Steven Soderbergh, encore et toujours. Finalement, il n’y a presque pas une année sans que l’on puisse voir débarquer sur les écrans un métrage du réalisateur américain. Parfois mineur, parfois sympathique, parfois euphorisant, parfois énervant, chaque film délivre son lot de qualificatif. Et c’est peut-être pour cela qu’on (ne) l’aime (pas) le père Steven. Qu’en est-il, alors, de ces Effets secondaires ?
Steven Soderbergh est un cinéaste qui a plusieurs cordes à son arc. Ces multiples postures peuvent énerver, c’est certain, mais elles demeurent toujours présentes dans une filmographie éparse et plurielle. La prise de risque cinématographique est indéniable. Tantôt dans l’expérimentation ou dans le divertissement, il n’oublie pas d’être souvent dans la réflexion. Erin Brockovich, Traffic ou plus récemment Contagion sont là pour prouver cette capacité à interroger des thématiques sociales, économiques et politiques. Il est, d’ailleurs, intéressant de comparer le dernier film cité avec ce nouveau projet. Fonctionnant presque comme un diptyque, Effets secondaires pourrait être le pendant mental et intime d’un Contagion plus physique et général avec son histoire de contamination mondiale. L’intérieur et l’extérieur, en somme, d’un monde plus que jamais malade de et par lui-même. La démarche est cohérente, les enjeux rigoureux et la filmographie se targue d’une logique presque implacable. Effets secondaires se voudrait donc être dans cette continuité quelque peu politique de la carrière du réalisateur. En effet, avec cette histoire d’une jeune femme en proie à une addiction aux tranquillisants, le cinéaste n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur l’industrie pharmaceutique. Tout y est montré, que ce soit en amont avec ces relations entre industriels et médecins et cette capacité de la société à répondre à un mal-être, aussi futile ou profond soit-il, par la solution strictement médicamenteuse ou en aval où les conséquences désastreuses autant physiques que psychologiques de ces démarches sur leurs utilisateurs se voient être plurielles. Mieux encore, il y a ce petit quelque chose en plus, cette légère ouverture vers la crise financière via le parcours de Channing Tatum, qui enrichit parfaitement Effets secondaires. Cela pourrait paraître galvaudé tellement il est facile pour un cinéaste d’aborder un tel propos. Néanmoins, l’exercice est tellement discret qu’il passe avec une grande facilité. Le métrage apparaît consciencieux et presque plus rebelle qu’il ne veut bien le montrer au premier abord. Bravo à Steven Soderbergh donc pour cette subtile discrétion qui enrichit son projet. De plus, l’intérêt que le spectateur peut porter au film ne réside pas seulement dans ce croisement de thématiques qui prouve bien que le monde peut parfois (souvent ? Toujours ?) marcher sur la tête mais surtout dans la manière avec laquelle celle-ci est conduite et amené à l’auditoire.
Ce sont, en premier lieu, les acteurs qui font le boulot. Rooney Mara livre une prestation assez exceptionnelle dans son rôle de femme qui perd, peu à peu, pied. Elle confirme un talent indéniable et s’ouvre de merveilleuses perspectives pour un futur qui s’annonce radieux. A ses côtés, le reste du casting est à l’unisson, notamment Channing Tatum qui n’a pas son pareil dans le port du chapeau et qui, blague à part, montre que lorsqu’il est bien dirigé, il peut être crédible. Ce n’est pas toujours le cas, autant en profiter ici. Jude Law, quant à lui, joue sans cesse sur la corde trop british de son accent permettant une caractérisation simple, peut-être grossière et énervante et diablement efficace. On passera sur la prestation de Catherine Zeta-Jones qui fait le boulot, ni plus, ni moins. Si l’on ajoute à cela une imagerie très travaillée, le spectateur peut se dire qu’il est bel et bien devant le haut du panier soderberghien. La photographie est, il n’y a pas de tergiversation possible, remarquable. Les détails sont nombreux et presque ludiques, les jeux colorimétriques intéressants et significatifs. En addition, certains raccords au niveau du traitement sonore se mettent au diapason de la qualité et de l’exigence cinématographique (belle invention que ce montage son canette / grattage). L’auditoire peut alors prendre un réel plaisir formel d’autant plus que les cadres arrivent à être solides même si parfois quelque peu sur-significatifs. Deux éléments supplémentaires haussent le niveau encore plus haut. Il s’agit de jeux sur le flou et avec le reflet qui sont souvent recherchés. Tout ceci est bien adéquat car il se trouve qu’ils sont de parfaits révélateurs de la condition du double qui se créé, entre un physique toujours présent et un mental qui se délite, entre une psychologie ressentie et un monde vécu. Lors des scènes urbaines, il peut même en profiter pour aborder, par extrapolation, la situation du citadin qui erre tel un zombi dans un monde chargé de montres. Une telle démarche quant à la représentation ne peut que forcer un certain respect. Si le métrage, tout du moins dans son premier acte, est parsemé de ces outils d’imagerie, c’est, surtout, une séquence qui résume à elle seule le projet global. Cette réception sur un bateau, peut-être la plus belle scène du film, arrive parfaitement à conjuguer et à condenser magnifiquement le corps et le cœur du métrage. Mieux encore, l’émotion peut même pointer le bout de son nez. Rendons une nouvelle fois grâce aux acteurs.
Effets secondaires avait tout pour être bon, voire même très bon. Hélas, comme son avant-dernière production, le réalisateur va faire un changement de cap qui ne sera pas salvateur. Alors que dans Contagion, le revirement se faisait dans une démarche explicative lors de l’ultime séquence qui obstruait la démarche presque fantastique, et donc aux limites de l’irréelle, pouvant donner un cachet assez flippant, c’est, ici, dans le projet même. La descente aux enfers de l’héroïne n’intéresse plus Steven Soderbergh. Celle-ci va, tout bonnement disparaître du film. C’est une autre pente dangereuse qui prend le relais. Celle de Jude Law. Malgré les qualités du comédien, ce nouveau segment ne passionne guère. La faute n’en revient pas à la thématique car cette dualité aurait même pu être intéressante. Le problème se situe davantage dans le script. La transition est, en premier lieu, mal élaborée. Un acte fondateur, aussi puissant soit-il, n’est pas toujours gage de force scénaristique. Surtout, il divise clairement le film en deux entités distinctes qui respirent une certaine facilité. Et donne un côté bancal, il faut bien l’avouer. De plus, alors que la première partie proposait une écriture condensée qui permettait de rendre le métrage tendu, cette seconde proposition se fait plus classique en ne convoquant que le thriller. Nous ne sommes plus dans l’humain, ni dans le « politique » mais seulement dans le formel. Le métrage perd alors de sa richesse et de sa pertinence. Davantage de porosité n’aurait pas été de refus pour que tout ceci perdure. De ce fait, la beauté de la forme se fait moins flagrante tellement le spectateur peut ne pas se sentir concerné devant une telle évolution. Tout juste peut-on suivre, maintenant, le film avec un ennui poli.
Bien entendu, l’efficacité reste de mise car l’enrobage de qualité est toujours présent même si moins chatoyant. Pourtant, certains éléments dérangent – le terme est à prendre avec une connotation négative. En effet, alors que la représentation se permettait de questionner, elle arrive, à partir de ce moment, à en faire parfois clairement trop. L’aspect qualitatif se dilate devant nos yeux. Il faut le dire, les gros sabots sont maintenant de sortie. Le premier plan aurait dû nous avertir. Avec cette référence à Alfred Hitchcock, on se doutait bien que Steven Soderbergh n’allait pas savoir se concentrer sur son projet premier d’étude et qu’il proposerait une descente de genre. Pire, à citer si ouvertement le Maître du suspense, on finit par descendre d’un piédestal initial qu’il a su, pourtant, construire de fort belle manière. C’est bien ce qui arrive au réalisateur américain. Ce dernier n’arrive pas à donner un degré suffisant de férocité et de vice pour donner de la consistance au thriller. On prendra comme exemple une scène de sexe ou un flash-back marital tous deux à l’imagerie bien kitch qui finiront d’achever le spectateur. Et quand ce n’est pas la mise en scène, c’est au niveau de l’écriture que le bât blesse. On n’est, en effet, pas si loin du ridicule lorsque le cinéaste se permet une espèce de double twist qui n’apporte strictement rien à Effets secondaire si ce n’est de prouver que le métrage ne sait plus trop sur quel pied danser. A trop vouloir essayer de manipuler le spectateur, il finit par ne plus le passionner, surtout que les ficelles peuvent se faire plutôt visibles. La résolution se fera, donc, sans grande excitation. Quelques tentatives tenteront bien de sauver la face, comme l’image de la toute fin, un dialogue entre Jude Law et Catherine Zeta-Jones auquel Rooney Mara aimerait bien participer ou le discours final de Jude Law qui va essayer une caractérisation bienvenue et réellement méchante. Cependant, ces dispositifs arriveront soit de manière trop tardive soit trop éclatée. Le mal est déjà fait. Le film n’est plus bancal. Il est maintenant prouvé qu’il souffre d’un certain manque d’identité.
Effets secondaires est, à l’image de son héroïne, double. Une première partie convaincante, une seconde ennuyante. Et, malgré tout, un talent certain. Ce dernier film provoque la déception et presque l’énervement devant un tel aspect qui divise. On pourrait presque conseiller au réalisateur de mieux choisir ses scénarios, histoire que l’on puisse défintivement le considérer à une plus haute valeur.