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A La merveille

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

A La merveille

Terrence Malick deviendrait-il stakhanoviste ? Alors qu’il lui arrivait de prendre son temps entre deux projets, voici qu’il nous sort A La merveille à peine deux ans après son Tree Of Life majestueux pour certains et problématique pour d’autres. Sur quel pente le cinéaste américain allait-il nous amener ?

La bande-annonce le laissait présager, cette dernière livraison se voulait être une continuité de The Tree Of Life. Il est vrai que le réalisateur a toujours construit sa filmographie selon un principe de duo. La Ballade Sauvage et Les Moissons du ciel, La Ligne Rouge et Le Nouveau monde, The Tree Of Life et A La merveille, donc. L’ensemble de cette carrière filmique témoigne d’une belle cohérence globale. D’ailleurs, Terrence Malick ne recherche que cela. Cela passe non seulement par les thématiques mais également par le dispositif de mise en scène. Alors que le premier couple de films abordait la question de l’espace, que ses films « du retour sur le devant de la scène » la construction d’un monde, les dernières livraisons proposent un questionnement plus original, plus aérien, plus métaphysique. Bien entendu, tous les métrages du géant américain convoquent de telles orientations mais il faut bien avouer que The Tree Of Life et A La merveille poussent le bouchon vraiment loin, peut-être trop pour les détracteurs. La Palme d’Or osait une étude sur la place non plus dans un espace précis mais carrément dans l’Univers. Cette réelle recherche d’universalité ouvrait des perspectives inégalées à tous points de vue. A La merveille va rependre le flambeau. Néanmoins, ici, il n’y aura point de cosmogonie. C’est un autre sentiment universel qui intéresse le cinéaste. L’amour. Ou plutôt l’Amour. Terrence Malick n’a pas peur d’aller au plus profond de l’humain. Pour faire lien avec son opus précédent, il va quand même utiliser un personnage de prêtre sujet à une crise de foi mais il ne sera pas un point essentiel du métrage. C’est, d’ailleurs, dommage car A La merveille peut paraître alors bancal dans son écriture alors que questionner une relation entre un croyant et Dieu et la concevoir comme amoureuse est d’une ambition folle. C’est le gros point noir du film. De plus, ces thématiques, pouvant être considérées comme des intrusions intimes, peuvent choquer tant le spectateur peut ne pas être habitué à de telles pratiques de mise à nu qui touche tout-un-chacun. Certains peuvent trouver cela trop risqué et de l’ordre du personnel. Cela peut, également, être trouvé pompeux, prétentieux, surfait. Cette réaction est excessive. L’un des buts premiers de l’activité artistique n’est-il pas de plonger dans les tréfonds de l’âme humaine ? La réponse est évidente et donc affirmative.

A La merveille remplit son contrat parfaitement avec son triangle amoureux. Le postulat de départ est simple mais il parvient à toucher n’importe qui. Ben Affleck et Olga Kurylenko se rencontrent, s’aiment, se déchirent, se retrouvent. Rien de plus normal, finalement, qu’un tel parcours dans une relation amoureuse passionnée puisse se produire. En ce sens, Terrence Malick rend son scénario extrêmement classique et linéaire. Le souci n’est pas de rattraper le spectateur qui peut s’être perdu dans la mise en scène mais de jouer la carte de l’universel. C’est également pour cette raison que les personnages ne prononcent jamais leurs prénoms. Il faudra attendre le générique final pour, enfin, les connaître. Néanmoins, cela avait-il une si grande importance ? Bien entendu, la réponse est négative car la démarche est d’une logique implacable. A ce niveau, les protagonistes font faire, uniquement, figure de symboles. Rien ne sera réellement explicité quant à leurs conditions, leurs situations, leurs caractéristiques. Ils ne sont pas là pour jouer ce rôle. Cela va décontenancer mais Terrence Malick n’ayant jamais cédé à la facilité, ce n’est pas avec A La merveille qu’il va commencer. Le cinéaste va donc suivre ce trio amoureux jusqu’au bout mais à y regarder de plus près, c’est bien Olga Kurylenko qui l’intéresse. Ben Affleck n’est pas la matrice humaine du cadre, c’est son acolyte féminine. Depuis, notamment, La Ligne rouge et ses incroyablement poétiques séquences de la femme qui attend son soldat de mari, on sait que le cinéaste aime filmer la gent féminine. The Tree Of Life a confirmé cet état de la représentation quand on voit la différence de traitement entre Brad Pitt et une Jessica Chastain sublimée. A La merveille va encore plus loin. Olga Kurylenko est magnifiée de la plus belle des façons. Même Rachel McAdams qui a pourtant un rôle mineur est captée par la caméra de Malick sous un oeil amoureux. Il est, sans aucun doute, le cinéaste contemporain qui sait le mieux filmer le corps, le cœur et l’âme de la femme. Le pauvre Ben Affleck, avec parfois son visage coupé en plein milieu de l’écran, peut faire office de parent pauvre. Cependant, et si tout cela était logique ? Et si A La merveille était une déclaration d’amour d’un cinéaste à sa propre femme ? Terrence Malick commence, peut-être, à sentir le temps passé et il a envie de se livrer. The Tree Of Life contient des éléments autobiographiques, c’est quasi-certain. Pourquoi A La merveille, dans cette optique de duo, ne jouerait pas la même partition ? Cette dernière livraison n’en serait que plus belle devant tant de mise de soi sur un écran de cinéma.

Pour bien filmer ses femmes, il faut un code de représentations précis. Evidemment, le cinéaste le possède, ici, plus que jamais. La caméra toujours en mouvement sied parfaitement aux courbes d’un corps féminin et aux allers / retours émotionnels de ces personnages parfois meurtris, parfois flamboyants. Chaque image pourrait être isolée qu’elle raconterait quand même une histoire quand le montage pourrait être pris comme un gigantesque jump-cut global. L’infiniment petit (le plan) et l’infiniment grand (le métrage tout entier) jouent pleinement la carte d’un discours global et globalisant. Le degré d’universalité, encore et toujours, se doit de contaminer chaque centimètre de pellicule. Il est, alors, maladroit de parler d’abstraction pour qualifier le cinéma de Terrence Malick. Le sens est, en effet, toujours présent. Le métrage n’est pas un assemblage gratuit d’images prises au hasard et mises bout à bout. C’est exactement tout le contraire. Tout est cohérent et en rapport avec la réflexion du réalisateur. C’est simplement qu’une telle radicalité choque et que l’on n’ose pas prendre le temps de la découvrir pleinement. Le réalisateur n’aime pas la facilité dans ses thématiques, il n’allait pas la convoquer dans sa forme. Mieux encore, il ose, malicieusement et subtilement, de nouvelles choses quand on pourrait croire que son système de représentation est cadenassé. Pourtant, des choses évidentes sont reconnaissables. Terrence Malick a une patte, une vraie. On le sait, le cinéaste aime filmer la nature. On retrouve, donc, les protagonistes en train de se promener ou de travailler dans la nature. La chose n’est pas nouvelle mais la maestria toujours palpable fait simplement plaisir. A la direction de la photographie, Emmanuel Lubezki fait un travail toujours plus passionnant et la volonté hyper artistique de Malick a n’utiliser que de la lumière naturelle témoigne d’une volonté forte, de partis pris puissants, d’ambition et de mise en difficulté de tous les instants. Ce qu’il faut dorénavant prendre en compte, c’est cette capacité à capter le corps humain à nu avec de moins de moins de pudeur mais toujours avec classe. Terrence Malick propose réellement la confrontation entre les deux dimensions de l’être. Son étude, sa réflexion ne peut pas être plus complète et plus passionnante.

On pourrait croire que A La merveille ne parle que d’humain mais Terrence Malick ne peut pas s’empêcher de convoquer une dimension purement naturaliste. Homme lettré et connaisseur de la philosophie américaine, sa filmographie est parcourue de données transcendantalistes. Ce dernier film pousse le bouchon un peu plus loin. Si la nature est présente, elle ne l’est pas dans une optique panthéiste. Les personnages ne veulent plus lui poser des questions et s’inscrire dans une continuité naturelle aux limites du divin. Bien entendu, les célèbres champs et autres arbres sont toujours présents mais il y a quelque chose qui cloche. Ce quelque chose, c’est, avant tout, la pollution. Cette donnée passe par le métier exercé par Ben Affleck qui semble être ingénieur agronome. Les moments de poésie naturaliste ne passent plus comme à l’accoutumée car la nature est malade. Quelques percées sont possibles mais il est nécessaire de la nettoyer si l’on ne veut plus voir des montagnes de gravier ou de la boue « industrielle » dans les film du maître. En ce sens, grâce à ce discours écologiste, Terrence Malick se ferait presque politique. En tout cas, jamais il n’avait livré ses opinions aussi fortement qu’ici. Par contre, il en profite toujours pour parler de la banlieue américaine qu’il ne juge pas apte à recevoir l’Amour. La femme s’y ennuie et les perspectives ne sont pas réjouissantes dans le sens où dès que la barrière est mise en place dans le jardin, le couple commence à s’effriter. Normal, l’horizon est bouchée et personne ne peut s’aérer l’esprit, regarder le futur et imaginer le moindre mouvement. La Frontière, encore et toujours, n’existe tout simplement plus dans cet espace. C’est un crime américain. L’évolution est bien montrée avec cette construction qui s’agrandit au fur et à mesure et cette vision d’un terrain vierge, de rochers puis de palissades. Le sentiment amoureux va, normalement et naturellement, décrépir au fur et à mesure que la construction va prendre forme. De la même manière, et dans une optique inversée, c’est bien au plein air que Ben Affleck et Rachel McAdams vont s’apprécier avec ce ranch ouvert aux possibilités multiples. D’ailleurs, si des bisons font leur apparition, ce n’est pas anodin, l’animal est quand même l’emblème de l’Ouest sauvage et légitime la pureté du sentiment amoureux. La nature fermée n’est possible qu’en Europe car cela fait partie de son histoire et de sa culture car elle sait être magnifiée. Le couple que l’acteur forme avec Olga Kurylenko arrive à se déployer merveilleusement au Mont Saint Michel et c’est normal. Cela entre dans le cours d’une civilisation. Ces deux personnages vont essayer de recréer une chose identique aux USA mais la société et le projet qu’elle comporte sont bien différents. La nature américaine doit être sublimée sauvagement, elle ne doit pas être renfermée sur elle-même. C’est tout le drame que porte en lui A La merveille, film nullement naïf, faussement candide mais presque désespéré.

A La merveille s’inscrit dans la logique filmographique de son auteur. Néanmoins, malgré points de nouveauté tout à fait subtils mais marquants, on sent pour la première fois que Terrence Malick n’a pas fait de chef d’oeuvre ultime, la faute a une écriture parfois déséquilibrée. Pour un malickien convaincu, la sensation est bizarre. Comme un goût d’inachevé.


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