Magazine Culture
Après le 104 l'an dernier c'est le Carrousel du Louvre qui accueille ce week-end le Festival du Livre Culinaire avec ses conférences, ses démonstrations culinaires et les stands de maisons d'édition venues du monde entier.
Ce fut, encore une fois l'occasion de rencontrer de belles personnalités, de gouter quelques très bons produits et de faire de nouvelles découvertes.
J'ai mis de l'ordre dans mes notes et décidé de placer en premier un ouvrage consacré exclusivement à la viande pour réhabiliter ce produit si controversé en ce moment.
Morceaux choisis est publié par First éditions. Il est vendu sous jaquette imitant le papier des bouchers, et pour cause car il est écrit par Hugo Desnoyer, célèbre boucher opérant près de Denfert-Rochereau, dans le XIV° arrondissement que j'aime beaucoup parce que j'y ai habité une dizaine d'années.
Fournisseur de l'Élysée et de nombreuses tables réputées, ce mayennais d'origine (comme mon père) ne choisit que le meilleur, au risque de ne pouvoir satisfaire toute la demande. Il est installé au 45 rue Boulard, à côté de la mairie et de la place Jacques-Demy, tout près du fief d'Agnès Varda de la rue Daguerre.
Le livre présente le plat photographié sur la page de droite avec la recette sur celle de gauche. Très classique mais très fonctionnellement appréciable. Et surtout, il ajoute à chaque fois la petite histoire de la viande.
Agneau, boeuf, porc, veau qu'il décline autour des plats très connus comme le hachis parmentier, sauf qu'il le fait avec des panais (p.52). Il sait aussi innover comme avec un veau vapeur de basilic sauce au yaourt (p.232).
Si vous lisez régulièrement le blog vous savez que le hamburger est le plat fétiche réclamé par mes enfants. Je leur ai promis de faire cette version associant une confiture de figues à la viande (p.100)... en attendant de déguster celle du maitre puisque je crois savoir qu'il va bientôt ouvrir une table d'hôtes.
L'éditeur publie des auteurs fidèles, dans la série des Toquades, comme Thomas Feller, Julie Schwob (j'avais apprécié Madeleine, ma petite reine) et Fréderic Berqué, lequel m'a inspiré de belles recettes, comme cet effiloché de lieu jaune.
Isabelle Guerre est auteure parfois, comme avec Que faire avec le riz, parfois styliste comme avec Mes p'tites confitures de Bernard Le Gulvout (photographies Julie Méchali), avec une originale confiture de pommes de terre (p. 76).
J'ai découvert aussi un très joli ouvrage consacré à la cuisine arabe et qui a été repéré comme un des plus beaux livres de recettes dans sa catégorie. Les Délices des mille et une nuits – Recettes: Kamal Mouzawak, Illustrations: Anne-Lise Boutin chez Gründ, se présente dans un étui qui se glisse comme un moucharabieh.Malek Chebel a écrit les textes qui lui donnent un double intérêt culturel et culinaire. je ne pouvais pas passer à coté.Gründ s'est spécialisé dans le beau livre qui s'offre volontiers. Voici la fameuse Pâtisserie des Rêves de Philippe Conticini, un pâtissier dont j'ai si souvent parlé ... que je ne le présente plus.On y trouve tous les grands desserts du maître mais aussi des choses plus simples comme un dessert coulant ou une crème glacée marbrée pralinée.
Wild food publié aux Éditions de l’Épure en octobre 2012 a intégré la compétition internationale dans la catégorie Art de vivre /Développement durable et a reçu le prix international "Best sustainable cookbook". On s'en réjouit pour cette maison d'édition hors normes.Martine Camillieri a fait un travail d'investigation très fouillé. Ses photos sont amusantes. On peut rire du beurkburger de la couverture ou ironiser sur la pâte chocolatée dont on sait qu'elle est composée d'huile de palme. Les dernières pages dénoncent tant de choses à propos de ces nourritures dites féroces qu'on en a des frissons.
Cet éditeur met l'accent sur l'atypique éditorial et graphique. La série Dix façons de préparer ... a été proclamée Meilleure série de livres de cuisine de l’année 2009 pour la France par le jury des Gourmand World Cookbook Awards.
Chaque livret de la collection expose en 24 pages dix façons originales d’agrémenter un même aliment, préalablement présenté dans une courte préface. Le choix des papiers, Ingres à la forme, vergé, velin, stone… la composition typographique, ainsi que la reliure fil de lin en font une édition originale de grande qualité. Véronique Chapacou a écrit le Saint Nectaire qui est épuisé, la menthe et les outils du fromager (plus technique, sans recettes) et un nouvel opus de la série, l'ortie, qui paraitra le 16 mai.
On faisait du papier avec de l'ortie au XVI° siècle. On la cuisine aujourd'hui. Véronique avait préparé un foie gras et des petits gâteaux avec cette herbe qui est une excellente protéine végétale. Riche en fibres, en nutriments et en vitamines, l'ortie se travaille autant en version salée que sucrée. On peut l'employer en poudre dans des bouillons ou des vinaigrettes pour donner l'illusion d'un goût asiatique. On trouve l'ortie sur les marchés en Suisse mais si on veut en consommer dans nos régions il vaut mieux la faire pousser au fond de son jardin comme Véronique.
La meilleure période de récolte commence au printemps et se poursuit jusqu'à ce que le plante monte en graines, en automne. On peut la congeler ou la déshydrater. C'est pour Véronique, totalement naturel de l'employer et elle en a un beau carré au fond de son jardin. Elle nous assure que la plante est cultivable en jardinière ... sur un balcon.
C'est un engrais qui dope les plantations ... sauf que sa préparation est interdite dans notre pays, en tout cas la commercialisation du purin d'ortie.Véronique organise des ateliers dans les établissements scolaires et à la demande des maires pour porter une information sur l'alimentation et le décryptage des étiquettes alimentaires. Elle peut conseiller aussi sur la manière de préparer un gouter équilibré. Son objectif est de faire passer des messages pour que les participants puissent ensuite faire des choix en connaissance de cause.
Elle vit depuis 20 ans en région parisienne mais n'oublie pas ses origines de Haute Pyrénées dont elle apprécie toujours autant une fantastique tome de brebis, le Napoléon de Dominique Bouchait, meilleur ouvrier de France.Le Festival permet de rencontrer des personnalités étonnantes comme Régine Rossi-Lagorce, une gourmande qui donne des conseils en alimentation et qui conçoit des recettes qu'elle présente dans leur contexte culturel. Régine souffre depuis 10 ans d'une maladie qui lui interdit de manger ou même de goûter des aliments mais elle est toujours autant active et très à l'écoute.
Elle a été chef pendant 18 ans, fait des chroniques sur France Bleu Limousin et France Inter, écrit des livres, imagine des recettes avec des produits frais qui proviennent de Corrèze. J'ai gouté plusieurs plats qu'elle avait préparé avec des moutardes Terres Rouges et j'ai succombé, à toutes ... et à deux en particulier, aux châtaignes, et aux truffes. Retenez son conseil pour qu'elles en s'oxydent pas : il faut lisser le dessus avant de remettre le couvercle. (On trouve ces moutardes et aussi la moutarde violette à la Grande Epicerie, chez Coté Maison à Bercy et au Comptoir de la gastronomie rue Montmartre)
Elle m'a expliqué que la gaufrette était le dessert le plus ancien. On a eu l'idée d'en faire à l'Antiquité avec des graines broyées avec du miel et de les cuire sur la sole en argile sèche. Elle dégoulinaient un peu et pour y remédier on a gravé les moules. On trouve des galettes, des soupes et des confitures dans tous les pays du monde.
Rien d'étonnant à ce qu'elle soit particulièrement attachée à ses P'tites folies de soupes, ou de confitures, parus aux éditions Mine de rien. On reconnait son humour dans ses Potins de légumes et recettes, ou encore dans les Potins de desserts ... et recettes encore.
Il y a aussi des libraires présentant des livres anciens comme Gasteria, du nom de la muse de la gastronomie révélée par Brillat Savarin. Installée en suisse l'essentiel de sa clientèle est hors frontières. L'équipe cherche les exemplaires rares dans les brocantes,les ventes aux enchères ... pour satisfaire des collectionneurs et des cuisiniers professionnels.
L'éventail de prix est large, depuis 50€ jusqu'à 2000 ... qui correspond alors à une oeuvre d'art.Plusieurs conférences rythmaient les journées. André Muller a évoqué quelques-unes des 70 recettes d'Alsace qu'il a collationnées au fil de ses tournages pour l'émission A'Gueter qu'il anime sur France 3 depuis 1978 et qu'il vient de publier aux Editions de la Nuée Bleue en partenariat avec France 3 Alsace.
L'auteur a évoqué l'expérience qu'il a faite à bord du Paquebot Queen Elizabeth. Il a bien sûr insisté sur les caractéristiques de la cuisine alsacienne en ponctuant son intervention d'expressions alsaciennes. Hélas la langue est quasi morte parce qu'elle n'est plus transmise par la mère (ou le père) ...
Son livre est primé dans la catégorie Télévision et il mérite une chronique spéciale à paraitre dans quelque temps. Cet ouvrage déborde largement le cadre régional pour faire quelques virées en Allemagne, en Suisse, en Champagne, et même à Paris chez Drouant, où officie Antoine Westermann. Nous avons gouté quelques minutes plus tard la Cocotte de légumes de saison au lard fumé (recette p. 18 du livre) qui a séduit l'assemblée. Les légumes étaient fondants, le lard parfumé et le Sylvaner vieilli qui l'accompagnait avait été choisi avec soin.Le plat nécessite 2 heures 30 de cuisson à 180° mais c'est le four, et la poterie de Soufflenheim qui fait l'essentiel du travail.
Toujours élégant, portant une toque colorée assortie à sa tenue, (il aurait fallu que je lui demande combien il en a ...) André Muller est un hôte parfait qui fait aimer sa région. Il a bien raison d'affirmer que goûter c'est connaitre. Vous pouvez retrouver l’émission ici.
La conférence suivante m'a donné l'occasion de découvrir une autre forte personnalité en la personne de Mocomishi. Le célèbre acteur japonais anime sa propre émission de cuisine, le Moco's Kitchen qui séduit la cible féminine.Il est très grand, séduisant, et affirme qu'il cuisine vite et simplement, capable d'imaginer 2 nouvelles recettes par jour. Il est conscient que le secret de sa popularité en tant que cuisinier provient du fait qu'il était célèbre auparavant. Il ne donne aucune recette ... pour inciter à acheter le livre, ce qu'il qualifie de démarche "very clever" (très intelligente).
Il n'affiche aucune préférence. Qu'elle soit thaïe, italienne, chinoise ... I love eating food nous dit-il en souriant. Il utilise l'huile d'olive qui n'est pas très populaire au Japon et adore les avocats, eux aussi peu courants dans ce pays.Nous aurions adoré profiter de sa première visite à Paris pour gouter un de ses plats mais il était prévu de nous montrer un extrait de son Show. Nous avons du nous contenter de feuilleter ses livres en raison d'une panne vidéo. J'avoue que la langue japonaise est un énorme frein et je n'ai pas pu me faire une opinion sur ses talents, en dehors de son aptitude pour le marketing.
On reste dans le cinéma chez Agnès Vienot où la gastronomie devient un prétexte pour emmener les lecteurs ailleurs. Claire Dixsaut a présenté son ouvrage À table avec Charlie Chaplin qui rassemble 60 recettes en suivant Charlot dans ses vagabondages, des petits pains de La Ruée vers l’Or à la machine à manger des Temps modernes, sans bouder le plaisir innocent des pancakes préparés par Le Kid.
Dans cette série des A table avec j'ai remarqué l'opus consacré à Louis de Funès, dont je viens de lire l'intéressante biographie de Sophie Andriansen.J'ai été surprise de découvrir des photos que j'avais oubliées. Louis de Funès faisant avancer son âne en lui promettant une carotte dans La folie des grandeurs est une pièce d'anthologie. Et Agnès Viénot a raison de dire que l'appétit vient en lisant ...À Table avec la Reine d´Angleterre de Frederique Jacquemin concourrait dans la catégorie Cuisine étrangère alors que le prochain sera consacré à Jules Verne au mois d'avril.
Le festival est jumelé avec les Awards et remporter le Gourmand Award du meilleur livre de cuisine de l'année peut changer la vie d'un éditeur. Ce fut le cas pour Robert Oliver en 2011 pour son ouvrage Mea'Kai.Cet ouvrage est un voyage en Nouvelle Zélande. Chaque recette est une tentation proposée par une personne dont le sourire et les mains ouvertes sont une promesse de bon accueil.
En 2012 ce fut Francisco Fantini qui obtint la récompense suprême avec Patagonia Cuisine, publié dans une édition bilingue espagnol-anglais et qui cherche aujourd'hui un éditeur français. On comprend que ce livre ait séduit le jury tant ses photos sont très architecturéesOn remarque l'influence de la pâtisserie allemande avec cette Küchen de Frambuesa.
Dans la Patagonie chilienne on mange essentiellement des crustacés et de la viande de mouton. Il y a peu de légumes. Par contre beaucoup de poissons de rivière peuvent être péchés dans les îles et les lacs. Les Suédois y viennent pêcher le saumon sauvage.Les oursins sont une des spécialités appréciées de tous. La recette de Baby Octopus est un classique (p. 188) et la soupe de poisson (p. 196) reste un plat typique ... même si le poulet aux oeufs bleus est recherché (les oeufs à la coquille bleu ciel proviennent de Chine)... et l'emploi de la pâte d'amande trahit l'influence espagnole.
La journée s'est achevé par une démonstration que je n'aurais pas voulu manquer puisqu'il s'agissait de Michel Roth, qui est le Chef le plus titré de sa génération... avec un Bocuse d'Or, deux étoiles au Michelin et un statut de Meilleur Ouvrier de France.
Il nous a rappelé qu'il avait commencé à travailler à 15 ans, ayant été dirigé par son père dans cette voie. Il se souvient que ses débuts furent difficiles avant qu'il ne soit à la tête d'une brigade de 80 personnes dans le grand restaurant du Ritz, aujourd'hui fermé pour travaux.
Pas snob pour deux sous Michel Roth se sentait autant de responsabilité à l'égard des "people" que des personnes qui avaient cassé leur tirelire pour fêter le bac de leur fils et qui sont à satisfaire tout autant.
Ce lorrain d'origine a appris la cuisine de terroir, la quiche, le pâté lorrain, la matelote, auxquels sont venus des plats de l'Alsace voisine comme la choucroute et le baekehoffen. C'est toujours l'enfance qui est le terreau de son inspiration même s'il reconnait que le Japon l'a fortement influencé. Ses poissons de rivière sont extras et l'usage des bouillons y est sublime.
Nadine Rodd lui a posé de nombreuses questions qui nous ont permis de découvrir ses grands principes. Respecter les produits de saison, cela commence à se savoir. penser à des mariages subtils mais simples, comme la salade Caesar. Penser à mettre un morceau de gingembre dans un bouillon, mais attention, en cuisine, tout est question de dosage.On peut, comme lui, ajouter des pistaches et des pignons pour donner du croustillant à la mitonnée. Conjuguer le même légume cuit et cru dans la même recette. Déglacer en employant deux vinaigres différents. Oser le sucré-salé mais à condition que le sucré ne prenne pas le dessus. Saler le foie gras avant et après la cuisson. Le plat sera réussi si on peut reconnaitre chaque produit à la dégustation.Sa définition du luxe : c'est "au-delà" s'accordait avec ce qu'il nous servit.
Il avait choisi des trompettes de la mort et une série de petits légumes qui ont accompagné un foie gras poêlé. Un consommé de jus de canard (on fait revenir les carcasses avec des échalotes et de l'ail, on mouille d'eau et on fait réduire une heure avant de retirer les os et d'ajouter du miel) au gingembre et une royale de foie gras.