Poser la plume pour souffler n’est jamais une grande idée.
On se dit que l’on va ralentir l’écriture, et au final, le ralentissement
ressemble de l’extérieur à une panne. J’ai laissé filer les semaines sans
martyriser mon clavier pour différentes raisons, mais je n’ai jamais voulu
totalement déserter cet impossible blog ciné, alors il serait grand temps que je ré-insuffle ici un peu de vie qui commence à sérieusement manquer.
Depuis ce jour de février où j’ai pour la dernière fois publié un billet, n’allez pas croire
que je suis resté les bras croisés. Des films, j’en ai vus. Des lignes, j’en ai
noircies. Mais je ne suis jamais allé au bout de ces billets commencés. Des
films qui m’ont inspiré, j’en ai vus. Des spectateurs qui m’ont agacé, j’en ai croisés.
Des séances mémorables, j’en ai vécu. Diable, que vais-je faire, vais-je toutes
les reprendre une à une ces anecdotes que j’ai manqué de vous raconter ? Vais
les crier un à un ces coups de cœur qui ont été les miens ?
Que n’ai-je pris le temps de vous relater ce vieux couple
bourgeois assis comme moi à l’Arlequin pour découvrir « Dans la brume »
de Sergei Loznitsa, avec madame annonçant
à monsieur avant que le film ne commence « Tu vas encore dormir toi, je te
connais, un film russe de plus de deux heures, tu vas dormir », et
monsieur ne pouvant qu’avouer à demi-mot que oui, c’était bien possible, me
poussant à m’éloigner d’eux pour éviter les possibles ronflements (il ne ronfla
finalement pas, semble-t-il). Ou cette petite vieille à la même séance s’adressant
à un trentenaire assis à deux fauteuils d’elle « Dites-moi, vous comptez l’éteindre
pendant le film au moins votre téléphone ?! », ajoutant - à ma grande
joie - après une timide et inaudible réponse de l’affiché, « Ils font chier
avec leurs portables... ». Bien dit mamie.
Que n’ai-je pris le temps de vous décrire cet épisode
avec l’homme qui rit dans l’enceinte
de l’UGC Ciné Cité Les Halles, alors que je me dirigeais vers « 7
psychopathes » et que lui se prélassait dans un fauteuil du hall,
attendant sa séance. En le voyant je me demandai illico s’il serait avec moi
pour le film de Martin McDonagh, au moment où un employé d’UGC passant par-là,
celui qui rit comme une hyène chercha à attirer son attention par un « Hep !
Hep ! HEP !! » de plus en plus fort, jusqu’à ce que l’homme le
remarque et s’approche de lui pour le saluer cordialement (ils doivent tous
plus ou moins le connaître, aux Halles). J’entendis alors la hyène énoncer tout
heureux « J’suis bien là, je vais voir Max en salle 14, j’ai mon fauteuil
pour attendre, et mon jus d’orange ». A ces mots je jetai un œil sur la table devant lui et y
vis deux packs d’un litre de jus d’orange. Cocasse.
Que n’ai-je encore décrit cette émotion qui m’a étreint à
la découverte tardive et tant attendue, sur grand écran, de « Chungking
Express » de Wong Kar Wai au Forum des images, cette entrée en scène de
Tony Leung Chiu Wai, casquette de flic vissée sur la tête, au son du « California
Dreamin’ » des Mamas & Papas, irruption splendide annonçant langueur
et délicatesse. Quelques jours plus tard, à Deauville, je découvris un autre
film du maître Hongkongais qu’il me manquait, « As Tears Go By », ne
laissant plus qu’un film dans la filmographie de Wong Kar Wai que je n’ai
jamais eu le plaisir de voir sur grand écran (« Les anges déchus »).
Que n’ai-je non plus clamé mon agacement envers ces
spectateurs du Printemps du Cinéma qui désiraient peut-être voir « Le
Monde Fantastique d’Oz » ou « Jappeloup » et se sont retrouvés
avec moi devant « A la Merveille »,
et ne se sont pas privés de manifester leur impatience et leur ennui devant le
film de Terrence Malick, expérimental dans la forme, imparfait sans l’ombre d’un
doute, mais terriblement séduisant. Je me félicite toujours de voir des
spectateurs privilégier le grand écran et l’expérience collective plutôt que le
petit écran, mais certains de mes congénères spectateurs font malheureusement
preuve d’un égoïsme désolant et agaçant, se comportant justement comme s’ils
étaient seuls dans leur salon. Et mon intransigeance personnelle est plus forte
devant certains longs-métrages, dont ceux de Terrence Malick font invariablement partie. Le maniaque psychopathe au fond de moi a donc dû prendre sur lui pour
ne pas faire un massacre ce jour-là.
Les semaines ont passé, j’ai vu des nanars (« Du
plomb dans la tête »), de beaux films (« Elefante Blanco »), des
déceptions (« 40 ans mode d’emploi »), j’ai pesté contre des
spectateurs, j’ai martelé mes genoux au son du logo d’Universal et de 20th Century Fox, et j’ai regretté de
ne pas le partager ici. J’ai vu « Cloud Atlas » et ses fulgurances
cinématographiques incroyables, « Spring Breakers » et son clinquant
vain, « Stories we tell » et son art de disséquer la narration. Je n’ai
pas vu beaucoup de films français. J’ai croisé l’homme au chronomètre dans la
grande salle du Normandie, quittant « Jack le chasseur de géant »
alors que je m’apprêtais à y plonger. J’ai discuté avec Yoo Ji-Tae, le bad guy
de Oldboy, au petit-déjeuner dans un palace de Deauville. J’ai entendu une
femme dire « Quels salopards ces bonshommes » lorsque la lumière s’est
rallumée dans une salle projetant Wadjda, en me demandant si elle parlait des
saoudiens ou des hommes en général. Mes pérégrinations dans les salles obscures
ont continué. Et promis, je vous raconterai les prochaines.