Les Local Natives sont revenus cette année avec un nouvel album, Hummingbird. Trois ans après Gorilla Manor cet album est plus… Moins… Il est, disons, différent, et après plusieurs écoutes et un live, je dirais différent définitivement dans un sens positif. De prime abord Hummingbird a perdu en sauvagerie et en rythmes tribaux, la signature si reconnaissable de Gorilla Manor, donc on peut être déçu mais plus on apprend à connaitre le groupe, son histoire, plus on l’aime ce nouvel album. C’est un album naît dans la souffrance, leur bassiste les a quittés ce qui les a pas mal secoués. Kelcey l’un des chanteurs, a perdu sa maman, certains titres comme Columbia sont directement inspirés du chagrin que lui causa cette épreuve. On peut dire qu’ils reviennent de loin, mais comme nous le raconte Taylor Rice dans cet entretien, ils vont bien, ils sont heureux et prêts à nous en convaincre sur scène !
Math’: Trois années ont passé depuis Gorilla Manor, on vous avait laissé dans une espèce de printemps ensoleillé avec cet album et maintenant arrive Hummingbird qui est TELLEMENT différent ! Quelles ont été les réactions jusque là ?
Taylor Rice : Les réactions ont été très, très bonnes. Je pense que c’est un album qui peut-être par sa nature même, peut prendre un peu plus de temps et d’investissement pour vraiment le comprendre. Parce que c’est un album un peu plus expansif. Ça va bien jusque là, maintenant que nous avons fait quelques concerts, ça a été très intéressant de voir la progression entre le moment où nous avons joué les nouveaux morceaux et la sortie de l’album, et maintenant qu’ils sont sortis depuis un moment. Et maintenant quand nous jouons les anciens morceaux, puis les nouveaux, je pense qu’ils se mélangent les uns aux autres d’une manière qui fonctionne vraiment bien.
Math’: C’était ma prochaine question: J’étais curieuse de savoir si quand vous jouez en live les morceaux de Gorilla Manor, est-ce qu’ils sont plus calmes comme les titres d’Hummingbird ou est-ce que c’est l’inverse, est-ce que c’est Hummingbird qui est boosté par le live ?
TR : Je pense que de manière générale certaines des anciennes chansons sont beaucoup plus rocks, super intenses, très brutes, mais Hummingbird en général a une ambiance un peu plus feutrée. Mais c’est finalement déjà un peu le cas sur Gorilla Manor, le disque versus le live, le live tend toujours à être plus énergique, brut, agressif. Je pense que les titres d’Hummingbird peuvent également avoir tendance à aller dans ce sens en live…
Math’: J’ai lu dans la presse ce qui vous est arrivé ces 3 dernières années, ce que vous avez traversé tant à titre personnel qu’en tant que groupe. Comment vous vous sentez par rapport au fait de jouer maintenant live, de partager des morceaux qui parlent de choses qui vous sont si personnelles ? Est-ce que c’est une sorte de thérapie ?
TR : Oui, le mot qui je pense, décrit le mieux ce que l’on ressent est catharsis. C’est comme une fête, nous éprouvons beaucoup de bonheur à jouer ces morceaux. Même s’il y a de très tristes éléments ou des choses difficiles évoquées dans ces chansons, nous nous sentons tellement bien maintenant ! Et les chansons prouvent que nous avons traversé et surmonté ces épreuves tous ensemble, c’est vraiment une sorte de célébration cathartique.
Math’: Vous avez travaillé avec Aaron Dessner de The National sur cet album, qu’est-ce qu’il vous a apporté ? Quelle est sa touche ?
TR : L’expertise d’Aaron était vraiment dans le studio d’enregistrement. C’est un domaine dans lequel nous avons encore beaucoup à apprendre et nous avons appris énormèment sur cet album, mais nous avions encore besoin d’aide et il est un véritable expert aujourd’hui grâce à ses 10 années passées au sein de The National. Ce à quoi il était vraiment bon c’était à faire durer cette vibe libre et spontanée. Les chansons étaient très élaborées mais néanmoins nous souhaitions laisser de la place à l’expérimentation et les laisser respirer… Aaron était un bon arbitre pour cela. Je voulais toujours refaire une prise, quand je faisais une prise je disais « Ok, on la refait », et Aaron de dire « non, c’est très bien comme ça » et moi de me foutre en pétard contre lui ! Et puis 4 jours plus tard je dirais finalement que j’adore la prise comme ça et que c’est parfait, et c’est très important. Il nous a vraiment appris à garder la dynamique, à rester ouvert. L’autre chose qu’il ajoutait de temps en temps était simplement : « ayez cette mentalité de simplement enregistrer quelque-chose et laissez la spontanéité et l’inspiration avoir ce moment ». Du coup je ne savais pas trop quoi jouer mais il enregistrait quand-même et une fois de plus cela a été capturé sur l’album, ça a permis au feeling d’être moins cadré, d’être plus libre.
Math’: Vous avez déjà été comparés à d’autres groupes comme les Fleet Foxes, Band of Horses, etc, et j’ai lu quelque part que quand vous êtiez jeunes vous écoutiez Incubus ?
TR : Incubus ? Où as-tu lu ça ? [amusé et assez surpris!]
Math’: Je crois que c’était dans le Pitchfork magazine ?…
TR : Oh c’était sûrement dans l’article qui parlait de quand nous étions gamins ! Nous avons tous grandit à Orange County et nous jouons de la musique ensemble depuis que nous sommes gamins, depuis plus de 10 ans maintenant. Il y a eu une courte phase Incubus sur notre premier album mais nous écoutions tout autant At The Drive In, qui est un groupe qui a probablement eu plus d’influence sur nous.
Math’: Quel groupe ou groupes vous a donné l’envie de commencer à faire votre propre musique ?
TR : Et bien il y en a définitivement plus d’un. Parce que quand nous étions très jeunes c’était plus la scène punk, hardcore, mais nous aimions aussi des groupes comme Incubus, plutôt grosses guitares. Et quand nous sommes devenus adultes et que nous n’étions plus si jeunes, nous sommes retournés vers beaucoup de groupes à harmonies des années 60 qui avaient bercé notre enfance. On s’est mis à ré-écouter les Beach Boys, Crosby Still Nash, tout ce style puis ensuite également des groupes comme Animal Collective. Le rythme particulièrement influença Gorilla Manor. Mais sinon Incubus c’est quand on avait 13 ans !
Math’: Vous êtes originaire de L.A., d’Orange County, je ne sais pas à quoi le son de L.A. devrait ressembler, mais en tout cas pour moi cela ne ressemblerait pas du tout à votre musique ! Vous n’êtes pas des natifs de L.A. pour moi, comment expliques-tu ça ?
TR : Ah Oui ? As-tu déjà été à L.A ?
Math’ : Oui.
TR : Tu logeais où ?
Math’: Dans des endroits à touristes bien sûr. Mais ce que je voulais dire c’est que pour nous Français, la ville est si grande et si impersonnelle, et votre musique n’est pas du tout comme ça, au contraire !
TR : L.A. est cette énorme ville tentaculaire. Nous vivons dans un petit coin de L.A. où il règne un grand sens de la communauté. Tout le monde se balade à pied et tout le monde se salue dans la rue, ça ressemble vraiment à ça. Comme à Silver Lake, Echo Park, Mount Washington, ces quartiers sont la vraie L.A. J’ai été à Hollywood 4 fois ces 3 dernières années ou quelque-chose comme ça, c’est même plutôt rare qu’on y aille ! Peut-être que c’est pour ça, je ne sais pas trop… T’es tu baladé dans ces quartiers ?
Math’: Non je n’ai pas passé assez de temps là-bas pour avoir la chance de goûter à la véritable atmosphère de L.A.
TR : Oui c’est pour ça. Il y a plein de coffee shops et les gens y trainent tout la journée. Tout le monde connait tout le monde. Donc c’est comme une communauté très intime, en tout cas pour nous.
Math’: On a parlé des groupes auxquels vous êtes parfois comparés, comme les Fleet Foxes et la plupart viennent du Canada ou de Seattle, et cela me parait plus proche de comment sonne votre musique, mais j’imagine que je ne connais pas assez L.A…
TR : Oui le Nord-Ouest Pacifique… Je pense que je vois plutôt la différence. Définitivement nous adorons vivre en ville, c’est la vibe différente que l’on en tire…
Math’: Raconte-moi l’histoire de la couverture de l’album ? La photo, elle est intrigante ! Celle du premier album était intéressante aussi. Et la vidéo officielle de « Breakers » ! Personne n’a été blessé ?!
TR [mort de rire]: Oh en fait je n’ai pas pu marcher pendant 3 jours ! Tu m’as vu rouler-bouler ?! C’était vraiment fun à faire !
Math’: Etes-vous très impliqués dans la partie artistique de votre merchandising ?
TR : Nous gérons tous nos produits dérivés. La seule chose qui a vraiment été difficile pour nous c’est les clips, parce qu’aucun d’entre nous n’est réalisateur et « Breakers » est en fait la première vidéo que nous avons réalisée nous-mêmes. Nous l’avons co-dirigée avec un ami à moi qui est lui un talentueux réalisateur. Mais je rêverais d’avoir plus de temps, nous essayions d’en trouver mais c’est difficile, si nous avions plus de temps nous ferions nous-mêmes toutes nos vidéos.
L’histoire de la pochette d’Hummingbird est… C’était la capture de “cet instant”! Nous essayions de faire nos propres photos donc nous sommes montés sur le toit de notre studio de répétition, qui est ce petit studio que nous avons construit au cœur de Silver Lake. Et nous sommes en train de grimper là-dessus, Ryan a l’appareil photo, et le dernier à monter était Kelcey. Il était en train de gimper et il est tombé ! Et il est quasiment tombé par terre, donc il a essayé de se hisser et de rouler, et en fait Ryan a immortalisé cet espèce d’instant candide. Ce n’était pas prévu, c’était juste nous 4, vous voyez du point de vue de Ryan. Pour moi ça retranscrit vraiment cette métaphore de où nous avons été ces 2 dernières années. Ça représente cette lutte et ce sentiment écrasant… L’expression sur son visage, on voit qu’il sourit, il y a comme un air de comédie et ça montre que nous sommes capables de voir les choses de manière légère, de voir la joie dans cette situation, on peut en rire et s’en sortir. Je trouvais que cela servait particulièrement bien le propos de l’album…
Math’; J’ai vu sur Facebook un de vos posts, qui disait que vous êtiez sur le point de leaker votre propre album, c’était un post plutôt drôle ! êtes-vous des accros aux réseaux sociaux ?
TR : On entretient nous-mêmes nos pages, c’est d’ailleurs principalement moi qui m’en charge. Mais tout le monde met la main pâte, comme pour les photos qui viennent de chacun d’entre nous. Et pour ce qui est du leak, nous voulions vraiment le leaker, nous l’avons presque fait, nous étions sur le point de le faire, et puis il s’est leaké tout seul et nous nous sommes dits « ok, cool ! », parce que nous en avions tellement marre d’attendre ! Ne le dîtes pas à notre label il n’aimerait pas ça… [petit sourire complice !]
Math’: Vos albums sont en boucle dans mon ipod en ce moment, qui y a-t-il dans le tien ?
TR : Je viens juste de télécharger le nouveau Nick Cave, mais je ne l’ai écouté qu’une fois en entier. J’adore la première ligne de l’album, « We No who U R » ça fait « tree don’t care what the little bird sing », c’est génial, une ligne vraiment excellente… Et j’ai une obsession totale pour Amok, le disque d’Atom for Peace, c’est absolument incroyable. Leonard Cohen a également été mon obsession ces derniers mois, notamment quand nous écrivions et enregistrions. Je n’ai jamais eu de phase Leonard Cohen, je n’ai jamais vraiment compris, je ne l’ai jamais considéré comme un dieu ou je ne sais quoi. En fait j’avais un de ses livres de poèmes et c’est ce qui m’a amené à lui en fait, et maintenant je l’écoute en boucle non-stop !
Math’: Quels festivals d’été attends-tu avec le plus d’impatience ? Vous serez au Primavera c’est ça ?
TR : Oh Gosh, tellement ! Primavera, ça c’est du lourd, et puis on n’y a jamais joué. J’ai vécu en Espagne pendant un temps, vécu et étudié mais dans le Sud, mais Barcelone est une de mes villes préférées, Gaudi est mon architecte préféré, je viens d’entendre que le line-up est hallucinant, ça va vraiment être énorme…
Math’: Et vous serez de retour en France ?
TR : Oui nous serons de retour en France, mais je ne suis pas sûr de ce qui a été révélé déjà donc je ne sais pas si il faut que je réponde ! Mais oui, nous allons faire des festivals français cet été…
Math’ : Vous serez à Paris à la fin août pour Rock en Seine ? Non ? [j’insiste lourdement pour mon scoop !]
TR : Je ne sais pas, je crois que nous faisons Beauregard…
Math’: Serez-vous de retour à Lyon pour les Nuits de Fourvière ? C’est un site incroyable, un théâtre antique à ciel ouvert, ça vous irait tellement bien !
TR : Ce serait génial. La saison des festivals ressemble à un longue colonie de vacances, c’est tellement fun et on y voit jouer des groupes tellement incroyables ! C’est vraiment la chose la plus génial quand tu es musicien, d’avoir la chance d’avoir le succès que nous avons, de pouvoir rencontrer tellement d’artistes et de musiciens du monde entier, dans ces conditions si intenses, nous voyageons tous ensemble, c’est vraiment génial.
Le concert qui suivit fut tout bonnement sublime, d’où le titre de cet article. Anciens et nouveaux titres se sont enchaînés, ils sont littéralement venus nous chercher, l’énergie était incroyable, autant que l’émotion, et l’Epicerie Moderne s’en souviendra encore longtemps. Tout comme Paris le lendemain. Vivement les festivals de l’été et une autre date très vite !