Télévision. Perplexe, on la regarde. Son écran est gris et vide, ses atours noirs et poussiéreux. Son dos est bossé. On se dit qu’elle nous informe du pire comme du meilleur. Ses images déboulent, agréables ou torturées. On pense à une vieille sorcière fatiguée, dépossédée de sa magie. En un siècle plus barbare que le nôtre, elle aurait fini ses jours sur le bûcher. On se penche sur le dernier roman de Gilles Jobidon, Combustio.
En compagnie de Jane Dix, jeune archéologue au chômage, nous allons parcourir des univers disséminés dans le temps. À la suite d’une petite
annonce à laquelle elle répondra, et après l’échec d’une entrevue, Jane se verra proposer un curieux mandat par une jurée, Sarah Mill, qui l’a remarquée. Rechercher l’origine de l’incendie, qui a dévasté pendant trois jours une partie de Londres en 1666. Jane, tout comme le lecteur, traversera des situations oscillant entre vérités et mensonges, entre histoire officielle et fiction. De l’atelier de Francis Bacon, qui a été un ami intime de Sarah Mill, Jane sera propulsée dans les archives poussiéreuses de la société d’assurances Lloyd’s où travaille son employeuse. Jane devra se rendre à Paris, rencontrer un spécialiste de Georges de La Tour afin d’y faire authentifier un triptyque dépeignant l’incendie. Certains éléments n’étant pas conformes aux conclusions tirées des causes du sinistre. Enquête qui amènera Jane dans les pas de surprenants personnages, la plupart mis en scène par Sarah Mill. Une artiste polonaise, une famille amish dont l’un des membres est gardien de phare, Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, un faussaire de tableaux amnésique, deux frères milanais : l’un est botaniste, l’autre, rebelle raté. Il y a aussi les Salmontès, fondateurs d’un célèbre et mystérieux cirque. Dédale dans lequel Jane se fondra sans jamais s’y incruster, les flammes, souvent symboliques, détruisant rageusement les actions excessives des protagonistes. Une fatalité ignée les regroupe dans la mémoire de Sarah Mill, les distille durant la mission éparpillée de la jeune archéologue. Points de repère, tels des phares avertissant les navires du danger des tempêtes. Et c’est bien le gouvernail d’un vaisseau fantôme que tient Jane, envahi d’êtres excentriques. Admirable fiction alimentée du savoir de l’écrivain. Extravagance imaginaire que permettent des époques révolues, peut-être entrevues le temps d’un roman…Toutefois, le parcours de Jane, parsemé d’embûches historiques, dépeint par Gilles Jobidon, déroute le lecteur, lassé de trop longues descriptions narrées par des individus qui s’invitent à tour de rôle. Parle-t-on de cette manière ininterrompue ? On en doute. La curiosité l’emportant, questions et réponses devraient animer un discours passionnant, parfois éteint par d’intenses, poignantes digressions. L’agonie apaisée du roi Louis XIII méditant devant un tableau de La Tour, l’unique représentation du cirque Kirkos, le suicide de Hermina Salmontès. Le désespoir dissimulé de Sarah Mill, qu’elle noie occasionnellement dans de bons vins… La détresse de Jane après une expérience malheureuse en Amérique du Sud. Le feu, sous toutes ses formes, tord ses flammes dans l’existence de femmes et d’hommes blessés par la maladie du corps et de l’âme. La fuite sans but de La Tour ne parvenant pas à oublier la mort de sa petite fille Marie.
Roman touffu, foisonnant de détails subtils, méticuleux. Un ton lyrique, une écriture griffée, tel un manuscrit ancien supportant difficilement la lumière du jour, enténébré d’un encombrant et lourd passé, semblable aux tableaux du peintre des Nuits… Après avoir fermé le livre, un peu essoufflés, nous avons l’impression d’avoir fait une longue promenade hors du temps, dans des sentiers calcinés, leurs pierres charbonnées, foulées par des êtres impatients de connaître par qui ou pourquoi origine l’incendie de Londres. À lire à doses parcimonieuses, comme aujourd’hui nous relisons Balzac.
Combustio, Gilles Jobidon
Leméac Éditeur, Montréal, 2012, 320 pages