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Mémoires d’outre-tombe !

Par Jacquesmercier @JacquesMercier

Récemment, j’ai pris un plaisir infini à lire les « Mémoires d’outre-tombe ». A travers le récit de sa propre existence, c’est l’épopée d’une époque bousculée et transformée : l’effondrement de l’ancien monde et le commencement du nouveau, issu de la Révolution française. François de Chateaubriand rédige ces notes au début du XIXe siècle.

Mon envie de le lire a été suscitée par des textes élogieux de Philippe Sollers et confortée par cette affirmation de Charles de Gaulle : « Tout m’est égal ; je suis plongé dans les « Mémoires d’outre-tombe » et c’est une œuvre prodigieuse ! ». J’y ajoute, pour être complet, cette critique de Julien Gracq : « Nous lui devons presque tout ».

Comment ne pas être frappé par l’actualité de bien des réflexions de Chateaubriand ? Celles sur la renommée, comme on appelait plus souvent la gloire, par exemple, sont d’une telle évidence. « Haletons après une renommée qui ne volera pas à quelques lieues de notre tombe ! » ou celle-ci qui est magnifique : « La gloire est pour un vieil homme ce que sont les diamants pour une vieille femme ; ils la parent, et ne peuvent l’embellir. »

Cependant, je voudrais plutôt relever une anecdote racontée dans cette œuvre et qui concerne la langue, les mots, le langage véhicule de nos pensées et d’une société. Ce qui devrait nous inciter à être particulièrement attentifs aux mots, à en saisir le sens et l’origine et à les sauvegarder. C’est un moment passionnant que cette étude-la, qui nous relie au passé et à l’avenir.

Il s’agit donc de perroquets et d’une anecdote dans le récit de son voyage en Amérique : « Des peuplades de l’Orénoque n’existent plus ; il n’est resté de leur dialecte qu’une douzaine de mots prononcés dans la cime des arbres par des perroquets redevenus libres, comme la grive d’Agrippine qui gazouillait des mots grecs sur les balustrades des palais de Rome. Tel sera tôt ou tard le sort de nos jargons modernes, débris du grec et du latin. » Cette dernière allusion a été sollicitée par Chateaubriand dans « Histoire naturelle » de Pline l’Ancien, au premier siècle de notre ère. C’est d’ailleurs le seul de ses ouvrages, une sorte d’encyclopédie, qui soit arrivé jusqu’à nous.

L’histoire est pittoresque et tragique. Elle nous amène à la réflexion et pour parodier les ballades de Villon : « Que sera notre langue devenue, dans un siècle ? ». Alors utilisons-la au mieux tant que nous le pouvons ! Vivons-la de l’intérieur, je dirais avec gourmandise, avec volupté. Goûtons les mots, les phrases, leur équilibre ou la surprise de leurs ruptures.

Pour en terminer ici avec les « Mémoires d’outre-tombe », comment ne pas admirer cette courte phrase, tellement suggestive, qui, par quelques mots choisis et évocateurs, nous décrit l’atmosphère précise d’une ville entière ? Ce que l’auteur lui-même définit par ailleurs comme le style et qu’on peut lui appliquer : « On ne vit que par le style. Le style, et il y en a de mille sortes, ne s’apprend pas ; c’est le don du ciel, c’est le talent. » Voici cette phrase relevée pour vous : « A Smyrne, le soir, la nature dort comme une courtisane fatiguée après l’amour. » Je ne connais que peu de phrases aussi fortes dans la langue française : le nom de la ville, le soir qui tombe, l’alanguissement, le mot ambigu de courtisane, l’amour, les parfums qu’on devine balsamiques…

La langue comme support de ce que nous vivons au présent. La langue comme témoin de ce que nous espérons et enfin de ce que nous avons fait. Mais tout est inscrit dans le temps qui passe et l’on peut déjà imaginer que des mots de la langue française (Nénufar, Ognon ?) seront un jour répétés par des perroquets, s’il en reste ! Enfin, on nous confirme à l’envi que nous sommes dans une période de grande transition, de crise, de mondialisation. Chateaubriand, qui en a donc vécues des différentes, nous propose une manière de vivre que nous pouvons toujours utiliser, comme un entre-temps. « Dans une société qui se dissout et se recompose, la lutte des deux génies, le choc du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles, forment une combinaison transitoire qui ne laisse pas un moment d’ennui. »

François-René de Chateaubriand

François-René de Chateaubriand



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