Difficile d'aborder toutes les questions, de suivre toutes les pistes qu'on aurait souhaité dans un article. Ma critique du roman La Boue de Saint Pierre est forcément concise. Cette interview accordée par l'auteure m'a ainsi permis de revenir avec elle sur certains points. Elle est parue dans le numéro 516 du magazine AMINA (avril 2013).
Avec la Boue de Saint-Pierre,
son premier roman, Ralphanie Mwana Kongo nous entraîne dans les rues boueuses de
Saint-Pierre, un quartier insalubre où la population essaie tant bien que mal
de s’en sortir. Nous sommes à Tanu, pays imaginaire d’Afrique centrale. A côté
des ‘‘misérables’’ de Saint-Pierre, il y a les nantis, qui ont des maisons, des
voitures, qui préfèrent jeter de la nourriture dans les poubelles plutôt que de
la voir faire le bonheur d’une famille dans le besoin. Tanu est à l’image des
sociétés modernes : très antinomique. Pauvreté excessive d’une part,
richesse insolente de l’autre. Explications de l'auteuire.
Ralphanie Mwana Kongo, l’image que vous donnez de la femme dans votre
roman est très satirique : mères indignes, fille qui ne tente rien pour
s’en sortir même si le sursaut intervient plus tard, épouse ingrate et
infidèle… vos personnages féminins n’illustrent pas la pensée selon laquelle la
femme est l’avenir de la société…
(Sourire de l’auteur) Je n’ai pas le sentiment d’avoir gratifié les
personnages masculins de mon roman d’une image plus reluisante. Mais en même
temps l’exercice d’écriture que j’ai entrepris ne consistait pas à comparer les
hommes aux femmes ; c’est de l’Humain que j’ai voulu parler, l’Humain dans
ce qu’il peut avoir de louable ou de méprisant, peu importe le genre auquel il
appartient.
La femme, l’avenir de la société ? Mais qu’est la femme sans
l’homme, et vice versa ? Je crois, moi, en la complémentarité des sexes
pour la construction d’une société plus juste.
La boue du quartier Saint-Pierre où évoluent vos personnages, et qui
donne son titre au roman, illustre-t-elle l’implacable misère dans laquelle pataugent
certaines couches des sociétés africaines ?
Disons qu’au-delà de son aspect
factuel (en rapport avec l’état même des rues), la boue symbolise ici la
crasse, la souillure. Je me suis attelée à décrire les mœurs des résidents de
ce quartier pauvre qu’est Saint-Pierre, faisant ainsi un lien étroit entre
misère et vices. La pauvreté déprave l’Homme, il est ce fumier sur lequel
germent des maux tels que la prostitution, l’escroquerie, …
Dans votre roman, deux jeunes enfants sont traités comme des
domestiques, voire des esclaves, par leur grand-mère qui les considère plus
comme une main d’œuvre gratuite que comme des petits-enfants. Ces actes sont
condamnables, bien sûr, mais faut-il pour autant généraliser et présenter
l’initiation des jeunes aux travaux domestiques comme une mauvaise chose ?
Non, l’initiation des enfants aux
travaux domestiques n’est pas une mauvaise chose en soi. Bien au
contraire ! Et nous avons tous appris au contact de nos mères, nos aîné(e)s
… Seulement un enfant doit baigner dans l’insouciance propre à son âge, avoir
accès aux loisirs utiles à son épanouissement, et ne devrait en aucun cas assumer
des responsabilités d’adulte - je fais
ici allusion par exemple à ces petites filles qui secondent leur mère, qui
doivent en permanence s’occuper de leurs cadets ; ces enfants à qui l’on attribue
un rôle qui ne devrait pas être le leur.
Vous dénoncez dans votre livre, je cite : « une société basée sur le tabou, les non-dits, les silences
complaisants ». En publiant ce roman, espérez-vous que les langues se
délient ? Connaissez-vous des personnes dans votre entourage qui ont subi
des choses ignobles comme l’inceste et qui ne se sont pas révoltées ?
Le tabou est encore beaucoup trop
présent dans nos sociétés africaines. Il faut dire qu’il est également
difficile pour une victime - qui nourrit un sentiment de culpabilité - de
dénoncer les sévices qu’elle subit. Et c’est surtout parmi les proches, dans le
voisinage, que les langues devraient davantage se délier, que des mesures
doivent être prises pour mettre un terme à ces choses et punir leur auteur.
Non, je n’ai eu vent d’aucun acte
d’inceste dans mon entourage immédiat, heureusement !
Peut-on s’émanciper quand on n’a aucun soutien, quand la société refuse
de voir votre calvaire ?
Cela est difficile, mais demeure
toutefois possible. Gaspard Tala, l’un des principaux personnages de mon roman,
parvient à trouver sa voie grâce à la couture. Plus tard sa sœur Pélagie,
prendra conscience qu’elle peut à son tour s’affranchir du joug d’un compagnon
irresponsable et brutal, et assurer son avenir ainsi que celui de ses enfants
grâce à son talent (qui est le tricot).
La Boue de Saint-Pierre est votre premier
roman, qu’est-ce qui a été votre moteur ? Qu’est-ce qui a motivé votre
désir d’écriture ?
Je rêve d’écrire depuis mes plus
jeunes années. Et ce premier roman est né d’une empathie sur la condition de
certains individus. Je conçois l’écriture comme un outil, une arme dont on peut
aisément se servir pour dénoncer certaines choses. J’écris parce qu’il y a des
réalités qui me dérangent.
Vers la fin du roman, le dirigeant au pouvoir est renversé par l’un de
ses proches, après avoir régné en dictateur durant plusieurs décennies. Et
voici ce que nous lisons à la page 151 : « Bukuta était un diable auquel on s’était accommodé au fil des
ans. Et un diable qui vous est familier est bien plus rassurant qu’un inconnu,
dont on ne sait s’il se conduira en ange ou en démon cent fois plus ignoble
encore que son prédécesseur. » La dictature est-elle tolérable
lorsqu’elle est gage de stabilité ?
Rien ne
peut justifier la dictature. Dans cet extrait, l’auteure que je suis
retranscrit la pensée de ces peuples marqués à jamais par un sombre passé fait de
guerres civiles et d’insécurité politique, et pour lesquels des maux, tels
que le chômage et la pauvreté, deviennent supportables pour peu qu’on leur
garantisse une paix même précaire. Et l’homme qui sera parvenu à les sortir de
la guerre, à faire régner un semblant de paix dans le pays, les rassure bien
plus qu’un nouveau dirigeant – surtout quand celui-ci prend le pouvoir par la
force - dont ils ne peuvent encore prévoir la bonne ou mauvaise
« gouvernance ».
En plus de lire La Boue de Saint-Pierre, quel(s) roman(s)
conseilleriez-vous à nos lecteurs ?
Temps de chien, de Patrice
Nganang. Un très bon roman !
Propos recueillis par Liss Kihindou