Magazine Cinéma
Sud de l’Espagne, années 20, noir et blanc, muet. Le décor est planté pour cette transposition singulière et audacieuse du conte de Blanche-Neige dans l’univers de la tauromachie. Au départ, il y a Antonio et Carmen, des tragédies, des deuils à faire. De leur amour, naîtra une petite fille. Autour d’elle : une marâtre narcissico-cruelle, sept nains un peu freaks, des pleurs, des cris, une larme, et le tout sans qu’un seul mot ne soit prononcé tout du long. Un exercice de style implacable, formellement époustouflant. Pablo Berger, par ailleurs, réduit au minimum les intertitres : pas de fioritures, pas de remplissage, ce qui lui permet en 1h30 de pure beauté esthétique, de ne s'attacher qu'à l’essentiel, soit les péripéties de l’intrigue, et les émotions des protagonistes. Les thématiques, elles, demeurent universelles: jalousies et rivalités féminines, amoureux transit, cruauté du monde, candeur mise à mal. Après le The Artist d’Hazanavicius ou le Tabou de Miguel Gomes, il semblerait bien que le N & B bénéficie d’un revival spectaculaire sur les écrans européens. Revival qui se révèle par ailleurs explosif lorsque se mêlent splendeurs d’hier (la musique comme personnage à part entière du récit, économie et retenue de rigueur, obligation de maintenir un rythme soutenu) et vents modernes (grain sublime, photographie magnifique signée Kiko de la Rica).
Expressionisme flamenco et codes du conte (il y a du Blanche-Neige donc, mais aussi des clins d’œil à La Belle au bois dormant ou encore Cendrillon) s’étreignent alors sur les accords musicaux d’Alfonso de Villonga- partition géniale qui nous entraîne au cœur de l’action- pour former un tout cohérent, captivant, dont la seule faiblesse est, peut-être, de garder les forces émotionnelles en arrière, comme si le spectacle se déroulait derrière une vitre. C’est beau, oui, mais un peu hermétique. Ce sera l’unique faille d’un film courageux et original, qui déborde d’enthousiasme et de bonnes idées visuelles. En outre, et forcément, Blancanieves laisse la première place aux compositions des acteurs. On retiendra notamment les interprétations des actrices incarnant le personnage-titre : la petite Sofia Oria et la (plus grande) Macarena Garcia, qui travaillent chaque mimique et expression, chaque geste et sourire afin de réussir à traduire- et elles le font avec brio- une subtile gamme de sentiments sans avoir l’air d’en faire trop. Une belle surprise.