Magazine Cinéma
Chez Anne Fontaine, la sexualité est toujours mise à mal, refoulée, problématique, nid de tous les tourments. L’homme s’interroge sur ses désirs homosexuels dans Nettoyage à sec, l’adultère prend des couleurs de ménage à trois débridé dans Nathalie…, Eros et Thanatos (Entre ses mains), riches et pauvres (Mon pire cauchemar), jeunes et plus vieux (Perfect Mothers) se mélangent. La cinéaste française brouille les frontières morales (ce qui se fait, et ce qui ne se fait pas), explose les tabous, balance ses personnages aux griffes des pulsions les plus froides, et/ou les plus inavouables. Perfect Mothers n’échappe pas à ce leitmotiv puisqu’il dépeint un quatuor sentimentalo-sexuel très politiquement incorrect, soit les amours croisées de deux quadras sur le déclin (les sublimes Naomi Watts et Robin Wright) s’éprenant chacune du fils de l’autre (James Frecheville et Xavier Samuel, gravures de mode musclées). Dans le décor de carte postale d’une plage australienne, les questions échouent sur le sable sans que Fontaine ne vienne jamais clairement y répondre, assumant une volonté de laisser planer la même ambiguïté qui vient imprégner son œuvre tout entière. Est-ce la simple réalisation des fantasmes sexuels de bourgeoises cloisonnées, prises au piège par l’ennui et la tristesse amoureuse (le mari de l’un est mort, le second n’hésite pas à accepter un emploi à l’autre bout du pays) ? Est-ce un pied de nez inconscient, fait à la vie, au temps qui passe, aux rides qui pointent dans les miroirs ? Est-ce un complexe d’Œdipe mal réglé ? Une façon détournée, et inconsciente, de poursuivre une amitié amoureuse, aux relents lesbiens non avoués, sans pour autant passer à l’acte ? Peut-être un peu tout cela à la fois. Ou peut-être pas. Fontaine, mystérieuse, ni juge ni arbitre, ne cherche de toute façon pas le pourquoi, comme en témoigne le final qui abandonne froidement ses protagonistes à leurs désirs. Normal : « le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ».
Fontaine, en adaptant un court récit signé Doris Lessing, offre plutôt un roman-photo léché, délicat, traversé d’éclairs de perversion. Un peu inégal, aussi, tant, parfois, une justesse thématique et visuelle folle vient côtoyer des passages un peu trop démonstratifs. Ainsi, si un plan furtif sur le visage vieillissant de Watts suffit-il à illustrer subtilement toutes les obsessions d’une femme (et le regard qu’elle pose sur elle-même), d’autres choix de caméra, (ceux qui s’attardent trop longuement sur les corps parfaits des jeunes hommes notamment), viennent traduire le trouble des mères assez grossièrement. Pris entre deux eaux, le film brille alors et surtout grâce aux compositions inspirées de son duo de femmes. Complicité à la vie à la mort, troubles des trop grandes amitiés féminines, refus de vieillir : Fontaine et ses actrices embrassent à merveille toute la cérébralité du sous-texte. Ce qui rend hélas Perfect Mothers bien moins brûlant que ce qu’il aurait pu être, c’est cette retenue à l’écran. Intérieurement, les personnages sont violentés, malmenés, obsédés. A l’image, on ne perçoit ce déchaînement que par fulgurance, des instantanés trop rares remplacés le plus souvent par l'insert métaphorique de vagues impétueuses. Quelque part, et c’est dommage, Fontaine n’a pas pu transcender les standards trop sages du drame US à coups de symbolismes « à la française », et n’a pas su insuffler au décor radieux une délicieuse venimosité dérangeante qui nous aurait collé à la peau.