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La naissance en Afrique et en Arctique, conférence au Musée du quai Branly (Paris 7)

Publié le 01 mars 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

Comment nait-on et du même coup comment est-on « au monde » dès les premiers instants ?

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C’est la question qui a été adressée à deux éminents spécialistes Tobie Nathan et Bernard Saladin d’Anglure, jeudi dernier à l’Université Populaire du Musée du Quai Branly, pour un éclairage du sujet en Afrique et en Arctique. Dans ce cycle de conférences appelé « Décalages : les autres et nous », il s’agit de se situer dans un rapport tout particulier au corps, et d’ouvrir notre horizon à celui des autres, d’étudier leurs pratiques, pour comprendre leur manières de concevoir les choses.

Tobie Nathan est le principal théoricien de l’ethnopsychiatrie contemporaine, qui consiste à accompagner et soigner les personnes non occidentales dont les croyances et les troubles psychiques peuvent s’expliquer autrement. Il a ainsi étudié les dispositifs techniques de nombreux guérisseurs, en Afrique ou au Moyen-Orient. Il a été conseiller de coopération et d’action culturelle à Tel-Aviv et à Conakry (en Guinée).

A ses côtés, Bernard Saladin d’Anglure est comme l’introduit Catherine Clément qui organise  la discussion, sans doute le plus grand spécialiste encore en vie des Inuits. Anthropologue spécialiste du chamanisme, des Inuits de l’Arctique, et des droits autochtones, il enseigne au Québec. Il est titulaire du Prix de la recherche scientifique sur le Nord (Canada), il crée le Groupe d’Etudes Inuit et circumpolaires, qui devient ensuite le Centre Interuniversitaire d’études et de recherches autochtones à Québec.

Qu’est-ce que dans ces sociétés très différentes le fait de venir au monde représente-t-il ?

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Posons-nous la question déjà pour nous en Occident, le temps que la conférence ne commence. La naissance est un événement heureux pour les parents et leur entourage, qui est envisagée comme un moment beau et magique. Si on passe sur la pénibilité possible de l’acte d’accouchement, qui est aussi appelé « travail », et toutes les représentations de douleur et de déchirement qu’il peut évoquer même inconsciemment, il est récompensé par l’arrivée d’un être tout neuf. La naissance est avant tout un accueil nimbé d’amour (dans la majorité des cas). L’être que l’on accueil est sa progéniture, et il est à ce titre comme un morceau de nous. Dans ses traits, il est possible de lire sa filiation, son « air de famille ». C’est aussi un être que nous allons accompagner dans la vie, en essayant dans un premier temps d’établir un mode de communication en-deçà des mots, et nous devrons répondre à ses signes physiques par des actes concrets. Avec le temps, nous installons pour lui un cadre de conduite en cohérence avec nos valeurs et nos croyances.

Sur scène nos trois interlocuteurs prennent place. Nous sommes encore impressionnés par leurs parcours respectifs dont nous venons de prendre connaissance sur le flyer distribué à l’entrée de la salle, et qui augurent une discussion de haut niveau.

Mais dès leur première prise de parole, nous comprenons que chacun des deux est passionné, et qu’ils savent tous deux rendre leur discours vivant et clair. Leur expérience du terrain servira à illustrer leur propos, et à nous embarquer littéralement, avec un brin d’humour.

L’observation de notre venue au monde suivant les cultures, les pays et les façons de penser est un point qui conditionne nos vies.

Partons en Afrique…

C’est en partant des concepts, que Tobie Nathan aborde la question de la naissance en Afrique, car la diversité des pratiques et des croyances de ce vaste pays ne peuvent être aussi facilement synthétisées.

La naissance en Afrique induit avant tout la notion d’hospitalité, l’être qui arrive est considéré comme un étranger (cela se ressent dans les termes par lesquels on s’adresse à lui, comme notamment dans certains mots ivoiriens). On ne sait en effet, pas encore qui il est (et comme le laisse entendre Tobie Nathan, on n’est même pas sûr que ce soit un bébé qui arrive !). On pourrait simplement lui demander qui il est, d’où il vient, et quel est son message, mais avec lui il s’agit d’établir une autre manière de communiquer puisque sa langue n’est pas intelligible, même si son babillage en est une.

musee-quai-branly_femme-allaitant_Congo
L’enfant a une identité bien avant sa naissance, elle existe peut être déjà même avant sa conception. A défaut de pouvoir l’interroger simplement, pour savoir qui il est, en Afrique, on interroge le monde. On examine ce que sa présence change dans l’univers. On interroge ainsi les événements qui entourent sa naissance.

La première action à mener est de le nommer pour le séparer du monde duquel il vient. Dans les systèmes matrilinéaires comme au Congo, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun il n’y a ni le nom du père ni celui de la mère donné en patronyme. Il ne demeure que le nom de la personne. Ce nom a une importance en soi et une considération importante. Il n’est pas un simple moyen de désigner un être, issu de la volonté subjective des deux parents. En Afrique, le nom est la découverte de l’être, l’identification de que qu’est vraiment la personne. Suite à la naissance, il est de rigueur d’attendre environ huit jours pendant lesquels on observe les signes, pendant lesquels on essaie d’en apprendre plus sur ce nouvel être, avant de lui donner un prénom. Ainsi, en Afrique, ces derniers peuvent paraitre un peu farfelus : « le croque-mort n’a pas chômé » par exemple. L’importance du prénom est capitale. Si un bébé n’a pas été nommé, ou l’a mal été, il repart.

L’acte de nommer est donc avant tout une écoute et une découverte de l’autre dans ce qu’il révèle. Mais le prénom n’est pas simplement une manière d’identifier une personne, c’est aussi un moyen de le protéger.

Le prénom fait l’effet d’une enveloppe qui contient l’être tout entier. Qui le conditionne au sens littéral. Le nom pourra être utilisé en cas de problème : de maladie ou de situation particulière qui met la personne en danger. On dit alors qu’on « décoquille le nom ». C’est ici une forme de divination, car on scelle le destin d’une personne. Ainsi le nom congolais « Mampassi », signifie la peine et la difficulté notamment dû à l’accouchement. Nommer de cette manière, c’est renvoyer à l’énoncé implicite d’un enfantement difficile. C’est dire qu’on s’est donné tant de peine pour qu’il lui arrive malheur maintenant… En apprenant le prénom de cette personne, les gens vont se sentir fautifs et plus encore repérés, car on aura devancé leur action qui pouvait menacer la vie de la personne.

Mais cette croyance originelle a été perdue peu à peu, d’une part par l’action du christianisme qui a transformé les prénoms en nom de famille, en les précédant d’un prénom chrétien. Avec Moboutou en 1970, le retour aux vrais prénoms est déclaré. Mais dans cette perspective de liberté, les gens choisissent leur prénom selon leur volonté.

musee-quai-branly_maternite_Cote-d-Ivoire
L’enfant a également un lien avec un autre monde, et son nom permet la rupture de cet attachement qui subsiste une fois qu’il est né. Cet ailleurs peut être le monde des esprits, celui des ancêtres, ou celui des divinités. L’enfant est donc composé de plusieurs fragments de ces mondes. Pour le séparer des choses et des êtres qui l’accompagnent, on commence par le couper de son jumeau, son placenta. En Afrique, il s’agit d’un élément fondamental, qui contient l’identité de l’enfant, tout comme une sorte d’énergie et de force motrice qui le fait agir. Ainsi, pour ne pas qu’il retrouve son existence d’avant sa naissance, le placenta lui est arraché, et il est caché (souvent enterré) à un endroit qu’il ignore. Au Mali, on pense que le placenta contient le système de transformation de l’enfant, pour qu’il reste dans cette apparence d’enfant il est nécessaire de le couper et de le cacher.

Mais le placenta est une notion qui transgresse les limites de la seule naissance. Puisqu’il est le moyen de faire agir la personne, il arrive qu’on en fabrique pour faire agir la personne en fonction de sa volonté. Il existe aussi des placentas pour tout un village ! Il y a en exposés ici au Musée du Quai Branly.

Parfois on n’arrive pas à bien séparer les enfants. On constate par exemple des enfants qui ne parlent pas, qui ne disent pas un mot. On dit qu’ils sont en contact avec les diables et que tous ces enfants enfermés dans le mutisme, sont reliés entre eux. Cette société invisible est antagoniste aux autres, et ces enfants forment une bande. Tobie Nathan s’autorise d’ailleurs ici un parallèle avec le film de John Carpenter, le village des damnés. Pour s’en débarrasser, il faut les menacer ou les renommer. On peut ainsi leur attribuer un nom insultant, comme « tas d’ordures » ainsi les gens qui le considèrent en apprenant son nom, se disent ce n’est pas une personne, c’est un tas d’ordures…

On peut aussi introduire dans le corps de l’enfant des substances diverses, des crèmes, des poudres etc… La fontanelle, la partie molle du crane du nourrisson a une grande importance, car c’est comme si la tête du bébé n’était pas fermée. En Afrique, le crâne a une grande est presque un être en soi. Partout dans le corps on est le contraire d’un insecte, sauf à l’endroit du crâne où on est dur à l’extérieur et mou à l’intérieur. Pendant les premières années de la vie, on peut façonner l’enfant, par les scarifications, l’application de poudres sur l’enfant. On le pétrit jusqu’à ce que son crâne se referme. Dans les termes africains, on utilise littéralement l’expression « casser la tête » pour désigner notamment les périodes d’initiation, les rares moments où on peut modeler à nouveau les êtres.

Poursuivons par L’Arctique…

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En introduction Bernard Saladin d’Anglure, nous explique comment durant des années durant il a été le confident d’Inuits dans le Nord Canadien, comment il a recueilli minutieusement leurs propos, et comment d’interviewer il est désormais devenu informateur. En effet, il a rassemblé tout ce que les ainés, désormais disparu lui ont raconté, et il doit accomplir une certaine transmission pour les nouvelles générations.

Chez les Inuits, l’identité est dividuelle comme dans certaines régions de l’Océanie. Cette notion est intéressante car elle permet de corroborer la notion de réversibilité des perspectives qui est à l’œuvre dans cette culture. Chez les Inuits en effet, il ne peut y avoir de vérité, car cela dépend du point de vue dont on se place. Ainsi le chasseur se met à la place de sa proie, et le papa peut très bien être le bébé l’espace d’un instant.

Chez les Inuits, il existe aussi une conscience du fœtus, qui capte le monde, les signes, la vie animale. Ainsi certaines personnes ont réussi à confier à Bernard Saladin d’Anglure, des bribes de leur vie intra-utérine et même le moment de leur naissance. Il s’agit de se situer du point de vue du fœtus pour comprendre le monde. Ici l’ontogénèse devient cosmogénèse.

Mais il y a surtout dans la pensée Inuit, l’idée forte de la réincarnation et du devenir des âmes. Lorsque survient la mort, une partie de l’âme part dans le monde céleste, et une autre doit se réincarner. L’âme cherche ainsi un corps, notamment un nouveau né. Cela passe souvent par l’image du voyageur qui vient rendre visite à un couple (en vrai, en rêve etc…). La façon dont ils abordent le nom est très différente de ce qu’on a vu précédemment, c’est avant tout le marqueur d’un lien social. En effet, l’enfant sera associé et relié à toutes les personnes dont il porte le nom.

Dans cette société Inuit, la naissance est la mise au monde d’un être qui prend part à un cercle social, en se connectant aux autres, en entretenant une relation en-deçà des expériences de vie qu’ils pourront mener ensemble. Grâce au point de vue réversible il bénéficie d’une sorte de protection sociale supplémentaire.

De belles notions plein de sens pour ouvrir notre réflexion et notre considération de la question…

A voir :
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Musée du Quai Branly
218 rue de l’Université
75007 Paris

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