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THEATRE : Le prix des boîtes, de Frédéric Pommier

Publié le 31 mars 2013 par Marc Villemain

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Texte
: Frédéric Pommier

Mise en scène : Jorge Lavelli
Avec : Catherine Hiegel (la Petite), Francine Bergé (la Grande), Raoul Fernandez (le Monsieur Dame), Francis Leplay (le Docteur), Sophie Neveu (la Tutrice) et Liliane Rovère (l'Auxiliaire de vie).



Nul ne contestera l'authenticité du projet de Frédéric Pommier, qui signe ici comme auteur sa première pièce, écrite après la disparition, à quelques semaines d'intervalle, de deux amies d'enfance de sa propre grand-mère. L'histoire ne vient donc pas de rien, Frédéric Pommier ayant éprouvé la nécessité de témoigner d'une expérience personnelle, voire intime, qui l'a troublé ou bouleversé. Pour autant, la seule authenticité d'un projet n'induit pas une réussite dramaturgique. Et si la pièce rencontre un succès critique qui ne laisse de m'intriguer, le texte et sa mise en scène, m'ont, à moi, semblé un peu décevants. Entourées de comédiens qui ne déméritent pas, Francine Bergé et Catherine Hiegel ont beau déployé des trésors d'énergie et de talent, qu'elles ont assez exceptionnel, elles ne parviennent pas à sauver une pièce qui manque tout de même d'une certaine consistance.

Les choses commencèrent pourtant assez bien, avec le monologue de Francine Bergé, vieille dame esseulée parlant à ses chats : d'emblée, on sait, on sent, qu'on a affaire à une très grande comédienne. Elle est sitôt rejointe par Catherine Hiegel, toujours aussi souveraine, et désormais on en est certain : il faut se préparer à un grand moment de théâtre. Cela ne durera pas très longtemps. Car à trop vouloir mettre "du rose dans le noir et du jaune dans le rire", pour reprendre la formule de Lola Gruber dans la présentation qu'elle donne de la pièce, à trop louvoyer entre les registres du grincement et de l'émotion, du divertissement et de la dénonciation, ce qui aurait pu attiser un sentiment de malaise nourricier finit par se dégrader en un sentiment d'incompréhension. Au point où l'on finit par s'interroger sur l'intention de l'auteur, la démonstration devenant lourdement démonstrative, et finalement très consensuelle : on y dénonce, pêle-mêle, la brutalité du corps médical et la sauvagerie du personnel psychiatrique, leur incompétence (cette tutrice finalement plus hystérique que les malades), la voracité des "vautours", la suffisance du médecin jouant au golf dans son cabinet en écoutant (mal) ses patients, etc. Autrement dit, lorsque l'intention est claire, c'est-à-dire quasi militante, alors elle tombe à plat tant elle est massive et attendue. Disons pour résumer que les choses sont un peu grossières. Jusqu'au décor lui-même : des murs capitonnés surmontés de grillages qui évoquent quelque chose d'une cour de prison - il ne manque à cette "boîte" que des miradors.

On a parfois l'impression que les choses, finalement, manquent un peu de sens. Même les petits pas esquissés vers une sorte de théâtre de l'absurde, vers où la pièce en effet aurait pu s'orienter, manquent d'aboutissement : ils sont comme une coquetterie, un clin d'oeil, un gimmick, mais on ne croit guère à ce qui les a imposés. Quant au texte, je l'ai lui aussi trouvé un peu décevant, par trop arcbouté à un comique un peu forcé, aux facilités du tac au tac ou à la tentation édifiante. Comme s'il ne s'assumait pas complètement, ni comme vecteur du rire, fût-il jaune, ni comme vecteur de l'émotion, puisqu'il cherche sans cesse a atténuer ce qui se joue là, et qui n'est rien moins qu'un drame. C'est évidemment dommage, car il y a bien sûr de très jolis moments. Sans compter que les comédiens, tous les comédiens, donnent l'impression d'une grande et belle implication. Mais ce que l'on perçoit très vite, c'est que la pièce ne fonctionne que lorsqu'elle s'appuie sur le duo entre la Grande et la Petite, c'est-à-dire entre Francine Bergé et Catherine Hiegel. Et elle aurait probablement été infiniment supérieure, et plus marquante, si elle avait exploité cette seule confrontation entre ces deux soeurs qui s'aiment et s'agacent, qui se cherchent, se trouvent et se retrouvent, s'attirent et se repoussent, et dont on ne retient au bout du compte que la forte tendresse mutuelle. C'est d'ailleurs lorsque ce qui les différencie n'est pas estompé que se produisent les meilleurs moments de théâtre, lorsque percent toute l'ambiguïté (et la beauté) de la relation sororale : les incompréhensions d'enfance, les souvenirs partagés (ou pas), le sentiment de culpabilité. La qualité des deux comédiennes est ici décisive, qui savent toutes deux mêler dans un même geste ou un même regard cet agacement et cet amour. Il est un peu dommage que Frédéric Pommier ne se soit pas attaché à cette relation, et aie préféré y adjoindre des personnages qui ne s'imposaient pas : que veut signifier, que vient faire ce travesti, au demeurant excellement interprété par Raoul Fernandez ? que nous dit-il de plus sur la détresse de ces deux femmes ? qu'apporte, même, le médecin ? et la tutrice, si ce n'est un symbole un peu épais d'une société rapace ? Finalement, tout cela nous détourne du coeur du sujet et conduit l'auteur, comme le metteur en scène, à élaborer quelque chose d'excessivement virevoltant, un tantinet hystérique, achevant d'ôter la part de gravité où se nichait pourtant, selon moi, la réussite possible de cette pièce.

Cette mise en scène tombe finalement dans un de ces travers caractéristiques des temps : comment faire pour transformer ce qui est funeste et douloureux en un divertissement ? Comment faire pour faire rire malgré tout ? Comment faire pour épargner au spectateur le vilain pathos - quitte, donc, à se forcer à trouver une drôlerie aux choses ? Moyennant quoi, l'émotion qui s'amorce ne s'ancre pas, et c'est bien là le reproche principal que l'on pourrait faire à cette pièce. La conclusion que Lola Gruber donne à son texte figurant dans le dossier de presse me semble un symptome lourd de sens : "A-t-on le droit de rire de ce qui n'est pas drôle ? Oui, nous dit cette pièce, on en a même le devoir. Sinon, ce serait vraiment trop triste." Ce mot, "ce serait vraiment trop triste", sonne comme un révélateur du temps, un lapsus de la société du divertissement, laquelle, au prétexte de se confronter au réel cru, finit par trouver le moyen de le fuir en ricanant. Mieux vaut alors, ces temps-ci, sur ce difficile sujet de la fin de vie, se rabattre sur le cinéma, et visionner sans tarder Amour, de Michael Haneke : sans doute n'y rit-on jamais, mais c'est d'une toute autre tenue.

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Le prix des boîtes
Au Théâtre Athénée - Louis Jouvet jusqu'au 13 avril.


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