1959-2013
La nouvelle est tombée hier, sèche et brutale à la faveur d'un tweet : Daniel Rozoum, avait finalement rompu face à celle qui lui faisait regretter dans la tendre 'Les Voeux de Bonne Année" de son ultime album (La Taille de mon Âme - 2011), que ses amis étaient chaque année moins nombreux à fêter.
Notre homme qui semblait à nouveau avoir le vent en poupe suite aux éloges ayant fait suite à son dernier brelan d'album, celui qui souhaitait à présent rattraper "le temps perdu par ces fichues années de dope" en espérant se montrer enfin plus prolifique à l'image de ses héros Bob Dylan, Johnny Cash et Neil Young, lui qui n'avait sorti que 6 albums solo en quelque 25 ans, avait fini par être rattrapé par ses vieux démons, et avait été retrouvé mort à son domicile.
La nouvelle de Daniel Darc est un choc pour les gens de ma génération, et bien plus encore. Reviennent moult souvenirs : les années Taxi girl bien sûr, ce mythique concert du Palace en première partie des Talking Heads, où Daniel s'était taillader les veines avec un cutter et traumatisé un public qu'il souhaitait voir sortir de sa torpeur, celui de ce petit bonhomme (il était raiment minuscule Daniel) les bras noircis de tatouages qui avait ravi l'audience du Poste à Galène en ce soir de printemps 2004 (ou était-ce 2005 ?) -c'était pour la tournée de l'album du comeback Crèvecoeur", cet artiste dont l'humilité et la culture étaient invariablement proportionnels à la morgue destroy qu'il affichait volontiers en interview ("Iggy est une star, je suis une star, les gens le savent et le sauront".
Point de namedropping envahissant où de prétention dans les actes pour celui qui savait se révéler passionnant en interview (conversation fleuve avec les Inrocks en 89, moult entretiens chez Rock&Folk, et récemment une confession magnifique dans les pages de Mojo), se montrer un chroniqueur prolifique et inspiré (géniaux portraits dans l'ancienne revue Best de personnalités qu'il adorait dont Coltrane) ; ses mots à la fois simples et touchants distillés dans une poésie accessible à tous nous manqueront à n'en pas douter bien plus que ceux ineptes d'un Jean-Jacques Goldman.
Ami des musiciens nationaux qui comptent ou ont compté (Christophe, Bashung), Darc avait connu une carrière solo plus qu'erratique, née d'après lui à la faveur d'une face B de Taxi Girl (l'émouvant "Je suis Déjà Parti"), puis d'un premier album Sous Influence Divine (88), d'un joli disque à quatre mains avec Bill Pritchard (Parce Que) : et avait pour les raisons déjà évoquées connu une grande traversée du désert ponctuées de quelques collaborations (Diabologum, Daho, Alizée) jusqu'à la révélation protestante, cette foi qui allait allier le mysticisme (comme Dylan et Cash avant lui d'ailleurs) au bonheur d'une créativité retrouvée (Crevecoeur - 2004), de collaborations quelque peu décevantes avec Bashung et Robert Wyatt pour Amours Suprêmes (hommage à qui vous savez en 2008), et La Taille de moi Äme qui le voyait il y a deux ans, agenouillé avec frénésie sur un autel.
Presque rien jusqu'à cette ultime salve si ce n'est Nijinsky dix ans plus tôt, album à la pochette magnifique qui le dépeint assez bien "clown de dieu" funambule et hébété ; il ne ferait jamais miux que cette superbe collection de chansons. Ou déjà il pose les bases de ce qui deviendra sa marque de fabrique : une instrumentation dépouillée, l'usage d'un harmonica devenu son instrument fétiche, de la pop à guitares virant peu à peu vers une chanson à la Bashung, recueillie, usage des cordes, folk limite concrète en ce qu'elle renierait bientôt tous les canons de la mélodie, en dehors des simples és ("Nijinsky", La Pluie Qui Tombe", "Je Me Souviens, Je me Rappelle""J'irai Au Paradis", "C'est Moi le Printemps").
Sur ce 3ème long format, la vraie personnalité de Darc affleure et donne un sens à son oeuvre future, qui privilégiera l'épure confinant parfois à l'ascèse, à la secheresse. Ce même dénuement qui avait fait tant regretter à Daniel qui ne chantait parfois plus que dans un souffle (sans doute l'inspiration Gainsbourgienne) la production parfois luxuriante des claviers sur certains des (meilleurs) disques de Taxi Girl.
Mais un dénominateur commun dans tous ces titres, dont chaque premier vers pourrait tenir lieu d'épitaphe : une poésie à fleur de peau qui atteint son sommet dans des morceaux plus cabarets ou intimistes tels "Le Feu Follet", "Haute Surveillance" ou le magnifique "Il y a Des Moments".
Darc qui préparait son autobiographie, avait encore beaucoup de belles choses à délivrer ; pour notre malheur, la Faucheuse en a décidé autrement.
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"Sur La Route"
"Il y a Des Moments"
"Haute Surveillance"