Donne-moi tes mains pour l’inquiétudeDonne-moi tes mains dont j’ai tant rêvéDont j’ai tant rêvé dans ma solitudeDonne-moi tes mains que je sois sauvéLorsque je les prends à mon pauvre piègeDe paume et de peur de hâte et d’émoiLorsque je les prends comme une eau de neigeQui fond de partout dans mes mains à moiSauras-tu jamais ce qui me traverseCe qui me bouleverse et qui m’envahitSauras-tu jamais ce qui me transperceCe que j’ai trahi quand j’ai tressailliCe que dit ainsi le profond langageCe parler muet de sens animauxSans bouche et sans yeux miroir sans imageCe frémir d’aimer qui n’a pas de motsSauras-tu jamais ce que les doigts pensentD’une proie entre eux un instant tenueSauras-tu jamais ce que leur silenceUn éclair aura connu d’inconnuDonne-moi tes mains que mon cœur s’y formeS’y taise le monde au moins un momentDonne-moi tes mains que mon âme y dormeQue mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon, Le fou d'Elsa (coll. Poésie/Gallimard, 2002)