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Je viens de terminer Tous nos hiers, roman datant de 1952, écrit...

Par Mmepastel
Je viens de terminer Tous nos hiers, roman datant de 1952, écrit par une inconnue (de moi) : Natalia Ginzburg.

C’est une amie chère qui m’a recommandé, mieux, qui m’a offert ce livre ; d’habitude, j’ai du mal à lire ce qu’on me recommande, je suis toujours très concentrée sur mes propres lubies et obsessions. En plus, là, il y avait peu de chances que je tombe dessus par hasard : l’auteure est peu connue en France, elle est décédée depuis douze ans, donc pas vraiment sous les feux de la rampe (et risque de ne jamais trop l’être) son roman est paru dans une collection qui m’est quasiment inconnue : Liana Lévy, Piccolo, il parle de la deuxième guerre mondiale vue à travers le prisme de l’Italie fasciste. À peu près rien qui ne me tenterait d’ordinaire.

Mais ouf, grâce à l’insistance de mon amie, j’ai tenté les premières pages et ce fut un petit miracle. J’ai tout de suite été séduite par l’écriture. Eh oui, au fond, c’est quand même toujours à ça que ça tient. La narration se fait d’une manière très originale : évoquant une famille (puis deux), et principalement les enfants de cette famille (des ados), l’écriture se fait simple, voire répétitive. Des formules reviennent sans cesse pour caractériser les personnages, de la même façon que leurs propos récurrents essaiment le récit, avec la même répétition assumée, comme si un enfant racontait. Enfin, un enfant de roman quoi. Un faux. Mais la naïveté de l’enfance est du coup bien mimée, les personnages deviennent des caractères, et le portrait de famille se fait aussi lumineux qu’attachant. Une famille dans laquelle le langage est identité (et ça, ça me parle personnellement). De plus, rassurez-vous, les personnages n’en deviennent pas pour autant des caricatures car au fur et à mesure du récit, ils s’épaississent, gagnent en densité, gardent aussi une forme d’opacité, ce qui, pour le coup, ressemble très fort à la réalité. Et autre miracle de l’écriture à-la-façon-enfantine-mais-en-fait-c’est-un-tour-de-force, ce sont des raccourcis époustouflants ; comme les métaphores les plus réussies, la poésie est plus belle lorsque des choses apparemment éloignées se trouvent mises en parallèle. De cette friction inouïe naissent des fulgurances, ce que la magie du langage seule peut créer.

Autre caractéristique qui entremêle les deux qualités originales précédemment citées : aucun dialogue, uniquement des paroles rapportées indirectement. Et qui font apparaître ces répétitions, le choc des personnalités qui s’opposent, la poésie d’un dialogue énervé entre êtres qui se heurtent à l’absurdité de l’Histoire, qui se dépatouillent avec ce qu’ils sont et ce qu’ils doivent vivre.

Exemple de dispute entre deux jeunes résistants un peu trop théoriques et Cenzo Rena, l’homme bon et pragmatique au sujet d’un paysan voleur : “(…) il volait parce quil savait que le monde était mal fait et qu’on vivait en volant, en se dépouillant les uns les autres ; il faudrait bien qu’on arrête un jour de vivre ainsi mais ce n’était pas simple et il ne voyait pas pourquoi le paysan d’Ippolito aurait dû justement commencer. Alors Emanuele disait dans un murmure que c’étaient des lieux communs. Des lieux communs ! criait Cenzo Rena, bien sûr que c’étaient des lieux communs, mais pourquoi ne pas répéter les lieux communs quand ils étaient vrais ? Voilà donc ce qui leur était arrivé : par honte et par peur des lieux communs, ils s’étaient tous les deux perdus dans leurs rêvasseries compliquées et vides, ils s’étaient perdus dans le brouillard et la fumée. Peu à peu, ils étaient devenus de vieux enfants, deux très vieux enfants savants. Comme les enfants, ils avaient créé un rêve autour deux, un rêve sans joie ni espoir, un rêve aride de professeur.”

Un grand livre.

Je viens de terminer Tous nos hiers, roman datant de 1952, écrit par une inconnue (de moi) : Natalia Ginzburg.

C’est une amie chère qui m’a recommandé, mieux, qui m’a offert ce livre ; d’habitude, j’ai du mal à lire ce qu’on me recommande, je suis toujours très concentrée sur mes propres lubies et obsessions. En plus, là, il y avait peu de chances que je tombe dessus par hasard : l’auteure est peu connue en France, elle est décédée depuis douze ans, donc pas vraiment sous les feux de la rampe (et risque de ne jamais trop l’être) son roman est paru dans une collection qui m’est quasiment inconnue : Liana Lévy, Piccolo, il parle de la deuxième guerre mondiale vue à travers le prisme de l’Italie fasciste. À peu près rien qui ne me tenterait d’ordinaire.

Mais ouf, grâce à l’insistance de mon amie, j’ai tenté les premières pages et ce fut un petit miracle. J’ai tout de suite été séduite par l’écriture. Eh oui, au fond, c’est quand même toujours à ça que ça tient. La narration se fait d’une manière très originale : évoquant une famille (puis deux), et principalement les enfants de cette famille (des ados), l’écriture se fait simple, voire répétitive. Des formules reviennent sans cesse pour caractériser les personnages, de la même façon que leurs propos récurrents essaiment le récit, avec la même répétition assumée, comme si un enfant racontait. Enfin, un enfant de roman quoi. Un faux. Mais la naïveté de l’enfance est du coup bien mimée, les personnages deviennent des caractères, et le portrait de famille se fait aussi lumineux qu’attachant. Une famille dans laquelle le langage est identité (et ça, ça me parle personnellement). De plus, rassurez-vous, les personnages n’en deviennent pas pour autant des caricatures car au fur et à mesure du récit, ils s’épaississent, gagnent en densité, gardent aussi une forme d’opacité, ce qui, pour le coup, ressemble très fort à la réalité. Et autre miracle de l’écriture à-la-façon-enfantine-mais-en-fait-c’est-un-tour-de-force, ce sont des raccourcis époustouflants ; comme les métaphores les plus réussies, la poésie est plus belle lorsque des choses apparemment éloignées se trouvent mises en parallèle. De cette friction inouïe naissent des fulgurances, ce que la magie du langage seule peut créer.

Autre caractéristique qui entremêle les deux qualités originales précédemment citées : aucun dialogue, uniquement des paroles rapportées indirectement. Et qui font apparaître ces répétitions, le choc des personnalités qui s’opposent, la poésie d’un dialogue énervé entre êtres qui se heurtent à l’absurdité de l’Histoire, qui se dépatouillent avec ce qu’ils sont et ce qu’ils doivent vivre.

Exemple de dispute entre deux jeunes résistants un peu trop théoriques et Cenzo Rena, l’homme bon et pragmatique au sujet d’un paysan voleur : “(…) il volait parce quil savait que le monde était mal fait et qu’on vivait en volant, en se dépouillant les uns les autres ; il faudrait bien qu’on arrête un jour de vivre ainsi mais ce n’était pas simple et il ne voyait pas pourquoi le paysan d’Ippolito aurait dû justement commencer. Alors Emanuele disait dans un murmure que c’étaient des lieux communs. Des lieux communs ! criait Cenzo Rena, bien sûr que c’étaient des lieux communs, mais pourquoi ne pas répéter les lieux communs quand ils étaient vrais ? Voilà donc ce qui leur était arrivé : par honte et par peur des lieux communs, ils s’étaient tous les deux perdus dans leurs rêvasseries compliquées et vides, ils s’étaient perdus dans le brouillard et la fumée. Peu à peu, ils étaient devenus de vieux enfants, deux très vieux enfants savants. Comme les enfants, ils avaient créé un rêve autour deux, un rêve sans joie ni espoir, un rêve aride de professeur.”

Un grand livre.


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