Lorsque de nouveaux venus citent Sarah Records pour se présenter, on a tout de suite tendance à se méfier. C’est-à-dire qu’on ne touche pas impunément à une telle idole, encore régulièrement salopée par tant de contrefacteurs s’engageant sur la mythique route C86 sans avoir le véhicule adéquat. Forcément, dans ces cas-là, l’aventure tourne court. Le terrain est, il est vrai, sacrément miné. D’abord parce que l’esprit qui animait à l’époque cette écurie est bien trop souvent dévoyé par ses soi-disant descendants, pour la plupart habiles reproducteurs : Sarah Records fut avant tout une main tendue à toute une ribambelle de musiciens à la créativité et au romantisme débordants, mais souvent à la maîtrise encore chevrotante. Ils trouvaient donc en la maison bristolienne d’une part un refuge dont l’entrée n’était pas réservée aux égos ou techniciens aguerris, et d’autre part un encouragement constant à poursuivre leur œuvre dont l’intérêt provenait justement de cette fragilité, de ces imperfections nées de talents aux traits pas encore burinés par le savoir-faire et l’ambition. Une sorte d’étendard DIY pour introvertis, lorsque cette philosophie s’entendait encore comme une nécessité et pas comme une simple posture. Terrain miné aussi simplement parce que la twee pop, dont Sarah Records s’était fait une spécialité, par sa nature même, offre une frontière éminemment perméable et fragile entre romantisme élégant et écœurante mièvrerie.
Mais par bonheur, les Parisiens de Pale Spectres ont su eux se placer du bon côté de la ligne et éviter en grande partie ces écueils. À l’écoute de leur EP Helen of Troy, fraîchement sorti sur le label Little Treasure, on se dit en effet que tout n’est pas perdu pour les amoureux du genre. On pense effectivement à Another Sunny Day, The Wake – le patronyme du groupe n’est d’ailleurs sans doute pas étranger à la chanson écrite par les Écossais – ou bien encore, pour citer un de leurs contemporains, les brillants Beach Fossils. La plupart des éléments du genre sont là : chant désinvolte soutenu par une guitare délicate et catchy, refrains accrocheurs, le tout baigné par un romantisme juvénile omniprésent et assez alerte pour ne pas devenir dégoulinant. On pourrait facilement crier à la contrefaçon mais les Parisiens sont sauvés par l’humilité et l’authenticité se dégageant de leurs compositions. Il est facile de jouer sur la nostalgie pour gagner le cœur de l’auditeur. Mais les Pale Spectres, s’ils titillent forcément la boîte à souvenirs, ne semblent jamais le faire à dessein, se contentant de jouer leurs compositions qui suivent certes les codes attendus du genre, mais sans préméditation évidente. Pour se construire un avenir, le groupe devra réussir, comme ont pu le faire les Beach Fossils (lire), à s’affranchir de ces codes dont un respect trop empreint de dévotion favoriserait à terme une oscillation dangereuse entre classicisme et conformisme. Mais l’élégance qui ressort de ces chansons, à commencer par la formidable Helen of Troy, nous fait dire que ces garçons sont suffisamment armés pour relever le défi. Hélène de Troie avait déclenché une guerre malgré elle à cause de sa beauté incomparable. Si les Pale Spectres n’en sont pas encore là, méfions nous tout de même de leur charme indéniable, qui pourrait dans un avenir proche sérieusement titiller la susceptibilité de la concurrence.
Audio
Tracklist
Pale Spectres – Helen of Troy (Little Treasure, 2013)
1. Helen of Troy
2. Everything
3. I Know We’re Special
4. Come On, Let’s Dance