ne vous attendez pas à un film d’action truffé de courses-poursuites trépidante, d’explosions spectaculaires et de gadgets Jamesbondiens. La référence pour l’élaboration de ce film est bien à chercher dans le cinéma hollywoodien, mais dans celui des années 1940. Plus précisément en 1946, année de sortie des Enchaînés, d’Alfred Hitchcock.

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Oui, Möbius est bien un hommage au cinéma hitchcockien, et à ce film-là en particulier. Comme dans Les Enchaînés, l’histoire d’amour entre les personnages principaux prend le pas sur le thriller d’espionnage,  
On suit la mission d’infiltration menée par le FSB – une des branches des services secrets russes, chargée de la sécurité nationale – pour faire chuter Ivan Rostovsky (Tim Roth), un richissime homme d’affaires russe basé à Monaco, soupçonné de blanchiment d’argent et potentiellement nuisible au pouvoir en place. Gregory Lioubov (Jean Dujardin), le bras droit du nouveau chef du FSB, est chargé de l’opération. Par l’intermédiaire de Sandra (Emilie Dequenne), il convainc Alice Redmond (Cécile de France), une experte en finances et en transactions boursières employée par Rostovsky, de lui fournir les éléments permettant de prouver les magouilles de son patron.
La jeune femme, accepte, en échange de la possibilité de retourner travailler aux Etats-Unis, dont elle a été bannie suite à sa responsabilité dans le crash de la banque Lehman Brothers. Mais rapidement, elle devient incontrôlable et prend même de gros risques en se rapprochant très près de Rostovsky. Lioubov se demande – à juste titre – si Alice ne joue pas un double jeu. Mettant de côté les règles de prudence élémentaires du manuel du parfait espion, il décide d’aller sur le terrain, pour évaluer lui-même la fiabilité de la jeune femme, pour la “renifler” comme on dit dans le jargon de l’espionnage. Mais à renifler d’un peu trop près le parfum d’une femme, il y a de quoi perdre la tête…
Ce qui (ne) devait (pas) arriver arrive : Gregory et Alice tombent amoureux l’un de l’autre. Cette liaison met en péril la réussite de la mission et la sécurité des intervenants…

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C’est cela qui est intéressant dans ce film, dans cette approche du sujet. Les personnages ne sont pas des héros invulnérables mais des êtres de chair et de sang, imparfaits, faillibles, capables de perdre pied par amour. La passion s’invite dans le jeu de dupes orchestré par les espions et vient tout chambouler, à commencer par le centre de gravité du récit – et du suspense – qui passe de la périlleuse mission d’infiltration à la relation amoureuse, tout aussi incertaine et dangereuse…
Cette liaison va-t-elle résister à cet environnement particulier, fait de faux semblants et de manipulations? Comment construire un avenir à partir d’une relation construite sur le mensonge? Car Alice ignore que son amant est l’officier à la tête de l’opération à laquelle elle participe, et Gregory ne sait pas que la jeune femme est aussi en mission pour la CIA, qui observe leur petit manège à distance…
Et enfin, la vie des personnages ne risque-t-elle pas d’être mise en danger à cause de cette romance inattendue?
Gregory ne peut se permettre un échec. Sa hiérarchie ne le tolèrerait pas. Et elle désapprouverait totalement ces coucheries qui pourraient perturber la bonne marche des opérations. Il doit veiller à rencontrer Alice en cachette.
Elle aussi doit garder le secret autour de sa relation avec Gregory. Et ce n’est pas simple quand on est surveillée de près par l’homme de main de Rostovsky (Aleksei Gorbunov), un type pas commode qui est doué pour flairer les coups fourrés et les trahisons.

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Certains seront sûrement décontenancés par le glissement du récit du thriller vers le film d’amour, et reprocheront au film son manque de rythme, son manque d’action, ses rebondissements assez prévisibles.
Mais force est de constater qu’Eric Rochant a réussi son pari. Certes, il serait fou de comparer Möbius aux Enchaînés, mais il en respecte l’esprit à la lettre, constituant l’un des films d’espionnage les plus sensuels que l’on ait vu depuis des lustres. Il célèbre aussi Alfred Hitchcock, en reprenant quelques-uns des trucs les plus fameux du “magicien du suspense”, en jouant sur la profondeur de champ, sur la mise en valeur des objets-clés… Et Rochant se paie même le luxe d’une scène d’affrontement et de meurtre digne de celle du Rideau déchiré
En plus du cinéma hitchcockien, le réalisateur rend hommage à l’une de ses séries préférées, “Sur écoute”, en centrant la narration sur des surveillances et des écoutes, et en lui empruntant l’acteur Wendell Pierce, dans un petit rôle.

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Un mot, d’ailleurs, sur les acteurs. Cécile De France et Jean Dujardin forment un couple très crédible et sont touchants dans la peau de ces amants maudits, condamnés d’office de par leurs talents professionnels, axés sur la manipulation et le mensonge, qui leur interdit l’accès à une vie “normale”.
Le cinéaste a aussi confié à Tim Roth le rôle du businessman russe. Bonne idée, car, même si le personnage est plutôt inspiré par Boris Berezovski et Mikhail Khodorkovski, l’acteur anglais présente une certaine ressemblance physique avec un autre oligarque russe, Roman Abramovitch.
Aleksei Gorbunov, lui, a une bonne tête patibulaire en accord avec son personnage de tueur impitoyable.
Quant à Emilie Dequenne, elle est ici sous-employée mais assure le métier sans problème face à sa compatriote Cécile De France…

Grâce à ce casting de qualité, sa mise en scène élégante et ses choix de narration audacieux, Möbius est armé pour séduire plus d’un spectateur. On souhaite donc au film d’Eric Rochant de connaître meilleur sort que Les Patriotes, ne serait-ce que pour éviter que son auteur retombe dans les bas-fonds de la production cinématographique française. On attend de lui des films de ce calibre à chaque fois…

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Möbius
Möbius 

Réalisateur : Eric Rochant 
Avec : Jean Dujardin, Cécile De France, Tim Roth, Emilie Dequenne, Aleksei Gorbunov, Wendell Pierce
Origine : France
Genre : film d’espionnage enchaîné à une romance 
Durée : 1h43
Date de sortie France : 27/02/2013
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : Libération

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