Les Vaches Folks retrouvent, cette semaine, le Canadien Dave Goodman, qui fut déjà l'invité des deux premières éditions, en 2005 et 2006. Installé à Brême, en Allemagne, il revient avec plaisir en Bretagne, auréolé du succès de son tout nouvel opus, "The wine dark sea".
Vous êtes né à Victoria, en Colombie-Britannique, dans une famille où la musique prenait beaucoup de place. Vos parents étaient-ils musiciens ou est-ce plutôt vos frères aînés qui vous ont transmis cette passion ?
Un peu des deux, en fait. Ma mère a toujours adoré chanter et m'a toujours encouragé dans cette voie. Avec mes frères, j'ai l'impression d'avoir partagé un boeuf qui a duré des années, et au cours duquel nous nous entraînions les uns les autres.
Est-ce vrai que le violon fut votre tout premier instrument ?
J'ai commencé à en jouer à l'âge de 11 ans, mais à peine un an plus tard, j'ai eu la chance d'avoir une guitare entre les mains et j'ai immédiatement changé d'instrument tant celui-ci me paraissait fait pour moi. Même si je n'ai pas tout de suite commencé à chanter, je suis très vite tombé amoureux du blues et du rock. La guitare électrique me semblait la plus à-même d'accéder à cet univers musical qui me fascinait.
L'activité professionnelle a-t-elle contribué à faire de vous un artiste ?
Pas vraiment, non. Je dirais par contre que leur amour des arts, de façon générale, a généré un environnement particulièrement créatif à la maison.
Quel type de parcours avez-vous suivi ?
J'ai été l'apprenti de Dave Vidal, un guitariste de légende de la côte ouest du Canada. Il m'a appris à fabriquer des guitares électriques et, aussi, à en jouer. Par la suite, je suis allé étudier le jazz à Vancouver College, mais ce que j'ai appris de Dave Vidal est sans comparaison. Il reste pour moi un exemple à suivre, en plus d'être un bonhomme vraiment sympa.
Aviez-vous imaginé devenir un jour musicien professionnel ?
Cela m'est venu très tôt. J'ai toujours été relativement doué avec mes mains et adorais fabriquer des trucs, mais cela m'est toujours apparu secondaire par rapport à mon désir de devenir artiste.
La chanson "East bound train"
D'après ce que j'ai lu, vous étiez plutôt précoce puisque vous vous produisiez dès l'âge de 15 ans dans les bars, au côté de votre ami Miles Black…
C'est vrai. Miles est sûrement l'un des plus grands musiciens qu'il m'ait été donné de côtoyer. Même quand nous n'avions que 15 ans, il jouait déjà du piano comme un musicien de jazz chevronné. Ça a toujours été un plaisir de jouer à ses côtés.
Est-ce vrai que vous évoluiez davantage au début dans le domaine du jazz ?
Oui, j'étais vraiment fasciné par la complexité du jazz et j'en jouais énormément à l'époque. Ceci dit, je n'ai jamais cessé d'en jouer. Je suis persuadé que c'est par le jazz que j'ai développé le côté le plus "intellectuel" de mon jeu. Cependant, je n'ai jamais voulu devenir un pur musicien de jazz parce que je suis plus attiré, dans le fond, par les musiques faisant davantage appel aux sentiments.
Comment se fait-il que vous ayez pu vous produire au sein du fameux Honor Jazz Ensemble qui était dirigé par le légendaire Phil Nimmons ?
Lors de ma dernière année d'études secondaires, toutes les écoles de Colombie-Britannique ont été invitées à présenter leurs musiciens pour une audition. Tous les participants devaient soumettre un enregistrement d'eux-mêmes à un jury basé à Vancouver. Les musiciens retenus, dont je fus, purent se produire avec l'orchestre de Phil Nimmons. J'y ai joué de la guitare.
C'est après ça que vous êtes allé étudier le jazz à Vancouver College. De quoi rêviez-vous en ce temps-là ?
Je rêvais très humblement de devenir le nouveau Pat Metheny, comme environ dix millions d'autres jeunes hommes (rires).
Après vos études, vous avez beaucoup tourné au Canada et aux Etats-Unis au côté de nombreux musiciens...
Ce fut une période d'expérimentation. J'ai essayé plusieurs styles de musique tout en partant à la découverte du monde. C'est aussi à ce moment-là que j'ai commencé à chanter, ce qui représentait un avantage certain pour trouver des concerts.
Qu'est-ce qui vous a fait peu à peu basculer du jazz au blues ?
C'est sans doute la découverte de Robben Ford et Larry Carlton. A travers eux, j'ai vu une possibilité de réunir les deux facettes de ma personnalité : le raffinement du jazz et le côté sensitif et puissant du blues.
Pouvez-vous nous raconter votre rencontre mémorable avec John Lee Hooker ?
Dans les années 90, j'ai pas mal joué avec Stu Blank, un chanteur et pianiste formidable. Stu était un ami de John Lee Hooker et il l'a invité à venir nous voir jouer dans un club de San Francisco où nous nous représentions. Pour être franc, je m'étais montré plutôt sceptique quand Stu m'a dit que Hooker passerait peut-être faire un tour. Mais il est bel et bien venu, entouré de deux ravissantes jeunes femmes, vêtu d'un costume en peau de requin, un feutre rond vissé sur la tête. Nous avons joué devant lui pendant une heure et demie… Il était assis à une table à moins de cinq mètres de nous. Il nous a félicités à l'issue du concert avec son bégaiement si caractéristique : “You b- b -b -boys, y-y -yoos so good, y-yoos so tight” (vous êtes tellement bons les gars, c'est du solide, ndt). Il m'a ensuite demandé mon numéro de téléphone avant d'apposer sa signature au feutre sur ma Stratocaster. Inutile de dire que j'ai fait laquer l'instrument : de fait, la signature est encore visible aujourd'hui. Ce fut sans doute l'un des moments les plus lumineux de ma carrière.
Parallèlement à votre carrière de musicien, vous n'avez jamais abandonné votre passion pour la facture d'instruments… Vous avez notamment travaillé pour Mesa Boogie, un grand fabriquant californien d'amplis…
C'est vrai que j'ai toujours aimé ça. J'ai une collection assez impressionnante de guitares et d'amplis dans mon studio. Je m'occupe moi-même de leur entretien et je les utilise tous pour ma musique. Mes connaissances techniques m'ont souvent permis d'aller plus loin musicalement… Pour Mesa Boogie, j'ai notamment dessiné le "Revolver", un boîtier rotatif pour ampli basé sur le concept d'un ampli Leslie. L'objet a connu pas mal de succès auprès des guitaristes, y compris quelques stars. J'en ai notamment livré deux en personne à Carlos Santana.
Quand avez-vous joué en Europe pour la première fois ?
La toute première fois, c'était dans les années 90, avec le Ford Blues Band. C'est au cours de cette tournée que j'ai pu faire la connaissance de Manfred Fleckenstein, qui m'a invité à aller jouer en Allemagne, à son fameux festival des Breminales à Brême. A l'issue de plusieurs tournées européennes organisées par lui, j'ai choisi de m'installer en Allemagne. J'étais un peu fatigué de la vie en Californie; je n'avais pas non plus envie de retourner au Canada pour des raisons professionnelles et, surtout, j'avais toujours été fasciné par l'Europe depuis ma tendre enfance. L'Allemagne était aussi le pays de mon manager, de ma maison de disques et, celui où j'ai rencontré ma femme.
Quel fut le premier enregistrement auquel vous vous êtes attelé après votre installation en Allemagne ?
Le premier CD que j'ai enregistré fut "Roadbook Rhymes". Il s'agissait de mon tout premier album acoustique.
À partir de quel moment avez-vous commencé à travailler pour Yamaha ?
Ils m'ont proposé, en 2003, de devenir leur représentant pour les guitares acoustiques. Au début, c'était en Allemagne seulement, mais ça a vite pris davantage d'ampleur.
Pouvez-vous nous dire deux mots au sujet du DVD "Blue", sorti en 2010 ?
Il s'agit d'un documentaire réalisé sur ma vie et ma musique par Willie Burger, un cinéaste très talentueux vivant à Brême. Le tournage, qui a été réalisé sur une période de deux ans, comporte des extraits de concert, des interviews et le tout se termine par une leçon de guitare.
"The river boat", un extrait du DVD "Blue" :
Autre facette de votre travail, vous êtes aussi producteur et compositeur. Vous avez notamment collaboré avec Fred Blondin, qui écrit des chansons pour Johnny Hallyday et tourne avec lui...
Fred avait entendu mon album "Rock skies and waters" et l'avait semble-t-il beaucoup aimé. Il est entré en contact avec moi et m'a demandé si je voulais bien travailler sur un projet d'album acoustique à partir de chansons de style pop rock qui avaient déjà fait l'objet d'enregistrements dans les années 80. Il souhaitait que je joue les plages de guitare et que je sois accompagné par mon propre groupe dans le studio où j'avais enregistré mon album; il voulait qu'on donne une sonorité "live" au projet et c'est ce que nous avons fait pour l'essentiel, à l'exception de quelques solos. Cet album de Fred ne fut pas une production facile. Quand il est arrivé en Allemagne, il n'avait rien préparé. Je lui avais aussi demandé de venir une semaine avant l'entrée en studio pour qu'on puisse répéter, mais il s'est pointé pratiquement à la dernière minute, avec des idées qui allaient à l'encontre de ce qu'il m'avait annoncé, puisqu'il semblait vouloir s'orienter vers l'enregistrement de prises multiples. Après plusieurs discussions, parfois houleuses, nous sommes parvenus à nos fins. Mais l'expérience du studio peut s'avérer stressante lorsqu'on dispose d'un budget et d'un temps limité. D'où l'importance d'être bien préparé.
Vous êtes aujourd'hui considéré de par le monde comme un guitariste virtuose… Comme définiriez-vous votre relation avec l'instrument ? Cela s'apparente-t-il à une bataille de tous les instants ?
Depuis toujours, ce que je recherche en faisant de la musique, c'est évoluer et m'améliorer. Cela demande naturellement beaucoup d'énergie, mais m'en donne aussi en retour. En définitive, plus qu'une bataille, je dirais que c'est pour moi une sorte de religion.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune guitariste ?
Je lui conseillerais de jouer beaucoup, surtout s'il veut en faire son métier. Mais il est important de ne pas exagérer non plus. Je me souviens de jouer, lorsque j'étais plus jeune, pendant quatre à huit heures par jour. Ça va un moment, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a aussi une vie à côté. Il ne faut pas prendre ça trop au sérieux. Les amis, la famille, s'amuser, ça compte aussi.
Vous continuez à beaucoup tourner dans le monde entier. Est-ce que la scène est ce qui compte le plus à vos yeux ?
J'adore la scène du fait du contact et de l'interaction avec le public. Et aussi parce que j'ai toujours beaucoup aimé la spontanéité de l'improvisation.
La chanson "Insurance" en concert :
Pour votre plus récent album, "The wine dark sea", vous avez collaboré avec le harpiste Steve Baker. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Par le biais de sa femme, qui est tourneur. Elle a organisé une série de concerts pour nous deux et ça a plutôt bien fonctionné. C'est à partir de là que nous avons décidé de lancer un projet commun. Cet album est sans doute, jusqu'à présent, le plus ambitieux de tous. J'ai enregistré et réalisé la majeure partie des morceaux chez moi, dans mon home studio. La harpe et quelques autres plages ont été enregistrées dans un autre studio à Hambourg. L'ensemble a pris plus d'un an parce que je tournais beaucoup. Ça n'a donc pas été évident à compléter. Steve, en tant que soliste, aime bien qu'on lui donne de la place. Il a fallu jongler pour répondre à son attente sans pour autant sacrifier l'esprit que je voulais donner à mes chansons. Il a fallu qu'on fasse preuve de créativité…, et qu'on discute beaucoup. Le son de cet album tranche avec mes projets précédents grâce à la présence de la harpe. Plusieurs m'ont dit qu'ils le trouvaient plus bluesy. Je suis satisfait, en tout cas, du résultat final.
Vous vous êtes bâti une solide réputation d'auteur, outre celle d'instrumentiste et de compositeur. Qu'est-ce qui vous inspire le plus, dans l'écriture de vos textes ?
Le voyage est essentiel. Le voyage autour du monde, mais aussi sans aucun doute le voyage intérieur. Les deux vont de paire, vous ne croyez pas ?
Comment vous y prenez-vous pour écrire une chanson ? C'est la musique qui vient en premier ?
Le plus souvent, tout débute avec une phrase qui se marie bien avec une mélodie et quelques accords. Un petit diamant brut à façonner en quelque sorte. Le travail consiste ensuite à ne pas trop faire entrave à l'intuition, qui prend peu à peu le dessus. Une petite couche de vernis par dessus, et le tour est joué. Pour moi, le plus important est de laisser la chanson me dire ce qu'elle a à me dire plutôt que de lui imposer un carcan.
Vous vous êtes déjà produit à Cast en 2007, lors de la toute première édition des Vaches Folks. Vous vous en souvenez ?
Bien sûr, j'avais beaucoup aimé ce show et j'adore la Bretagne. Je tournais à l'époque avec David Munyon, ce qui fut une expérience très colorée.
Jouerez-vous en solo ?
Tout à fait, mais j'apporterai deux guitares !
Y présenterez-vous surtout les chansons de votre dernier album ?
Pas seulement, je donnerai à découvrir des extraits de mon oeuvre tout entière : des chansons plus anciennes et d'autres plus récentes. Mais qui peut dire ce qui va se passer ce soir-là ? Tout est possible, rien n'est prévisible.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par Titus le 24 mars 2013. Photos : Manfred Pollert.
PRATIQUE
Aux Vaches Folks, samedi 30 mars, à 20 h 30. Première partie assurée par Lena Potin, Laurine Bassignani et Charlie Richardson Smith. Autre tête d'affiche : Flip Grater.
Réservations sur Ticketnet. Entrée : 18 € sur place ou 16 € en location (+ frais).
POUR EN SAVOIR PLUS
Le site officiel de Dave Goodman
Sa chaîne Youtube
La page Facebook de l'artiste
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