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Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 09 avril 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Voilà déjà une heure que l’eau du robinet ruisselle sur ses avant-bras.  Que le savon glisse, infatigablement, sur sa main gauche, sur sa mainMiroir droite. Que le grattoir de l’éponge use, frénétiquement, l’épiderme de ses doigts emmêlés. Une heure déjà que la belle souillée tente de se délester des impuretés qui semblent imprégner le creux de ses mains.   Alors elle frotte, fiévreusement, décape, furieusement, celles jadis si douces.  Presque à vif, elles pleurent, ses martyres abrasées.  Elles pleurent vermeil.  Et, au fond du lavabo, se mêlent un instant les larmes du robinet et celles de ces deux mimines harassées.  Et sans remords aucun, les yeux de la belle les observent, s’emmêlant, tournoyant tout au fond avant de plonger dans le siphon.

Mais elle a beau frotter du mieux qu’elle le peut, ses deux effrontées semblent toujours aussi sales.  Et elle a beau savoir que ni l’eau, ni le savon, ni le grattoir ne pourront les libérer de ces stigmates, elle s’acharne.  Encore.  Toujours.  Demain, tout redeviendra comme avant.  Demain, ses mains seront à nouveau douces.  Demain, à nouveau elles combleront quelques corps fatigués.  Parce que la belle est masseuse.  Travaillant depuis cinq ans dans le même salon, elle a même un certain succès auprès des habitués, qui ne tarissent pas d’éloges à son sujet.  Elle a, paraît-il, des mains de fée, et un doigté magique.  Et de ses deux petites fées, elle prend grand soin.  Enfin, prenait.  Pour ne jamais écorcher aucun grain de ces peaux qu’elle enivre chaque jour.  La magicienne, on l’appelle.

Mais depuis une heure déjà, la magicienne a perdu ses mains de fée et son doigté magique.  Elle n’a même plus rien d’une magicienne et semble bien incapable de faire quoi que ce soit de ses deux protubérances décharnées.  Elle leur en veut.  À un point inimaginable.  À ces deux mains qui viennent de tout gâcher.  De la souiller pour l’éternité.  Elles ont commis l’irréparable.  Elle ne voulait pas.  Elles l’ont forcée.  Comment c’est arrivé, elle ne s’en souvient plus très bien.  Bien que des bribes de souvenirs remontent à la surface du lavabo.  Il y avait lui.  Son complice dans la vie.  Son mec.  Là, dans la rue.  Sur le trottoir qui fait face au salon.  Elle avait esquissé un sourire en l’apercevant par la vitrine et lui avait fait un signe.  Mais il ne regardait pas de son côté.  Son regard semblait perdu contre un horizon lointain.  Et puis.  Et puis, il est apparu l’autre.  L’autre mec.  Qui s’est approché de son mec à elle.  Et puis.  Et puis, ces deux mecs-là se sont retrouvés face à face.  Ils se sont étreints.  Et se sont embrassés.  Et elle.  Elle est restée là, tel un mannequin sans vie, derrière sa vitrine.

Terrassée, elle n’a rien fait.  Mais ses mains ont pris le relais.  Elles ont dû attraper une paire de ciseaux.  Ou quelque chose comme ça.  Et ont forcé ses deux jambes à entamer une course qui l’ont portée vers eux.  Ces deux mecs enlacés.  Elles n’ont probablement pas vu la tête du premier mec blanchir tout à coup.  Ne l’ont peut-être pas entendu lâcher un cri.  Ni celle du second mec étouffer un sanglot.  Quand, comme folles, elles ont enfoncé l’arme.  Encore.  Et encore.  Dans le vide.  Dans le vent.  Dans la poitrine du premier mec.  Dans la jambe du second.  Dans la folie.  Dans le désenchantement.  Et puis, elles ont dû lâcher cette arme de rien du tout, quand le corps du premier type est tombé.  Que le corps du second s’est agenouillé à ses côtés.  C’est à ce moment-là.  Rien qu’à ce moment-là.  Que la belle a dû se réveiller.  Enfin.  Trop tard.  Avec ces deux criminelles pendues au bout de ses bras.

Elle ne voulait pas.  Elles l’ont forcée.  Qu’elle a bredouillé avant de courir, vite, loin, ailleurs que là.  Et voilà déjà une heure qu’elle tente d’effacer tous ces relents insolents.  Le savon et le grattoir entre les mains.  Ces deux mains qui ne seront jamais plus ni douces ni féeriques.  Ces deux mains qui n’enivreront jamais plus aucun grain.  Ces deux mains qui ne seront plus jamais que lourdes.  Ces deux mains dont elle doit se débarrasser.  Là.  Tout de suite.  Pour faire taire cette voix qui hurle en elle depuis tout à l’heure.  Des meurtrières !  Des coupables ! Des lendemains trop lourds pour son frêle corps.  Pour ne plus voir celles qui viennent soudain de faire basculer son destin.  En lui ôtant son mec.  Son prince charmant.  Son travail.  Son unique passion.  Sa vie.  Son conte de fées.  À elle.

Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…
Alors, elle prend enfin son courage à deux mains.  Ferme le robinet pour qu’enfin il arrête de pleurer.  Lui.  Et d’un pas lent, descend à la cave.  Là où gisent d’innombrables objets chinés par feu son mec dans quelque vide-grenier.  Ces objets amassés à qui jamais personne n’avait réellement rendu la vie depuis.  De vieux meubles.  Des vases ébréchés.  Des boucliers rayés.  Des tableaux tachés.  Des lampes courbées.  Des livres jaunis.  Des bijoux sortis d’un autre temps.  Un autre temps.  Et, tout au fond, derrière une étagère, une vieille guillotine rouillée.  Pourquoi, comment elle était arrivée là, elle croit ne jamais l’avoir su.  Peut-être qu’elle n’attendait qu’elle, et ce jour-là.  La belle la rejoint et, en sa direction, tend ses deux mains.  Bientôt, ce cauchemar sera enfin terminé.  Bientôt, débarrassée de ces deux tueuses, sa vie pourra à nouveau reprendre son cours.  Et lui.  Lui, il sera là.  Comme avant.  Sans cet autre mec.  Sans cris et sans reproches.  Avec de l’amour.  Juste de l’amour.  Lui.  Et elle.

Tchak.

Notice biographique

Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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