Magazine Culture

Les vagues de l'âme, les âmes très vagues

Publié le 20 mars 2013 par Petistspavs

On se sent du vague à l'âme, on se dit que rien ne va et rien n'ira plus jamais, et puis on tombe sur une nouvelle dont l'absolue tristesse relativise même ce qui nous semblait une absolue détresse. L'acteur David Dewaele est mort le 27 février, le jour où sortait sur quelques écrans  le nouveau film de Bruno Dumont, Camille Claudel 1915, dans lequel il ne figure pas. C'était à Hazebrouck, dans le nord, dans son pays. Il avait 37 ans. Ne cherchez pas, à de rares exceptions près, vous ne le connaissiez pas.


Hors Satan David Dewaele et Alexandra
Avec Alexandra Lematre dans Hors Satan (2011)

Ce n'était pas réellement un acteur.
On avait pu voir sa dégaine un peu farouche de jeune homme trop vite vieilli par la galère (prison, alcool, drogues, voyages sur place du RMI au RSA) dans Flandres (2006), Hadewijch (2009) dont certains se souviennent sans doute l'étonnante scène de l'étang et surtout Hors Satan (2011), dans lequel il avait enfin un rôle à sa mesure, le premier. Trois films de Bruno Dumont, pour qui Dewaele était "un homme dans un ailleurs permanent, trop allumé pour être dans la vie réelle". Interrogé par Gérard Lefort de Libé (cf. le numéro de lundi dernier), Dumont ajoute de son acteur qu'il appelait son "alter ego" : "On était équidistants et complémentaires, marchant chacun sur les bas-côtés du même chemin".
C'est bien sûr dérisoire, mais Hors Satan, avait été mon film préféré de 2011 et la composition étonnante de David Dewaele en tueur-guérisseur, évoluant donc dans un "ailleurs permanent", n'y était, certes, pas pour rien.
L'aventure cinématographique de cet acteur non-professionnel mais surdoué (lequel, par certains aspects, m'a toujours évoqué un Gabin qui ne se serait jamais évadé du quai des brumes) se limite à ces trois participations aux films de Dumont, mais quelque chose me dit que dans quelques générations, lorsque le cinéma ne sera plus une activité annexe à la vente de pop-corns puants et bruyants (on peut rêver), la critique se penchera à nouveau sur ce drôle de type, avec sa drôle de belle gueule et son regard si clair, désormais fermé, et pour toujours, sur son mystère.

Toute pour la musique.

Lento
Elle est belle, encore très jeune, née un 28 août, mais pas en 1984, et on apprend en cherchant un peu sur le net qu'elle chantait déjà en 1992. Youn Sun Nah, soit 나윤선 dans sa langue maternelle (je fais des efforts, d'autant que je suis lu régulièrement en Inde par une personne qui m'est chère et bute sur la difficulté à apprendre les langues locales, on la comprend) est coréenne comme les meilleurs cinéastes du temps présent (à l'exception de Bruno Dumont qui n'est pas coréen) et chanteuse et, en acceptant d'aborder la musique avec une certaine ouverture d'esprit, ce qui est la  moindre des choses, on peut dire qu'elle est même chanteuse de jazz.
J'avoue ne l'avoir découverte qu'il y a peu et avoir eu envie de la voir (sans doute de l'admirer, peut-être d'exercer ma dévotion) mais le 25 mars, pour le seul concert parisien qu'elle donne au Châtelet, il n'y a plus grand chose comme places (tant mieux pour la jeune femme) et surtout, je ne sais pas, au moment où j'écris (c'est dimanche) si ma compagne pourrait m'accompagner (jeu de mots facile, je sais), or une découverte peut être celle d'une vie, comme celle des Beatles ou de Raymond Carver, ou encore d'une jeune auteure dont je parlerai un peu plus bas. Et la découverte d'une vie, même hypothétique, ça se partage, ça ne se déguste pas à part soi.
Je viens de commander son dernier disque, Lento, qui, entre Scriabine et Ghosts riders in the sky, une scie western enregistrée des dizaines de fois et rappellera des choses aux amateurs de Bing Crosby ou Peggy Lee, mais aussi Elvis Presley ou Johnny Cash, semble prendre tout le temps nécessaire, comme une caresse, à notre séduction.
나윤선 se sert magnifiquement de sa voix et je pensais faire oeuvre d'originalité en écrivant que sa tessiture est étonnante, mais je me rends compte que tout le monde le dit. Tout le monde ? Ceux qui ont eu le privilège de l'entendre. Et il est vrai qu'elle passe du très grave au très aigu sans en avoir l'air, en souriant, renvoyant Yoko Ono à nos mauvais rêves musicaux où la Lennon nippone a choisi de résider.

Donc, le 25 à 20 heures, je ne serai probablement pas au Chatelet, et je ne percevrai pas les premières salves du peloton d'applaudissement (adepte du n'importe quoi, je reviens un instant à un billet précédent, qui traitait de l'adoption par l'Arabie Saoudite de la mise à mort par par la fusillade et non plus par décapitation au sabre, et je me rends compte que, bien qu'adepte de Georges Bataille, je n'avais jamais saisi à quel point les mots font l'amour avec perversité, pelotons pour ôter la vie, peloter pour faire vivre un corps. Fermons cette parenthèse).

Deux vidéos de 나윤선 pour, peut-être, vous faire partager mon enthousiasme juvénile. Dans la première, associée à une radio commerciale que je n'aime pas (mais que les autres fassent leur boulot !), la dame s'affronte sans y être obligée à un monument sur lequel bien d'autres se sont pété les dents. Elle, avec majesté, émotion et peut-être candeur (mais je me trompe certainement) donne, offre, fait cadeau d'une interprétation d'Avec le temps, la scie de Léo Ferré, d'une justesse, simplement à pleurer. Surtout que cette chanson me correspond bien aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi.
Justement, en revoyant cette vidéo in extenso, j'ai versé des larmes. Alors, ce n'est pas pour plaisanter que je vous la donne. Je crois utile de préciser que la chanson est coupée par un (très beau) chorus de guitare, mais la puissance d'émotion et d'intelligence des mots de Léo, la finesse de sa mélodie et la visitation qu'en fait cette jeune femme, méritent que les cliqueurs écoutent jusqu'au bout, même si notre rythme de cons nous rend difficile de prendre le temps, de vivre avec le temps. Je rappelle que l'album dont il est question s'appelle Lento.


[Le monsieur à la casquette et à la guitare n'est pas vraiment non plus le dernier des cons. Musicien d'origine suédoise, Ulf Wakenius a joué avec les plus grands, comme on dit, par exemple Bill Evans, Jack de Johnette, Oscar Peterson avec Ray Brown et Michel Legrand. Il s'est même lancé en 2003 dans un duo avec Pat Metheny. Mais depuis quelques années il s'est attaché aux cordes (vocales) de la belle asiatique.]

La deuxième et dernière vidéo ne rend pas plus compte que le première de la singularité de cette merveilleuse production asiate. C'est une autre scie du répertoire français (évidemment, Youn Sun Nah a un répertoire beaucoup plus ample et excelle même dans le scat, ce qui n'est pas donné à toutes). Quand on pense que Jacques Brel, homme à femmes, l'avait écrite pour Suzanne Gabriello, qui avait énormément de qualité, dont son père, mais qui n'était pas un canon de beauté, encore que ça veut dire quoi ? Mais quand j'ai regardé cette vidéo, il s'est passé quelque chose. Mes larmes ont réussi à couler, enfin, me libérant de tellement de choses. Alors la voici, avec un côté bastringue qui me laisse de marbre et une flamme qui brûle comme un incendie dans ma tête qui aimerait un peu de repos. Youn Sun Nah. Mais tuer le batteur (le cogneur) serait un plaisir sucré.

Elle a tellement l'air, encore, de remercier quand elle remercie. Et elle fait, indépendamment de la chanson académique, mais incontournable du jazz vocal, scat compris.
En revoyant la seconde vidéo, au moment parfois pénible de la correction et de la validation de ce qui a été écrit (car, il n'y a pas de secret et comme je le dis à mes collaboratrices et teurs, quand on a écrit, avant de montrer ses écrits, il faut RELIRE, RELIRE, RELIRE !) je me rends compte que ce texte de Jacques Brel, que je trouve par ailleurs indigne et indécent, est peut-être un des plus beaux de la langue française, en ce qu'il dit avec simplicité, humilité (trop) les mots de l'amant amoureux au moment où il accepte l'humiliation pour ne pas perdre ce qui était sa vie, sa chance de vie, sa possibilité d'être, encore et peut-être pour la dernière fois. 

Son site ICI.
La très belle Humeur vagabonde de Katheen Evin sur inter, où j'ai découvert la dame, ICI.

Ciné : putain, tu te rends compte, le cinéma,
comme ça peut être beau

Ce qui m'embête, c'est tout ce que je n'ai pas vu et que je ne verrai peut-être plus : Fureur apache, qui ne passait qu'au Christine, Spring BreakersA la merveille (comment snober un nouveau Terrence Malick, surtout tourné en partie au Mont St Michel ?) et La bandera, qu'on devait voir et, enfin, Syngué Sabour - Pierre de patience. Je ne parle même pas de La Porte du Paradis, qui me semble fermée pour cette vie.

Mais, j'ai pu voir Camille Claudel 1915.
On sait depuis Méliès que  le cinéma est magie, alors qu'on sait depuis les Frères Lumière que le cinéma traduit la réalité. Entre les deux, le coeur vibrant de Godard n'a cessé d'osciller. Bruno Dumont, depuis son premier film (La vie de Jésus) nous montre dans ses films la réalité, dans ce qu'elle peut avoir de plus trivial, jusqu'à une insistance trouble sur ses moments de vacuité, de vide, d'ennui. Et cette vision n'exclut jamais le lyrisme, bien au contraire.
Montrer la réalité n'empêche pas non plus la recherche d'une spiritualité et depuis quelques films (au moins Hadewijch et Hors Satan), Dumont nous parle de Dieu, ou plutôt des fous de Dieu. Dans Hadewijch, une jeune fille de bonne famille, vierge et catho jusqu'au bout du clitoris partcipait, par pureté évangélique, à un attentat terroriste. Dans Hors Satan, la présence de Dieu était dans les prières et dans les armes à feu (j'ai écrit cette partie avant de savoir la terrible, infernale nouvelle de la mort de David Dewaele, dont la sombre présence est partout dans ce billet).
Camille Claudel 1915 va plus loin, me semble-t'il, en ce qu'il confronte la folie ordinaire et instititionnalisée dans les asiles de timbrés et la folie de Dieu. Camille et Paul. Deux créateurs en proie à leurs enfermements, l'asile, l'église, la création, la religion. En tant que cinéaste majeur, Dumont fait un usage du fameux champ-contre champ comme facteur d'exclusion. Il n'y a aucun suspens dans ce film et on sait que l'on va accompagner Camille Claudel pendant les trois jours de solitude et de souffrance qui ne doivent rien à la spiritualité (même si elle psalmodie en latin de vaines prières) pendant lesquels elle attend, comme on attend un Messie (d'où la scène à l'église) la visite de son frère, Paul, le Grand Homme qui répand sa spiritualité comme un sperme et s'en satisfait comme d'une branlette, tout en laissant sa soeur vivre folle parmi les fous, alors qu'elle n'est manifestement  pas plus atteinte que lui. Mais lui est un homme, elle est une femme, petite différence devant Dieu, les bigots et la grande littérature.
Ce film qu'on dit austère est bouleversant. Des journaux complaisants, en particulier les gratuits, ont répandu l'idée stupide selon laquelle le film serait un biopic. Biopic de quoi ? Il s'agit de l'affrontement de deux croyances, celle en l'art, la création et la vie et celle en Dieu, un Dieu tout puissant, un Dieu qui punit. Et cet univers est sans pitié. Celui qui professe la bonne religion, pourtant auteur du sublime Soulier de satin, n'a finalement que faire de cette pauvre folle que son talent même condamne.
Film rare, austère peut-être, porté par une Juliette Binoche en pleine grâce, Camille Claudel 1915 est d'une beauté rare, exigeante, inhabituelle. Les applaudissements pendant le générique de fin (générique que beaucoup ont boudé, pressés comme d'habitude de  rejoindre la trépidation parisienne), auxquels je ne me suis pas joint, étaient un remerciement à un cinéaste et une équipe entraînée par sa principale comédienne, en béatitude.
On ne comprend plus la relation de Dumont à la foi, mais à chaque avancée dans son chemin de croix personnel, il nous éblouit, nous fait mal aux yeux, tant son cinéma est lumineux.

Littérature : Sophie Maurer, deuxième !

Les indécidables

Les pages « people » de la presse complaisante ne nous disent rien de Sophie Maurer.
En fait, on peut difficilement être moins people que cette jeune femme. On ne sait pas grand chose de son visage, mais on ne sait rien des endroits qu’elle pourrait fréquenter, de sa nouvelle coupe de cheveux coiffée/décoiffée à 900 euros, du dernier nail bar qu’elle a découvert, de son merveilleux chirurgien esthétique brésilien, de l’armée de gourdasses qui dindinent derrière sa croupe dans tous ses déplacements, du métier de son Jules si elle en a un, du couturier de sa Juliette si elle préfère les Juliettes aux Jules. Elle n’a pas été flashée pour Facebook, bourrée comme une enclume à quatre heures du matin au sortir d’un club tendance et au bras d’un taré de la Nouvelle star et on ne sait même pas si elle préfère Top chef à The voice. Enfin, elle ne confie pas à Twitter, comme à un journal intime consultable par la Terre entière ce qu’elle a mangé à midi (photo un peu floue à l’appui).
En fait, pages people ou pas, on ne sait pas grand chose de Sophie Maurer qui s’avère une personne discrète, ce qui est d’ailleurs une qualité en ces temps où le Spectacle semble faire la Société et où le Virtuel maquille de nombreuses réalités en leurs avatars.

Or, cette personne a publié en 2007, dans la collection Fiction & Cie du Seuil un ouvrage passionnant, entre roman et recueil de nouvelles, Asthmes. Un livre singulier, un espace de respiration dans lequel une dizaine de personnages se côtoient, s’entrecroisent, vivent leur aventure ou leur drame, sans jamais réellement se rencontrer. En moins de cent pages d’une écriture dense et fragile, l’auteure dessine une sorte de sociologie poétique de la ville, de cartographie des différentes solitudes qui s’y déploient, une dialectique de la différence et de l’indifférence, les peurs enfantées par l’une se diluant dans la quiétude un peu lâche de l’autre.

Sophie Maurer 2007
C’est un court article des Inrocks qui avait éveillé mon attention pour ce livre et, plus que l’article lui-même, cette photo anti-glamour d’une étrange grande petite fille, qui l’illustrait et qui est restée à peu près la seule photo de Sophie M. disponible sur le net. Cette lecture d’Asthmes m’avait simplement bouleversé et, sans le relire en entier pour moi même, j’avais pris l’habitude d’en faire la lecture aux personnes de mon entourage sensibles à la beauté d’une écriture. A l’occasion d’un déménagement en 2011, je me suis rendu compte que l’ouvrage avait été égaré.

Aujourd’hui (d'où ce billet), Sophie Maurer publie un deuxième roman, dans la même collection Fiction & Cie, curieusement titré Les indécidables. Et je m’étonne, le livre étant en librairie depuis deux semaines, de n’avoir pas encore trouvé la moindre ligne le concernant dans la presse lisible (c’est à dire, la presse que je lis, c’est comme ça). Je compte sur la sortie des news culturels du mercredi (Hé, Les inrocks, Télérama c’est de vous que je cause !), ainsi que des pages littéraires de la presse quotidienne, donc plutôt jeudi, pour lire des pages entières à propos de cette sortie attendue (par moi en tous cas, mais aussi à l’évidence par tous les lecteurs d’Asthmes) dans l’impatience pendant six ans.
Je reviens en dire quelques mots après lecture.

Pour terminer, je me permets de piquer à Sophie M. un petit extrait d’un blog qu’elle a tenu quelque temps, mais abandonné en 2009 (Résidence en dissidence). Je cite ses phrases (elle y évoque James Salter, écrivain américain) car j’aurais aimé les écrire à son attention à elle : "Un bonheur parfait, de James Salter. Parce qu’on l’a oublié. Parce qu’Un sport et un passe-temps, le livre le plus connu de Salter, nous avait fait pleurer et que ça n’arrive pas souvent qu’un roman ait ce pouvoir. Parce que Salter a écrit trop peu de livres et qu’il nous oblige à les lire et à les relire encore et encore, pour tenter de comprendre où réside l’irrésistible de son écriture."

Auto-pub : mon premier billet sur Sophie M., le 16 mai 2007, peut être consulté ICI.

Ce billet est bien trop long, je m'en excuse vivement, j'essaierai de faire court la procheine fois.
Bonne fin de semaine. Voyez Dumont, lisez S. Maurer, écoutez Youn Sun Nah et passez du bon temps.
Et pensez à moi, si vous avez un moment. Merci, ça fera du bien.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Petistspavs 492 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines