Books N° 42
Le N° d’avril de Books — un numéro passionnant avec, notamment un dossier très fourni sur la mémoire, faisant le point sur les dernières découvertes neurologiques, sur l’évolution considérable des théories de la mémoire et sur les perspectives thérapeutiques des maladies de la mémoire et notamment l’Alzheimer.
Alors, s’il fallait résumer ce que l’on y apprend, on pourrait dire que je suis moi parce que je me souviens. Le problème, c’est que la mémoire est pleine de trous et qu’en plus, elle est bourrée de faux…
Fiabilité très relative du souvenir
Le premier point, de plus en plus connu aujourd’hui, est que la mémoire ne fonctionne pas comme une caméra vidéo — une caméra de surveillance, par exemple — qui enregistrerait les événements pour les stocker au fond de l’esprit et qu’on pourrait revisionner à volonté. Ce point avait déjà été repéré par Freud en 1899, dans son fameux article sur les Souvenir-écran. Il est désormais établi. Se souvenir, c’est voir une nouvelle scène, reconstituée, fabriquée pour l’occasion, avec des bribes stockées ici ou là et des intentions, des projets, qui eux, sont actuels, qui datent par conséquent du jour de la remémoration. Plus encore, chaque remémoration modifie le souvenir. Et là, ces découvertes remettent en cause ce que l’on pensait jusqu’alors, que la remémoration devenait de plus en plus précise avec l’effort. C’est le contraire ! Plus on se remémore un événement, plus on le modifie. L’acte de remémoration est en vérité un acte de création.
Conséquence fondamentale le souvenir n’est pas fiable. Il faudrait prévenir les policiers, les enquêteurs, qui interrogent les prévenus pour leur faire avouer. À force, ils finiront par avouer — quelquefois, non pas parce qu’ils ont commis le crime, mais parce que l’interrogatoire leur a fait fabriquer un faux-souvenir (plusieurs exemples dans le numéro de la revue).
Faux souvenirs
Deuxième question fondamentale abordée par ce dossier (qui en compte des dizaines), les faux souvenirs, précisément. Etant donné la fluidité du souvenir, nous faisons une confiance exagérée aux témoins externes. Ainsi vont ces souvenirs très anciens dont on est certain de disposer qui proviennent en fait du récit d’un proche ou d’une photographie — aujourd’hui d’un film vidéo datant de l’enfance —, tout simplement et non pas de la mémoire. C’est évidemment ce qui explique la possibilité d’instiller de faux souvenirs dans le cerveau de quelqu’un. Ce phénomène était devenu criant dans les années 80 aux USA avec l’épidémie des troubles de la personnalité multiple (50 000 cas répertoriés). Ici, nous avons celui, saisissant de cette conseillère d’une église que sa thérapeute a fini par convaincre que son père l’avait violée à plusieurs reprises entre 7 et 14 ans… terrifiant ! Nos souvenirs se trouvent sous influence ! Choisissez judicieusement la personne à qui vous faîtes vos confidences !
Alison Winter
Debriefing
Troisième question, troisième mise en cause de croyances relativement partagées, selon laquelle la vérité remémorée fait du bien, voire guérit. Tout le monde connaît ces phrases que l’on répète sans savoir d’où elles proviennent. « Celui qui ne se souvient pas est condamné à répéter »…
Un chapitre saisissant du dernier livre d’Alison Winter intitulé Mémoire, Fragments d’une histoire moderne. D’après les dernières études, se remémorer les souvenirs douloureux ne fait rien d’autre que reproduire la douleur et n’apporte aucune « catharsis », aucune résolution, comme on le croyait naguère.
Une phrase tirée de ce dossier me restera pour guide : « Le 19ème siècle pensait que les épreuves forgent le caractère, le 20ème siècle préconisait d’affronter ses démons, peut-être que le 21ème nous apprendra les vertus de l’oubli… »
Alors, se souvenir, est-ce vraiment une si bonne idée ?
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