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J'ai aimé les livres de Camille Bourniquel

Par Pmalgachie @pmalgachie
Au contraire de Jean-Marc Roberts, mort il y a une semaine, Camille Bourniquel a pris son temps avant de nous quitter, aujourd'hui - il avait 96 ans et presque plus personne ne le lisait, alors qu'il laisse une oeuvre considérable. Certes, sa production s'était considérablement ralentie depuis la fin des années 80. Mais il faudrait revenir à certains de ses romans, dont plusieurs m'ont laissé un souvenir marquant. Comme Jean-Marc Roberts, il aurait pu écrire que Deux vies valent mieux qu'une, la preuve par un de ses derniers livres, Karma, paru en 2000...
J'ai aimé les livres de Camille Bourniquel Dix ans sans idée de livre, c'est long pour un écrivain comme Camille Bourniquel qui, de 1953 à 1987, avait donné une vingtaine d'ouvrages dont Sélinonte ou la chambre impériale, prix Médicis 1970, et Tempo, Grand Prix du roman de l'Académie française 1977. Malgré ces lauriers, il était resté un auteur relativement discret, peu suivi par un grand public habitué à des œuvres moins ambitieuses, moins exigeantes. Karma, en forme de double biographie - la sienne et celle d'Elvire, complice plus que compagne -, mériterait d'ajouter à sa réputation par des pages lumineuses qui font du bien au lecteur. En 1943, Camille Bourniquel a rencontré Elvire chez le peintre Alfred Manessier. Peintre elle aussi, Elvire s'est alors progressivement rapprochée de Camille pour aboutir à ce que celui-ci appelle un long cheminement à vue n'appelant aucune fusion. Après la mort d'Elvire, de retour dans la maison de Moissac, dans le Midi, qu'ils avaient achetée ensemble mais qui servait surtout, l'été, à Elvire, l'écrivain se met à un portrait-miroir qui nous renvoie l'un à l'autre, comme la peintre le lui avait annoncé: «Vous croirez écrire un livre sur moi et ce sera vous!» Tant il est vrai que de vivre sous le regard de l'autre et de porter vers l'autre son regard mettent en relief le réel comme jamais. Deux parties, comme il se doit avec deux personnages, découpent le livre. Car chacun des deux avait déjà trouvé ses marques avant la rencontre de 1943 et Camille Bourniquel le dit d'entrée: «Je n'ai aucune part dans sa vocation artistique, ni elle dans ce que j'ai pu faire.» Camille Bourniquel commence par ce qu'il connaît le mieux, c'est-à-dire lui-même. Son enfance, ou du moins le souvenir qu'il en a, fut dominée par l'intérêt porté par son père à la parapsychologie et au spiritisme. Il avait un maître, écrivit des livres en se préoccupant peu de son métier de pharmacien, et se montrait capable de couper les ponts pour repartir de zéro. Jusqu'avec le spiritisme et ses propres écrits quand il constatera que son épouse, médium douée, avait truqué une séance de contact avec le monde invisible... Mauvais élève, le jeune Camille aura le bonheur de rencontrer deux professeurs qui croient en lui et l'aideront à franchir le cap des études. L'un d'eux sera aussi l'occasion de son premier grand choc: le suicide de cet homme, pour des raisons sentimentales. L'enfant grandit et se forme, le plus souvent seul. Au lieu de suivre ses cours, il flâne au Louvre où il se frotte à toutes les formes d'art, jusqu'à du moins un certain point de la chronologie. La musique l'attire, les mots lui révèlent leur puissance. Le début d'un itinéraire se dessine, qui se précise grâce à un rendez-vous manqué. Des amis lui ont proposé de visiter avec eux une exposition de jeunes peintres. Ils ne viennent pas, ce qui lui donne le temps de s'arrêter longuement devant les œuvres et en particulier l'une d'entre elles. Elle est due à Manessier, qu'il rencontre, avec qui il sympathise, chez qui il rencontre Elvire, par lequel s'ouvre tout un pan de la création contemporaine sur laquelle il commence à écrire... Elvire, donc, acharnée à peindre, jamais découragée malgré les moments de doute, et dont la vie désormais accompagne celle de Camille. Encore faut-il reconstituer ce que furent les quarante, ou presque, premières années. Les origines arméniennes, le choc de la peinture rencontrée à New York et, dès lors, la volonté bien arrêtée de se frotter elle aussi aux formes et aux couleurs, malgré l'opposition de ses parents, malgré les réticences de sa sœur  Sa sœur dont l'histoire s'inscrit en parallèle avec la sienne, mais une parallèle lointaine posée à Téhéran, d'abord dans le bonheur puis dans la tragédie sous le régime des ayatollahs. Elvire est une figure romanesque qui a le mérite supplémentaire d'être authentique. Camille Bourniquel lui offre un hommage qui n'est pas une hagiographie - sa force en est plus grande - et qui se clôt presque par une phrase pouvant servir de devise: «On vieillit certes, mais le monde, lui, reste jeune.» Quelle plus belle profession de foi pourrait-on imaginer?

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