Magazine Culture

Vendanges tardives - Du charme

Par Claude_amstutz

Marlon Brando.jpg

Non, Fred, tu n'es pas moche, et malgré tes jambes arquées et ta petite taille, malgré un âge qui avoisine celui de mon improbable fils, tu as encore toutes tes chances... Bien sûr, tu n'es pas à l'école du piercing et ne penches pas à la gauche de la gauche! Un handicap? Balivernes, car vois-tu, ce qui compte, c'est ta manière de glisser ton regard sur la peau des autres avec une sourde indifférence, à la manière d'un Robert Mitchum, ou t'exprimer avec une légendaire économie de mots comme ton idole Marlon Brando. C'est là ton charme, auquel il convient d'ajouter un humour décapant, quelque part entre Groucho Marx et Raymond Chandler. Pas convaincu? Et pourtant, cela ne vaut-il pas mieux que le profil de bellâtre d'un Ridge Forrester dans Top Models, qu'on immortalise dans un cadre photographique ou qu'on exhibe à la piscine municipale?

Tiens, par exemple, en ce qui me concerne, j'ai souvent fondu devant des beautés inoubliables - au cinéma une Louise Brooks, une Greta Garbo ou une Grace Kelly - mais même dans la vie réelle, celles qui m'ont laissé un souvenir marqué d'une pierre blanche, ne leur ressemblaient absolument pas. Elles avaient un charme particulier, imparfait, sensuel, pour tout dire unique, traduisant une grâce, une légèreté, une intelligence ou une fantaisie impertinente, inconnues chez les plus convoitées ou enviées. Je me rappelle alors les vers de Charles BaudelaireSors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien; tu sèmes au hasard la joie et les désastres, et tu gouvernes tout et ne réponds de rien... Camille Laurens use elle aussi d'une image pertinente: Le charme, parce qu'il est magique, est indéfinissable: en concurrence avec la beauté, il la surpasse souvent par cette énigme qui le nimbe, "un je ne sais quel charme encor vers vous m'emporte (Pierre Corneille)". 

Une objection? Ta voisine? Quoi, ta voisine? Tu veux parler de la blonde platinée avec de longues jambes à la Julia Roberts? Alors là, mon vieux, oublie! Tu n'as ni le profil, ni les mètres carrés de pelouse ou piscine nécessaires, ni la sociabilité conquérante ou le look adéquat! Mais dis-moi, Fred, en toute franchise: pourquoi tu te scotches toujours aux empêcheuses de danser en rond?

Camille Laurens, Le grain des mots (Gallimard, 2012)

Charles Baudelaire, Hymne à la beauté, dans: Les fleurs du mal (coll. GF/Flammarion, 2012) 

images: Marlon Brando et Robert Mitchum

Robert Mitchum.jpg



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Claude_amstutz 25354 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines