Un adolescent marche le long d’une route déserte, le pas lourd et lent. Scrutant le sol du haut de sa démarche raide, il s’immobilise soudain devant la dépouille d’un chat et l’emmène dans sa cabane à l’orée des bois. Là, sous le regard effrayé de quelques camarades de classe rencontrés en chemin, il plonge l’animal dans un bocal rempli d’acide, qu’il range ensuite dans sa collection de cadavres en décomposition. L’esprit de Jeffrey Dahmer est clairement dérangé, mais personne ne s’en soucie vraiment pour l’instant…
Contrairement à ce que laisse suggérer le titre de cet album, Jeffrey Dahmer n’avait pas de véritables amis, mais tout au plus quelques ados qu’il a côtoyé à l’école. Derf Backderf, l’auteur de cet ouvrage, est l’un d’eux. Originaire de Richfield, petite ville de l’Ohio située non loin de Cleveland, il fera la connaissance de Jeffrey au moment où il entre au collège en 1972. Six ans plus tard, à peine deux mois après la fin de leur année de terminale, Dahmer commettra son premier crime… un meurtre qui sera suivi de seize autres, perpétrés entre 1987 et 1991. Surnommé “le cannibale de Milwaukee”, il sera arrêté en 1991, puis condamné à 957 ans de prison, où il finira assassiné par un codétenu en 1994.
Après le film avec Jeremy Renner, consacré à celui qui fut l’un des pires serial killers de l’histoire des États-Unis, ce comics de veine indépendante s’attaque à la jeunesse de ce tueur en série, à travers les yeux d’un homme qui l’a connu durant ses années de scolarité au début des seventies. Basé sur des souvenirs personnels et sur une véritable enquête journalistique auprès d’anciens élèves, professeurs, famille ou voisins, s’appuyant sur les dossiers du FBI, cette bande dessinée tente d’expliquer comment ce jeune collégien au comportement étrange a pu devenir un tel monstre.
Journaliste de formation, Backderf décrit la personnalité décalée de ce garçon timide et solitaire, qui imite des crises d’épilepsie comme nul autre, au point d’en faire son image de marque auprès de copains de classe qui préfèrent visiblement en rire. Derrière cette allure de mascotte se cache néanmoins un gamin refoulant son homosexualité, submergé par des pulsions morbides et délaissé par des parents trop occupés à se disputer. Au fil des pages, le lecteur assiste impuissant à la descente aux enfers de ce personnage qui a clairement besoin d’aide, mais qui, dans l’indifférence générale de son entourage, s’enfonce progressivement dans une folie irréversible.
Cette genèse d’un futur meurtrier isolé dans son mal-être s’avère finalement aussi passionnante que dérangeante. Accompagné d’un dessin noir et blanc qui évoque le style underground de Robert Crumb, cette tragédie abandonne le lecteur avec un intense sentiment de gâchis vis-à-vis de ce jeune homme incompris, négligé et s’abandonnant lentement à ses démons… une métamorphose qui aurait peut-être pu être évitée !
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