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L'insulte aux humbles

Par Pseudo

L'INSULTE AUX HUMBLES...

Mehdi Fedouach - AFP.jpg
Avec l'affaire Cahuzac, on vient de franchir une porte. Mais l'identité du tricheur, qui nous a fait passer le seuil, n'a plus guère d'importance. Ses «amis» l'accablent déjà ; s'il ne se suicide pas, c'est qu'il a le cuir épais. Gare toutefois: sa nuque si raide, et cette morgue qui intimidait les plus aguerris, pourraient bien trahir un cuir plus cassant que prévu devant l'épreuve...

Comment l'avouer, on reste pantois devant ce théâtre pitoyable. La mise en perspective des faits et des acteurs, l'incongruité des situations, le heurt des symboles surtout, dans les circonstances sociales, économiques, morales que les peuples d'Europe vivent par ailleurs, celui de France en particulier, ne font que nous abasourdir.

Ce télescopage finit par donner le tournis : un ministre du Budget de la nouvelle ère socialiste, d'une réputation et d'une intransigeance de fer, pourchasseur des dissipations d'argent public — dont l'insupportable fraude fiscale — finit par avouer après des semaines de dénégations farouches « les yeux dans les yeux », détenir lui-même un compte planqué dans des paradis fiscaux ; un ministre de l'Economie et des finances, congénitalement pur cela va de soi et superviseur du précédent, disposant de toutes les sources d'investigation que ses gabelous explorent à son service, joue à tomber des nues aussitôt le scandale diffusé ; un chef du gouvernement — flanqué de son ministre de l'Intérieur, mobilisant à eux deux les scrutateurs de l'ombre les plus fouille-merde de la République — chef qui faisait d'ailleurs de moins en moins semblant de croire son confrère égaré —, nous la joue à son tour estomaqué et pris de court ; enfin un chef de l'Etat, mis forcément dans les mêmes confidences que son Premier ministre — tous deux déjà alertés, entre autres signalements, par Michel Gonelle, l'ancien concurrent de Jérôme Cahuzac à Villeneuve-sur-Lot, détenteur de la bande-son si compromettante — joue soudain le trahi, l'offensé...

Mais à quel enfant veut-on faire avaler ce roman ? Ces gens-là avaient parfaitement de quoi subodorer, s'ils n'en avaient pas la certitude, l'indélicatesse d'un des leurs... Mais il était l'un des leurs, justement, de là l'atermoiement de tous. La plus cruelle des incongruités sera bien de voir ce pauvre François Hollande, ce président dont le manque de plus en plus flagrant de caractère et d'envergure était censé passer pour de la « normalité » —, se retrouver atone et privé de ses certificats de vertu par la forfaiture d'un de ses proches... Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que son ancien directeur des comptes de la campagne présidentielle, un pote qui plus est, se fait pincer à investir off shore comme disent les gens chics — dans un paradis fiscal, en langage poétique... Quelle ère nouvelle, pourtant, et blanche comme le lait, devait-on inaugurer en mai 2012 ! Pauvres imposteurs !

Le mal est fait, et qu'on ne s'en réjouisse pas ! Car l'autre bord ne vaut pas mieux — aurions-nous la mémoire si courte qu'il faudrait donner des noms ? Celui d'un autre ministre du Budget, par exemple, mais de l'ère sarkozienne ? Qui arrivait, le vaillant, à superviser tout à la fois les comptes de l'Etat, ceux du parti au pouvoir, les intérêts fiscaux d'une vieille dame trop riche — tellement plus fraudeuse, elle, que ce malheureux Cahuzac, et si écervelée qu'il lui fallait l'aide de la propre épouse du ministre ! —, et parvenait de surcroît à brader le patrimoine forestier de la commune dont il trouvait encore le loisir d'être le maire ! D'autant que dès 2008, apprend-on, les douanes avaient fait remonter des informations étayées sur le compte Cahuzac... 2008 ? Qui régnait donc ?

C'est tout un système qui est entré depuis belle lurette en connivence, par-delà les postures partisanes et le partage des places. Le parti socialiste — redevenu cette SFIO de notables — et l'UMP — rassemblement de bonapartistes ramollis —, ces demi-frères ayant mis en coupe réglée le paysage politique du centre-gauche au centre-droit, ont anesthésié la démocratie en France. Et dans son malheur, le peuple n'a plus pour respirer que ces évents morveux : Front de gauche et Front national. Les deux faces d'une même monnaie de singe. Les deux trous du cul de Marianne, qui n'en demandait pas tant... Et par-dessus le marché, le chœur des pleureuses et des faux-derches — les « médias » au premier rang — qui nous serinent : «1930 ! 1930 ! 1930 ! ». Ou bien : « Les marchés ! Les marchés ! Les marchés ! » Pauvres complices !

Le contrat social en France est mort. Les partis-trusts, les prébendiers et leurs lèche-culs l'ont tué. Il gît crevé dans le caniveau, depuis une quarantaine d'années. De Gaulle est le dernier à les avoir contenus, à leur avoir cassé les dents, tant bien que mal. Cela aura duré le temps d'une énergie. Le vieux s'en est allé, et son idée de la communauté — qui n'était pas national-populiste, n'en déplaise à ses détracteurs. Les pros et les faussaires sont revenus, et leurs réflexes de féodaux — de « cadres » de la nation n'est-ce pas, avec leurs titres, leurs écoles, leur charabia en bois, leurs CAP de conducteurs du peuple, de représentants du peuple, de mandataires du peuple, d'élus, de réélus, de ré-réélus du peuple. Jusqu'à plus soif, trois mandats d'affilée s'il le faut, quatre au besoin, dix — on fêtera ton jubilé, camarade, comme une vieille reine d'Angleterre ! —, tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir pour la prébende et le pré-bandit... Et toutes les casquettes possibles en même temps ! Avec les indemnités qui vont avec, il faut bien vivre... Pauvres parasites !

La jeunesse méprise ces gens-là. Une partie de la population les méprise, s'en détourne, ne vote plus, ni pour eux, ni pour rien. Mais ils s'en foutent. Ils s'en foutent ! Ils festoient et se congratulent entre eux, dans leurs clubs, plantent des « Mais » tricolores sur leurs donjons de sable, pérorent à des réunions pleines de leurs seuls affidés, se glorifient de victoires électorales totalisant à peine 15 % de l'électorat inscrit, discutaillent des nuits entières sur le sexe des mariés, dans leurs enceintes autistes, comme d'autres inconscients le faisaient du sexe des anges. Quand le ciel leur tombera sur la tête, ces profiteurs ne sauront plus que crier au fascisme, comme ils le font en Grèce. Mais les jeunes violents à têtes de bagnards qui les dégommeront n'auront même pas honte de leurs pitoyables invectives : ils ne les comprendront pas ! Pauvres inconséquents...

Ce ministre tricheur n'est rien, finalement, à lui tout seul. Il n'est qu'une gouttelette de corruption, mais elle va faire déborder le vase. Dans un système globalement sain, il n'aurait été qu'une brebis galeuse qu'on écarte en criant « Hou ! Hou ! » Et le monde aurait continué son cours sans en être affecté plus que ça. La situation est telle aujourd'hui que l'éponge ne peut plus rien absorber. Que peuvent des garçonnets comme Hollande et Ayrault ? Il faudrait une refondation de la République ? On a laissé le gouvernement de la France à deux conseillers municipaux... Pourtant ce pauvre président n'a guère le choix : la voie du courage, ce serait d'abord un vigoureux remaniement ministériel. Le Premier ministre a fait la preuve de son insuffisance : incapacité à définir une ligne d'action prioritaire, incapacité à coordonner son gouvernement, manque total d'autorité sur ses ministres, voire manque réel de dignité pour s'être laissé insulter par Montebourg — et d'autres sans doute. Les ministères doivent être redistribués selon un plan d'action politique à l'initiative du chef de l'Etat, et non par combinazione de courants et sous-courants...

Mais l'essentiel n'est pas là, ce ne serait que réponse dans l'urgence et écume des vagues. L'essentiel ce serait de créer, dès ce mandat présidentiel, les conditions d'un véritable statut de l'élu et du gouvernant. Ce code contraignant ne peut être le fruit d'arrangements entre soi : le Parlement, même indépendamment de l'affaire Cahuzac, n'a plus l'autorité morale ni la crédibilité suffisante auprès du peuple pour réécrire les règles du jeu de notre démocratie : on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Seul un referendum aurait la légitimité de faire graver dans le marbre ces questions, venimeuses donc intouchables par toute autre voie :

  • réorganisation de la représentation populaire, diminution drastique de ses effectifs, diminution significative et exemplaire de ses coûts de fonctionnement (dont les rémunérations et diverses indemnités) ;
  • interdiction du cumul des mandats, limitation obligatoire de leur nombre dans le temps ;
  • suppression de l'écrêtement des indemnités des élus et gouvernants — si facilement détourné aujourd'hui —, et limitation à une seule, étant entendu que les fonctions contenues dans le mandat, génériques ou circonstancielles (par ex. : président du CA d'une maison de retraite, ou d'un syndicat d'électrification), n'auront pas à recevoir de rémunérations ou de primes spécifiques, l'indemnité initiale valant pour l'ensemble ;
  • fiscalisation au titre de l'impôt sur le revenu de la totalité des indemnités perçues ;
  • contingentement féroce de l'enveloppe de recrutement des personnels de cabinets, des parcs immobiliers, automobiles, et de tous les autres équipements mis à la disposition des politiques ;
  • restrictions rigoureuses rendant exceptionnelle la mise de moyens publics à la disposition des politiques pour leur usage privé ;
  • contrôle réel, par une commission relevant de la Justice et non du Parlement ou d'une administration, de leur patrimoine privé — incluant la totalité du ménage, si ménage il y a — dès leur entrée en fonction... 

Bref, et ce n'est pas exhaustif : tout ce qu'on fait semblant de nous vendre depuis un certain temps déjà, sans qu'on en voie jamais rien... Et qu'on ne risque pas de voir si l'on compte sur la seule bonne volonté des parlementaires.

Mais il ne s'agit là encore que de la première couche de la « refondation », que les vents mauvais de l'actualité forcent à construire au plus vite. Comme une deuxième couche, il faut enfin oser l'audit, à l'euro près, de la dépense publique. Les dépenses de l'Etat — à l'exception de quelques fonds à conserver discrets pour l'exercice d'activités régaliennes particulières —, des collectivités territoriales, des fonctions publiques, du Parlement, des organismes para-publics doivent être recensées, analysées et évaluées sur un document unique et public, ce qui ne s'est encore jamais fait. Pourtant la première règle d'une démocratie évoluée, c'est le contrôle pointilleux et transparent de l'usage fait de l'argent ponctionné à la société civile, pour son bien prétendu. Seule façon de débusquer les pilleurs, les incompétents, les flambeurs. Et de les renvoyer à leurs affaires privées, si les affaires publiques les dépassent.

A ce niveau de la refondation, il faut encore ajouter — mais ça ne se fera pas en un claquement de doigt — la réorganisation du « millefeuille » territorial, cette absurde décentralisation à la française, où ce qui compte pour les élus n'est pas le service de l'intérêt général mais de se positionner en distributeur de subventions, c'est-à-dire en pompe clientéliste. Il faut bannir définitivement ce système crapuleux des subventions ! Le champ d'intervention de chaque étage de la décentralisation doit être défini précisément, sans redondances — en lien, bien sûr, avec la redéfinition du rôle des administrations déconcentrées de l'Etat —, et ses moyens annuels déterminés strictement par l'impôt. Les péréquations indispensables — incarnation de la solidarité nationale entre les territoires — ou les surcoûts dûs à des circonstances exceptionnelles, doivent être mis en œuvre par le gouvernement et non par les exécutifs territoriaux. Enfin, pour ce qui concerne cette étape, il faudra bien avoir le courage de faire passer à l'échelon de la « communauté de communes » (ou de la « communauté d'agglomération », ou de la « métropole », selon les cas et pour employer la lourde terminologie en vigueur) ce qui ressortit encore trop souvent de l'échelon communal — échelon indigent dans les trois quarts des cas, mais que l'on conserve par sentimentalisme.

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Ce programme n'est que le b-a-ba que le citoyen est en droit d'attendre de ces «administrateurs » de tous poils, qui lui coûtent si cher et règlent si mal ses problèmes. Par la même occasion, on aimerait que certaines grandes gueules professionnelles, promptes à nous rameuter dans leurs enclos, nous en disent un peu plus là-dessus, au lieu de postillonner leurs imprécations, guère plus utiles que des assignats. Et il conviendrait d'abord qu'on sache réellement à qui on a affaire, n'est-ce pas camarade Mélenchon, qui t'es goinfré d'argent public depuis que tu es né aux affaires politiques, et n'a jamais su rien faire de tes dix doigts mais donne des leçons au peuple quand il n'est pas dressé comme tu l'entends. N'est-ce pas camarade Le Pen, qui n'as eu besoin que d'hériter et voudrais nous faire croire que tu sais ce que peuple veut dire. Croyez-vous être à la hauteur de ces humbles, que vous méprisez en réalité, et des enjeux qui se dressent devant nos sociétés, que vous n'aimez qu'au garde-à-vous ?

Ces humbles, qui reçoivent en pleine trogne la dépression économique amenée par des spéculateurs cyniques, n'ont pour tout bouclier que la protection de l'Etat, en France en tout cas. Ils n'ont jamais été trop dupes — qu'on ne les prenne quand même pas pour des cons ! — des discours lénifiants de ces messieurs-dames si beaux parleurs, mais tant que le rempart tenait... Il n'y a presque plus de rempart pour les humbles, cependant que les plus riches pètent d'indécence, encore et toujours plus. Et ceux qu'on leur disait être les moins pourris du club, les moins insincères, les mieux disposés à ne pas courber l'échine devant les voyous enfriqués, voilà qu'ils leur envoient ce magistral doigt d'honneur...

Comment Hollande aura-t-il la force de laver cet affront de plus et d'apaiser l'indignation des humbles, lui qui n'essuie même pas les crachats qu'on lui fait ? Quel « choc » est-il capable d'asséner à notre société déliquescente ? Peut-on y croire ?...

(Crédit photo : © Mehdi Fedouach / AFP)


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