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« La » femme n’existe pas

Publié le 08 mars 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune
photo de Pierre-Yves Ginet, co-fondateur du magazine Femmes en Résistance

photo de Pierre-Yves Ginet, co-fondateur du magazine Femmes en Résistance

Cela fait belle lurette qu’à Aubagne on ne célèbre plus la journée de « la » femme mais bien celle « des » femmes. Mieux c’est tout un mois qui leur est consacré. Pourquoi en effet fêter « la » femme ? Qui est cette femme que personne n’a jamais rencontrée et qui serait l’archétype du genre ? Pour Romain Jammes, l’une des plumes de l’excellent blog « L’Art et la Manière », réduire toutes les femmes à une seule identité n’est pas seulement une faute de goût mais aussi la négation de l’individu, de son statut social et économique, de son héritage culturel et historique. Autrement dit « être femme » ne se réduit pas à cette spécificité biologique qui est sa capacité à enfanter. Pour Monique Dental et Marie-Josée Salmon du réseau féministe Ruptures cette femme dont parlent les médias n’existe pas plus (*) et le simple fait d’évoquer la journée de « la » femme est un stéréotype qui procède d’une vision ahistorique et qui véhicule une idéologie fossilisée visant à affadir la réalité et à gommer les conflits toujours présents.

Le 8 mars s’inscrit au contraire dans une dynamique reliant le passé et le présent, les luttes des femmes d’autrefois et celles d’aujourd’hui.

L’origine du 8 mars remonte au 8 mars 1857 marqué par une des premières grèves de femmes qui oppose les ouvrières du textile à la police de New York qui charge, tire et tue. Cette date est toutefois contestée car aucune mention n’en est faite dans les sources américaines de l’époque. Par la suite, la journée internationale des femmes s’inscrit dans le courant socialiste et communiste. A partir de 1909, des femmes socialistes américaines prennent l’initiative d’organiser chaque année une journée nationale des femmes pour l’égalité des droits civiques. C’est à la deuxième Conférence internationale des femmes socialistes, à Copenhague, en août 1910 que Clara Zetkin, dirigeante du Mouvement socialiste féminin allemand, s’inspirant de leurs actions, appelle à célébrer chaque année une journée internationale d’action des femmes. La décision est avalisée par le Congrès de l’Internationale qui suit. En 1911, la première journée fêtée obtient, en Allemagne et en Autriche, un succès immense. Plus de 30000 femmes défilent dans les rues de Vienne. En 1913 et 1914, en Russie, les femmes socialistes célèbrent la journée internationale des ouvrières. Mais c’est seulement le 8 mars 1914 qu’a lieu la première journée internationale des femmes. Le thème unificateur : « Le vote pour les femmes unira nos forces dans la lutte pour le socialisme » n’affirme pas seulement leurs convictions socialistes, mais aussi le refus de l’enfermement au foyer, de la double morale sexuelle et leur volonté d’émancipation politique.

Le 8 mars 1917, une manifestation des femmes de Petrograd « Pour le pain, contre la guerre et le tsarisme » donne le signal de la révolution russe.

Les années 1970 avec le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) marquent un tournant important. En effet, cette période se caractérise par la mobilisation des femmes partout dans le monde qui témoigne de mouvements féministes organisés de façon autonome. Des milliers de femmes revendiquent le libre choix de la maternité et l’avortement libre et gratuit, affirmant par là même que la lutte des femmes n’a pas de frontière. Ce qui fonde cette solidarité, c’est le refus commun d’accepter le rôle et la place choisis pour les femmes. En France, le 8 mars 1976 change d’appellation et devient la journée internationale de solidarité avec les luttes des femmes dans le monde. Cette volonté des féministes de prendre leurs affaires en mains est réitérée le 8 mars 1978 par le mot d’ordre : « Nous vivrons ce que nous changerons ». Le contenu du 8 mars n’est donc pas centré sur les femmes travailleuses, mais sur la situation de toutes les femmes dans l’unité de leur oppression de sexe et la diversité de leur situation sociale.

C’est en 1975 que l’ONU fait du 8 mars une journée officielle. Yvette Roudy, première ministre des Droits des Femmes fera du 8 mars 1982 une journée chômée et payée, mais cette situation n’a pas eu de suite.

Pour les mouvements féministes d’aujourd’hui, la journée du 8 mars célèbre la mémoire de toutes les femmes dans l’Histoire – et de quelques hommes – qui ont contribué par leur imagination, leur vaillance et leur persévérance, à forger cette tradition de luttes pour les droits des femmes. D’autre part, les anniversaires appellent des bilans pour mesurer les chemins parcourus et faire un état des lieux, pour reprendre son souffle et poursuivre l’action contre les inégalités et les exclusions dont sont encore victimes les femmes.

Telle est la portée symbolique du 8 mars dont les actions, ici à Aubagne, ne se concentrent pas sur cette seule journée mais sur un mois. Comment pourrait-il en être autrement ? L’ambition ici est bel et bien de faire le point des combats qu’elles mènent à Aubagne et dans le monde. Un moment où elles se retrouvent pour créer ou assister aux créations d’artistes qui ont à cœur de mettre à l’honneur des femmes célèbres ou des femmes moins célèbres mais plus nombreuses, dans le but de faire avancer la réflexion et surtout les droits des femmes.

(*) Source La Marseillaise, mercredi 6 mars 2013

Pour aller plus loin, Découvrir le livre de Fatima Ezzarah Benomar  »Féminisme : la révolution inachevée ! » aux éditions Bruno Leprince. Le livre est préfacé par Marie-Georges Buffet et remet le combat féministe à sa juste et noble place, un combat d’une actualité toujours aussi brûlante. Il fait notamment le point sur la façon dont l’austérité touche particulièrement les femmes.


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