"Observe. Des visages cuivrés dans la pénombre
d’un bistrot, flottant au-dessus de bières déjà vides. Regards noirs et perçants,
voix enrouées par le froid et l’alcool. Ecoute..."
Non, ce n'est pas un extrait du livre que je viens de refermer et dont je vais vous faire la critique. Mais ce sont peut-être les premières lignes de celui que vous lirez à la rentrée. Ou l'étrange cheminement qui nous fait passer du griffonnage à l'histoire, de l'ébauche à l'épopée : celle de l'écriture d'un roman. Comment cela est-il arrivé, je ne me souviens plus bien exactement de la genèse de cette folle aventure. Toujours est-il que, sans doute, mes recherches sur la Bolivie ne me suffisaient pas, j'avais d'autres choses à écrire, à dire. Au début, ces choses qui sortaient de mon stylo n'étaient destinées qu'à moi-même, comme un réconfort, un doudou. Peu à peu, cela a pris tournure, les personnages se sont affinés, imposés. Ils venaient frapper à ma porte comme dans une pièce de Pirandello. J'avais des flashs, je les voyais évoluer, bouger. Je visualisais ce que j'allais écrire. Par la suite, je me suis mise à écrire comme on se raconte soi-même les histoires qu'on aimerait lire au lit, le soir, au coin du feu. A quelle moment l'idée du roman a-t-elle surgi ? Encore une fois, je n'en sais rien. J'ai avancé, un point c'est tout. Souvent en tâtonnant, par épisodes, par rafales après des accalmies de plusieurs semaines. Au bout d'un moment, c'est vrai, je me suis dit que, tout de même, il semblait que j'approche de la fin. Alors j'ai mis les bouchées doubles. Après ces longues années à couver cette histoire, je me suis décidée à accoucher et à laisser les autres apprécier ce que j'avais écrit. C'est d'ailleurs la théorie de Liz Gilbert pour tenter de se libérer de cette pression que les écrivains se mettent sur le dos comme une épée de Damoclès : est-ce que ce que j'écris en vaut la peine ? Selon elle, il faut absolument se désolidariser de cette peur qui accompagne le désir de séduire et se dire que, de toute façon, on ne peut pas s'empêcher d'écrire et qu'alors, faisons-le, que diable !, mais laissons aux lecteurs le soin de juger si notre travail est bon ou mauvais. Car, une fois le manuscrit terminé, nous avons aussi achevé notre boulot.
(intervention à voir ici :)
Aujourd'hui, donc, j'ai terminé ce roman, je m'en suis enfin défaite, libérée, et je n'en rêve plus la nuit. Mes personnages ne me hantent plus à longueur de journée, en voiture, dès le petit déjeuner. Je leur ai réglé leur compte. Maintenant, mes pages sont entre de bonnes mains pour une énième relecture, une traque aux coquilles que j'ai confiée à l'un de mes amis les plus chers, celui qui m'a donné le goût de l'Amérique Indienne, de Arguedas, de la passion qui agite nos tripes et du travail bien fait. Ensuite, le manuscrit pourra affronter les comités de lectures des éditeurs. Mais c'est une autre histoire.
En tout cas, chers lecteurs, c'est peut-être aussi un peu à cause de vous, vous qui m'avez poussée à en écrire toujours davantage par vos commentaires (pas toujours) amicaux, par vos encouragements, vos yeux derrière l'écran. Je me suis entraînée, je me suis prise au jeu. Je peux dire sans hésiter un millième de seconde que, si on me payait pour ça, si j'en avais la possibilité et le droit, écrire, je ne ferai que ça.