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Le premier venu

Par Rob Gordon
Le premier venuC'est vrai que les films de Doillon sont rarement rigolos, et qu'on y entre souvent une certaine appréhension. Celle de passer deux heures à s'ennuyer sec devant un gros machin d'auteur pas engageant pour deux sous, austère et hermétique. Le premier venu dissipe rapidement ces craintes, entrant tout de suite dans le vif du sujet et ne nous lâchant plus que par intermittences. Les yeux noirs, intenses, profonds de Clémentine Beaugrand sont une invitation au voyage ; on aura beau ne jamais quitter la baie de Somme, on s'envolera pourtant à des lieues de son siège.
Sous des aspects très classiques (triangle amoureux, film social et j'en passe), Le premier venu est sans doute le film le plus insaisissable de l'année. Ça commence par cette course-poursuite immobile entre une très jeune femme et le type qui lui a pris (c'est le mot qui convient) sa virginité. Elle l'avait choisi au hasard et persiste à s'accrocher à lui, parce que ce qu'elle lui a donné, indépendamment de la beauté du moment, crée entre eux un lien indéfectible. Entre en piste un jeune flic sans doute un peu amoureux de cette fille, qui va se mêler de ce qui ne le regarde pas. C'est en tout cas le début, puisque cette aventure doillonesque a ceci de fascinant qu'elle fait évoluer sans cesse les personnages et les évènements. On a rarement vu quelque chose d'aussi inconfortable, tant il faut réévaluer et réanalyser chaque partie du tout et le tout lui-même à chaque seconde. La Camille en question est-elle simplement une fille paumée en quête d'un grand amour, une désespérée s'accrochant à n'importe qui pour se donner l'air d'exister, ou autre chose encore ? Et ce fameux "premier venu", du nom de Costa, n'est-il qu'un minable et une petite tête, ou a-t-il autre chose à offrir ? Le premier venu est une question gigantesque, qui déroule avec grâce des scènes d'une beauté limpide et casse le rythme en insérant l'air de rien quelques micro-fissures issues de l'univers du film noir. Sur le moment, c'est perturbant ; avec un peu de recul, c'est relativement salvateur.
Comme très souvent, la qualité d'un Doillon dépend de celle de ses interprètes. Il y a donc cette Clémentine Beaugrand, regard hypnotique et volonté d'acier, captant la lumière comme personne et portant le film sur ses pas si frêles épaules. Et il y a Gérald Thomassin, sans doute meilleur que jamais, donnant à son personnage une complexité telle qu'on ne sait jamais s'il faut l'adorer ou le rejeter en bloc. Les autres ne sont pas mal non plus, bien mis en valeur par une mise en scène pure, simple, respirant l'évidence et le naturel. Quoi de mieux pour un film sur le regard qu'un metteur en scène qui pose le sien sans juger, extrayant simplement là beauté de là où elle est ?
8/10

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