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CINEMA : Au bout du conte d’Agnès Jaoui

Par Misteremma @misteremma

Me voici enfermé dans une salle de l’hôtel Amigo à Bruxelles en compagnie d’autres journalistes. Dehors, il pleut et le quartier est bouclé. Les flics patrouillent sirènes hurlantes mais on ne sait trop pourquoi.
Agnès Jaoui entre dans la pièce. Elle s’étonne de voir le monde présent. Elle s’assied, sourie et donne de son temps avec un plaisir que l’on ressent. Elle est venue parler de son film, de sa vie, de ses contes…

Tu fais des films à peu près tous les 4 ans. Quel a été le déclic pour celui ci finalement?

Il y en a eu plusieurs. L’un des déclics c’est le fait que je me suis rendu compte que j’avais beau être fille de psychanalyste, féministe, etc, etc, j’attendais mon Prince charmant dès l’âge de 15 ans (il se trouve que je l’ai rencontré à 22 ans en fait). J’avais cette croyance là en tout cas. Voilà, c’est un des points de départ. Et puis l’autre, c’est que j’avais vu un spectacle de Stephen Sondheim qui s’appelle «Into the wood» (NDLR: écrit par James Lapine. La pièce a débuté à San Diego au Old Globe Theatre en 1986, et la première à Broadway en 1987) qui mêle plusieurs personnages de conte de fée qui se croisent dans les bois; ça m’avait beaucoup plus et je l’ai vu il y a très longtemps. Et puis je l’ai montré à Jean-Pierre en DVD, ça lui a plu aussi. Et puis voilà, ce sont les 2 points de départ je dirais.

Et pourquoi revenir sur une histoire de Prince charmant que tu as connu à l’âge de 20 ans. Tu crois que c’est le rêve de toutes jeunes filles aujourd’hui encore?

Et bien oui, j’ai l’impression que c’est un rêve qui a la peau dure. Et le rêve de trouver son grand amour, je comprends qu’il ait la peau dure et tant mieux! Et même cette image d’un homme idéal qui va vous emporter sur son cheval blanc et qui va changer votre vie, je pense qu’il reste et demeure. Et alors avec toutes les contradictions qu’il y a qu’aujourdhui même quand il arrive on lui reproche presque d’être ce prince charmant, on attend ça. C’est un peu incarné par mon personnage qui se retrouve seul et qui se rend compte que finalement il y a plein de trucs qu’il ne sait pas faire seul. Voilà, c’est toute cette dualité.
Il y a un livre qui s’appelle «Le Complexe de Cendrillon» qui parle assez bien de ça et que j’ai lu quand j’avais déjà commencé l’écriture, et qui corroborait ces espèces de contradictions qu’on a entre des mythes anciens et puis la société qui a changé mais les mythes non et ont la peau dure

Quel est ton conte favori de petite fille? Ton Madeleine de Proust littéraire?

C’est «Peau d’Ane». J’ai eu un choc en voyant le Peau d’Ane de Demy à sa sortie (avec ma maman) (NDLR: Peau d’âne est un film musical français de Jacques Demy, sorti en 1970 et inspiré du conte éponyme de Charles Perrault, paru en 1694.) et j’ai été transportée, émerveillée par ce film que j’ai revu je ne sais combien de fois et que j’ai montré à ma filleule et après à mes enfants, et qui continue à m’enchanter. Mais je ne l’ai pas découvert par la littérature.

Le choix du casting est assez exceptionnel. C’était une évidence de prendre Arthur Dupont et Agathe Bonitzer ?

Oui et non. Arthur Dupont s’est vite imposé même si au départ je ne voyais pas exactement le personnage comme lui, je voyais quelqu’un de plus frêle mais il a été tellement formidable aux essais. Et en plus c’est un acteur très agréable à diriger parce qu’il aime ça, il a envie. Il vous suit dans les moindres subtilités de vos demandes. C’est un musicien et ça se sent. Il chante remarquablement bien, il compose des textes. C’est un mec très brillant et très charmant.
Le choix d’Agathe Bonitzer a été plus long à décider car le personnage de Laura n’était pas facile à incarner. C’est une jeune fille qui est à la fois agaçante, il fallait quelqu’un qui ait une espèce de certitude de sa classe sociale, de sa beauté et à la fois qu’elle soit touchante. C’était difficile et j’ai du voir à peu près toutes les jeunes actrices de Paris et puis finalement j’ai retenu Agathe et j’en suis très contente.

Quels sont les bons ingrédients pour un bon conte?

Je ne suis pas une spécialiste du conte de fée mais en tout cas il faut souvent un héros (ou une héroïne) empêché, injustement traité, qui a un handicap qui fait qu’il n’est pas reconnu à sa juste valeur. Très souvent, il y a une marâtre. Ils sont très souvent orphelins d’un des 2 parents. Mais ça correspondait à des réalités d’une époque. Et puis finalement aujourd’hui avec les couples séparés, les familles recomposées, ça fait partie des choses qui sont encore assez pertinentes. Et puis il y a une sorte de parcours initiatique qui fait que finalement ils vont vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants.

Est ce que le méchant doit toujours être sexy?

Non mais dans le petit chaperon rouge, le méchant est nettement sexy et il m’a toujours semblé qu’elle soit justement une petite minette, une petite fille mais bon qui commence à s’ouvrir à la sensualité et qu’elle soit très sûre d’elle. Quand elle rencontre le loup, elle sait que c’est le loup, sa mère l’a prévenue, mais ça l’amuse de fleurter avec ce danger. Mais, par contre, le désir est effrayant, il est animal, il est repoussant et que clairement dans ce conte il y a toute la métaphore du désir de la transmission du féminin, du danger.

C’est finalement un film tres psychanalitique.

ça de toutes façons, je pense que nos films le sont en général car c’est une de mes grilles de lecture favorites mais celui là peut-être encore plus.

Qu’y a-t-il finalement au bout du conte?

Dans «into the wood» , à la fin du 1er acte, le moment d’extase est fini et Blanche Neige s’ennuie… et ça m’avait fait rire. Et au bout du conte en fait, Les contes parlent des peurs des adultes. Il y a des peurs qui sont les mêmes et il y a d’autres pas du tout. Et c’est ça qui nous amusait.

Tu mets un peu toutes les croyances au même niveau. Il y a mille et une croyance dans le film au delà du conte ?

Tout a fait. On avait aussi envie de traiter tout ce qu’il y a d’irrationnel dans l’être humain et tout ce qui fait que c’est hyper dur quon est dans un univers sans aucun sens. Alors forcement on se rattache à telle ou telle croyance pour donner un sens à nos vies.

Jean-Pierre Bacri a l’air plus mélancolique qu’auparavant. c’est l’âge qui lui donne ça? Ou le sujet?

Je pense que c’est le rôle. il a quand même toute une période d’abattement et d’introspection totale. Probablement que l’âge le rend encore plus émouvant, mais comme nous tous. Son émotion est plus visible mais elle a toujours été là.

Au_Bout_Du_Conte_Affiche

Il était une fois une jeune fille qui croyait au grand amour, aux signes, et au destin ; une femme qui rêvait d’être comédienne et désespérait d’y arriver un jour ; un jeune homme qui croyait en son talent de compositeur mais ne croyait pas beaucoup en lui. Il était une fois une petite fille qui croyait en Dieu. Il était une fois un homme qui ne croyait en rien jusqu’au jour où une voyante lui donna la date de sa mort et que, à son corps défendant, il se mit à y croire…

Sortie : 13/03/2013
Durée : 1h52
Année de production : 2012
Genre : Comédie
Origine : France
Réalisateur : Agnès Jaoui
Acteurs : Jean-Pierre Bacri, Agnès Jaoui, Agathe Bonitzer, Arthur Dupont, Benjamin Biolay


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