Magazine Culture

La singulière tristesse du gâteau au citron - Aimee Bender

Par Guixxx @zeaphra

Ça fait un bout de temps que mes doigts n’ont pas effleuré le clavier. Je me laisse aller les amis. Pourtant j‘en ai des choses à raconter, mais bon, que voulez-vous, je passe trop de temps dans mes pensées et dans mes livres, ou bien à gratter le bedon du félidé. Tenez récemment j’ai lu un livre au titre plus qu’improbable, La singulière tristesse du gâteau au citron aux éditions de l'Olivier. Non, ce n’est pas Katherine Pancol, mais je vous accorde qu’elle aurait pu être l’auteur de ce titre fantaisiste. Nous n’oublierons jamais Les yeux jaunes des crocodiles, La valse lente des tortues, mais surtout le fameux Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (et seulement le lundi, car Katherine Pancol détient une vérité ultime et dérangeante de la vie des écureuils New-yorkais). L'auteur se nomme Aimee Bender, et ce quatrième roman génialissime est celui qui l'a fait connaître outre-Atlantique. La singulière tristesse du gâteau au citron - Aimee Bender Mais allez plus loin que le titre, et plus loin que cette photo de gâteau au citron qui orne la couverture du roman. Ce n’est pas un gâteau qui est le héros de ce roman, bien que l’idée soit drôle... imaginez un gâteau moelleux à la pâte aérée recouvert d’un glaçage coulant, affublé de petits bras et de petites jambes, d’une petite bouche et d’une petite… mais je m’égare. L’héroïne de ce roman est notre narratrice, Rose Edelstein, dont ce fameux gâteau au citron a changé la vie. C’était le jour de ses neuf ans, et sa mère s’était échinée à lui préparer un beau gâteau au citron, chose peu commune puisque sa mère cuisinait assez peu, et surtout pas de dessert. C’est donc une Rose enthousiaste, une enfant exubérante et sociable de neuf ans qui croqua la première part ce gâteau, pour l’avaler avec un goût de cendre. Solitude, vide, tristesse, c’est les émotions qui se bousculèrent dans son palais et qui, comprit-elle ensuite, étaient exactement le reflet de l’état d’esprit de sa mère lorsqu’elle confectionnait le gâteau. Rose découvre alors qu’elle a le don de ressentir les émotions de ceux qui l'entourent à travers ce qu'elle mange. Un don, ou plutôt une malédiction, qui va totalement bouleverser sa vie, et changer complètement son rapport au monde, à sa famille, et à elle-même. Car le roman qui au premier abord semble un roman fantastique, avec cet espèce de pouvoir que développe la narratrice, est en fait un roman profond et touchant sur le passage de l’enfance à l’âge adulte et la construction du personnage, Rose, obligée de composer son existence avec ce « don » qui lui pourrit la vie. Chaque bouchée de chaque aliment provoque une empathie dévastatrice qui la met face à toutes sortes d’émotions qu’une enfant de neuf n’a pas encore forcément expérimentée : désir, tristesse, solitude, envie, colère, confusion, désespoir, peur... Elle qui était une petite fille sereine et ouverte au monde se retrouve exposée à trop de choses d’un seul coup et devient une jeune fille qui se renferme dans une coquille, perd sa facilité à aller vers les gens, ne s’épanouit plus et passe son temps à tenter d’assimiler et à cacher cette tare qui la rend suspecte et bizarre aux yeux des autres. C’est sa personnalité qui se modifie, lui fait envisager de vivre les choses superficiellement, de ne vivre qu’un jour à la fois, sans ambitions, sans penser au futur, juste à l’instant présent duquel elle doit se dépatouiller pour garder la tête hors de l’eau, ressentir ses propres pensées et sentiments au milieu de ceux des autres qui s’imposent à elle-même à chaque repas, que ça soit ceux préparés par la dame de cantine, sa mère, ou le fermier industriel qui gave les cochons. Le rapport qu’elle développe à sa famille est l’un des plus importants. C’est d’abord les émotions de sa mère, femme au foyer qui s’ennuie, lasse de son mari, lasse de sa vie, que va ressentir Rose. Cette mère qui a toujours été son héroïne, une femme forte, aux multiples talents et d’une beauté singulière, mais qui est aussi une femme hyper émotionnelle qui ressent les choses de manière décuplées, et qui agresse sans cesse Rose sans le savoir. Ce père absent, lisse en surface, fuyant, qui ne sait pas être un père, et ce frère à la limite de l’autisme, mystérieux, qui semble parfois tout à fait perdu. Car Rose n’est pas la seule à avoir un don. Elle va au fur et à mesure se rendre compte que d’autres personnes de sa famille possèdentle même genre de malédiction qu’elle, et composent leur vie avec la même instabilité. J'ai été assez choquée par un article que j'ai lu sur ce titre dans les Inrocks, où l'auteur compare avec une incroyable bêtise ce roman à Harry Potter et au Sixième sens, dévoile les trois quarts des twists du livre, et se plante complètement dans les dons attribués aux personnages. C'est là que je me demande si les journalistes de métier lisent vraiment ou survolent à la vitesse lumière et sans intérêt les romans que les éditeurs envoient gratuitement à leur attention. Alors si vous aviez lu cet article, ôtez-vous absolument cette idée stupide d'Harry Potter et de Sixième sens, qui sont tellement éloignés de cette oeuvre et desservent complètement le roman d'Aimee Bender. Ils n'entrent pas dans la même démarche littéraire et ne touchent pas du tout le même public. Ce n'est ni un livre pour enfant ni un roman fantastique, et je dis ça en tant que fan absolue d'Harry Potter et du Sixième sens. Pour ne pas vous laisser détourner du véritable fond du roman, ces dons ne sont pas des super-pouvoirs, ce sont des capacités handicapantes, des dons qui s’inscrivent dans le quotidien, qui ne peuvent pas être exploités juste pour le plaisir, viennent avec plus d’inconvénients que d’avantages, et sont d’une telle étrangeté que les dévoiler au monde serait dangereux. De toute façon, qui les croirait ? Non, ces dons sont le moyen pour Aimee Bender de raconter aussi cette famille, cette petite fille au problème d’empathie, cette mère instable émotionnellement, ce frère sans émotions, ce père qui les évite. La singulière tristesse du gâteau au citron n’est donc pas un roman aussi léger et sucré que le laissait penser son titre et sa couverture. Roman initiatique, quête d’identité, roman familial, avec un brin d’humour et surtout pas mal de fantaisie, conté avec la plume concise d’Aimee Bender qui en fait une réalité concrète et nous emporte dans son univers. Rose vit ce don, elle le supporte comme un fardeau qu’elle finira à un moment par accepter. C'est d'ailleurs là que se termine le roman, à cette acceptation de sa vie et de son monde hors norme, et qui ne s’est pas faite sans douleur... comme souvent l'adolescence. La singulière tristesse du gâteau au citron - Aimee Bender
J'ai eu peu de coups de cœur récemment. Je suis passée de déception en déception, et ce roman-là a été ma bouée de sauvetage dans cette marée noire de bouses littéraires. Un moment de joie dans mes lectures, la joie de lire un bon roman captivant, que je conseille à tout le monde. Et si vous allez en librairie, rattachez-vous aux coups de cœur de vos libraires comme des naufragés, car les vagues d’immondices risquent de vous déstabiliser !

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Guixxx 1246 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines