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Hollande et le livre : quelle priorité ?

Par Labreche @labrecheblog

En visite au Salon du livre pour son inauguration le 22 mars, le chef de l’État, accompagné de la ministre de la culture Aurélie Filippetti, déclarait considérer le livre comme « une grande priorité culturelle ». Mais quel contenu peut-on vraiment espérer derrière l’annonce de circonstance ?

Le choix du Salon du livre

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Après le Salon de l’agriculture, le président Hollande avait donc choisi de rendre visite au Salon du livre de Paris pour son inauguration, afin selon lui de « renouer avec une tradition » (bien que deux éditions seulement aient été fréquentées par le chef d’État en exercice avant celle-ci, en 1982 et en 2001). Un salon, qu’il fût du livre, a de fait cela de particulier de ne pas vraiment être un lieu de culture. Porte de Versailles, on ne parcourt pas les rayonnages garnis en parlant à mi-voix comme dans n’importe quelle librairie, mais on se perd dans des allées peuplées, on part à la chasse aux autographes, dans le vacarme des interviews promotionnelles.

Plus encore, le Salon du livre de Paris, événement privé organisé par le leader mondial de l’événementiel Reed Exhibitions, n’affiche aucune vocation à promouvoir le livre plus particulièrement qu’un autre des produits auxquels sont consacrés chacun de leurs 60 salons en France. Ainsi, en 2012, les écrivains avaient-ils été très choqués par la décision prise par le salon de faire payer l’entrée aux écrivains n’ayant pas de séance dédicace prévue. L’écrivain, amuseur bon pour attirer le badaud, et, à défaut, sans intérêt : le salon du livre n’est décidément pas le salon des passionnés de littérature.


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Mais François Hollande lui-même n’est pas connu comme un passionné de littérature. Il n’a pas l’amour des livres d’un Mitterrand ou d’un Pompidou, et s’il affirme apprécier Zola et Camus — des goûts assez convenus pour le rapprocher surtout de son prédécesseur — la seule fois qu’on l’a vu lire, sur une photo volée de l’été 2007, c’était L’histoire de France pour les nuls, ce qu’on jugera modestement rassurant. Le rapport au livre de François Hollande n’est, de fait, pas très différent de son rapport à l’agriculture, à l’industrie automobile ou au bâtiment : une vision de gestionnaire, secteur économique par secteur économique. Le livre est un produit, et c’est tout. Le problème, c’est que cela se reflète dans le travail politique du gouvernement, et dans les réalisations de la ministre, Aurélie Filippetti, qui traite de la culture comme d’un ensemble d’intérêts économiques et non comme d’une mission.

Une politique purement sectorielle

En effet, dans la foulée de cette visite présidentielle, trois jours plus tard, un plan était annoncé par la ministre Aurélie Filippetti : 9 millions d’euros de budget, dont 5 millions d’avance de trésorerie et 4 millions alloués à l’Association pour le développement de la librairie de création. Les sommes n’ont rien pour impressionner : ramenées aux 2 500 librairies françaises, l'avance de trésorerie représente 3 600 euros seulement par établissement. Les autres mesures sont-elles plus convaincantes ? La nomination d’un « médiateur du livre » pour faciliter la conciliation dans les litiges semble d’une portée bien faible. La capacité nouvelle pour les agents du ministère de « constater les infractions commises à l’égard du prix unique », elle, propose une solution punitive de type « Hadopi » à l’érosion des ventes, et renvoie de nouveau au discours perpétuel sur le prix unique, règle érigée comme une solution quand, en observant de plus près ses effets, elle enferme le secteur de l’édition dans une rigidité qui soutient artificiellement les prix et asphyxie les petits éditeurs au profit des grands groupes.

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Voilà où mène le remplacement de la politique culturelle par une politique sectorielle. Le salon du livre n’est pas le lieu pour défendre la lecture, principal canal de transmission de la culture et, in fine, de distinction sociale depuis l’enfance et au cours de toute la vie. Aurélie Filippetti vient seulement à la rescousse du Syndicat national de l’édition, et des « libraires ». Surtout, derrière la rhétorique sur la défense de la « bibliodiversité », Aurélie Filippetti semble n’avoir qu’un adversaire, la vente en ligne, et de façon avouée Amazon, accusé en quelques mois de tous les maux, y compris d’avoir prétendûment tué Virgin Megastore, ce haut lieu de culture principalement consacré aux dédicaces de popstars étrangères. Amazon, dont le succès auprès des clients inquiète, ce qui n’inspire à la ministre qu’une idée : « défendre » les librairies contre le « géant » qui les dévore. Les lecteurs, eux, qui préfèrent peut-être simplement commander parfois leurs livres sur internet et les recevoir chez eux, ne sont pas conviés à donner leur avis. Le lecteur, au fond, intéresse peu Mme Filippetti. Pourtant, les libraires qu'elle dit vouloir sauver, eux, ne peuvent s'en passer.

Les idées pour alléger les maux de la filière traditionnelle du livre existent pourtant, comme celles exposées par le Comité de défense des métiers du livre qui rappelle par exemple que le principal danger n’est peut-être pas Amazon, mais le livre numérique et la « compulsion » d’achats numériques par les bibliothèques publiques : si les e-books ne représentent qu'1,8% du marché du livre en France, 80% de cette part de marché est réalisée par des commandes publiques, en incohérence totale avec les discours officiels ! Au fond, ce qui intéresse Mme Filippetti et son ministère, ce ne sont pas les petits libraires, ce sont les grands groupes. Virgin, bien sûr, et les principaux éditeurs-distributeurs de livres, ceux qui d’ailleurs l'ont éditée (les éditions Stock, qui ont publié les deux romans d'Aurélie Filippetti, font partie du groupe Hachette/Lagardère publishing).

Le livre, toujours un luxe

Pendant ce temps, le marché du livre continue de se concentrer au profit de ces groupes monopolistiques, en France comme au niveau mondial, avec la fusion spectaculaire de Penguin et Bertelsman-Random House fin 2012, considérée avec beaucoup d’inquiétude par l’édition indépendante. Et la place du livre, elle, continue de se réduire. Dans ce contexte, Amazon parvient d’une certaine façon à limiter ou du moins ralentir la chute continue et visiblement inéluctable des ventes de livres. Rappelons que les Français s’appauvrissent en livres, puisque seuls 22% des foyers disposent d’une bibliothèque d’au moins 200 ouvrages en 2008, contre 25% en 1997. Et le prix du livre, lui, demeure élevé, d’une façon qui n’est corrélée ni à l'inflation, ni au coût de fabrication voire aux droits d’auteur (lorsqu’il ne s’agit pas d’un ouvrage du domaine public), ni aux fluctuations de la demande. Les caractéristiques d’un produit de luxe : acheter un classique comme Les Misérables de Hugo en édition de poche, en général en deux volumes, revient aux alentours de 14 euros, quand une bonne version traduite en anglais avoisinera les 5 livres sterling (6 euros) dans le commerce outre-Manche. Dans ce contexte, le livre numérique, tant promu par les bibliothèques publiques, ne constitue pas tant un danger qu’une fausse solution, ne favorise en rien la lecture chez les plus pauvres ou chez les plus jeunes — quand bien même l’on mettrait à part les considérations sur le coût des équipements — et est au contraire plébiscité avant tout par les gros lecteurs et principalement par les plus de 50 ans, d’après le dernier baromètre numérique Paris Dauphine/Médiamétrie.

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En 1982, François Mitterrand, alors Président, inaugurait déjà le deuxième salon du livre, au Grand Palais. On y apprenait qu’au moment de sa visite, le Président lisait Châteaubriand, et une étude sur Hérodote. Pas d’effet d’annonce, pas de saupoudrage financier : la priorité affichée à cette occasion avec le ministre de la culture d’alors, c’est la promotion de la lecture au travers d’une campagne nationale pour renforcer le maillage des bibliothèques et leurs moyens, et même promouvoir l’acte de lecture par des publicités. La mission d’une politique culturelle de gauche, telle qu’on la comprenait alors, était de permettre au plus grand nombre d’accéder à la culture, en premier lieu littéraire. « Dans une civilisation de l’image, le livre continuera d’occuper une première place » : trente ans plus tard, le vœu de Jack Lang est-il définitivement dépassé ?

Crédits iconographiques : 1. François Hollande en décembre 2012 © John Schults/Reuters | 2. François Hollande lisant en 2007 © 2007 D.R. | 3. Aurélie Filippetti au Salon du livre le 25 mars 2013 © 2013 D.R. | 4. D'après Vie du Dauphin (1781) © 2013 La Brèche.


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