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Séances sexuelles

Par Tobie @tobie_nathan

à propos du film de Ben Lewin The Sessions, sur les écrans depuis mercredi 6 mars 2013

Mark O’Brian (John Hawkes) fait paraître une petite annonce : « Homme, 38 ans, cherche femme pour relation amoureuse, et plus si affinités… Paralysé… amatrices de promenades sur la plage, s’abstenir… »

L'assistante médicale prodigue ses soins au paraplégique

L’assistante médicale prodigue ses soins au paraplégique

Il s’agit donc d’un paraplégique, survivant d’une polyo contractée à l’âge de sept ans, condamné à ne quitter son poumon d’acier que deux à trois heures par jour. Mais le cerveau est intact — plus encore : sans doute exacerbée par la souffrance, la sensibilité est maximale. Mark est un poète, un écrivain. Mais il n’y a pas que son cerveau qui fonctionne, son sexe aussi, qui se dresse et éjacule quelquefois inopinément lorsque les assistantes médicales font sa toilette. Il confie à son interlocuteur privilégié, son curé (William H Macy), sa décision de perdre son pucelage. Mais comment ? Une seule solution : faire appel à une assistante sexuelle (sex surrogate), jouée ici par une si douce Helen Hunt.

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The sessions, « Le séances », est l’histoire du traitement de Mark O’Brian pour lui permettre d’accéder à la sexualité et surtout à l’amour…

Le film aurait pu être sinistre — il est beau ! — il aurait pu être triste — il est drôle ! — il aurait pu être plat — il introduit à des réflexions sans fin sur la sexualité, la jouissance, le droit au plaisir et sur un métier que le Comité d’éthique vient d’interdire car il contrevient à l’interdiction de la « marchandisation du corps ».

Alors, comment doit-on considérer la sexualité ? Comme un besoin, un désir ou un droit ? Vieille question, comme on le sait… la satisfaction des besoins sexuels était déjà une revendication des utopistes du 19è siècle. Charles Fourier en faisait une priorité dès 1808. Et c’est d’ailleurs ces mêmes propositions qu’a repris Marcela Iacub en parlant, dans une tribune de Libération, en 2012, de « Service Public Sexuel » (SPS), manifestement très inspiré de ce que Fourier préconisait pour ses phalanstères : « solidarité sexuelle socialement organisée ». Ces précurseurs d’une sorte de communisme sexuel seront de nouveau lus et cités, lors de la première révolution sexuelle — bien plus extrême et créative que celle de 1968 — qui s’exprima juste avant la première guerre mondiale, avec un moment d’acmé en 1908, autour de la communauté de Monte Verita…

Et d’ailleurs, il existe un livre étonnant, un livre oublié de Riciotto Canudo, paru en 1911, classé second pour l’attribution de l’un des premiers Goncourt, un livre intitulé Les Libérés. Mémoires d’un aliéniste. Ce roman raconte l’activité clinique d’un médecin particulièrement original, qui soigne ses patients par la sexualité et la musique.

Et lorsqu’on parlait de besoin ou de jouissance, la sexualité n’était une priorité que pour les anarchistes et les marginaux. Signe des temps, sitôt qu’il est agi de droit — droit des handicapés à l’expérience sexuelle — la voix de la sexualité se fait entendre au plus grand nombre…

Ben Lewin, le réalisateur de The Sessions

Ben Lewin, le réalisateur de The Sessions

Et pourtant, nous avons tant de mal à envisager la sexualité des personnes souffrant d’un handicap. Je pourrais témoigner de mon expérience dans les hôpitaux psychiatriques où j’ai été confronté, comme bien d’autres à une espèce de scotome étonnant. Nous ne pouvions imaginer que les malades, par ailleurs particulièrement perturbés, avaient une activité sexuelle. Et pourtant, il s’en passait des choses durant la nuit… Si bien que j’étais étonné d’apprendre qu’on administrait la pilule aux femmes psychotiques ou autistes, sans même les prévenir…/…

Le film de Ben Lewin possède un charme poétique et mystérieux. Il me semble que ce caractère décalé est conféré par le fait qu’il met en scène une séquence quasi onirique. Nous savons que durant le rêve, ou plus exactement durant le sommeil paradoxal, si le dormeur a perdu contact avec ses perceptions, s’il semble totalement détaché du monde extérieur, trois organes s’animent de manière étonnante : le cerveau (ondes rapides), les yeux (mouvements oculaires rapides et le sexe (érection, chez l’homme comme chez la femme). Or, chez le personnage du film, le poète Mark O’brien, ce sont les trois seuls organes actifs. Il est cerveau-sexe-yeux… C’est sans doute la raison pour laquelle tant de femmes tombent amoureuses de lui, ses assistantes sexuelles, ses assistantes médicales… comme s’il était le rêve incarné.

Mark O'Brian, avec son prêtre (William H Macy) dans l'église

Mark O’Brian, avec son prêtre (William H Macy) dans l’église

Et puis, comme dans les mythologies les plus anciennes, ce film n’oublie pas de relier Dieu et la religion. C’est au prêtre que Mark demande l’autorisation d’avoir des rapports sexuels ; c’est dans l’église que se jouent les tournants les plus importants de ses relations amoureuses, et c’est encore dans l’église, au moment de ses funérailles, que toutes ces femmes se trouvent réunies autour de son cercueil — comme si Dieu était après tout le premier assistant sexuel…

Pour écouter l’émission sur France culture ici <—


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