Magazine Cinéma

The Act of Killing de Joshua Oppenheimer

Publié le 10 avril 2013 par Journal Cinéphile Lyonnais @journalcinephil

The act of killing

The Act of Killing
Réalisé par  Joshua Oppenheimer
Documentaire
Danemark – Norvège – Angleterre, 2012, 1 h 55
 Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 10 avril 2013

 Le film

La mort est leur métier : The Act of Killing est un film documentaire assez ahurissant, dans lequel des criminels de guerre indonésiens aussi grotesques que glaçants, et jouissant d’une totale impunité grâce au régime qu’ils ont contribué à édifier, rejouent fièrement leurs crimes pour la caméra de Joshua Oppenheimer. Un film vérité qui met mal à l’aise, qui dérange.

Plus précisément, The Act of Killing porte sur le génocide de membres du Parti Communiste Indonésien en 1965, accusés d’avoir tenté un coup d’État déjoué par le général Suharto. Après avoir pris la tête de l’armée, le général a ordonné une violente répression des sympathisants du parti, causant entre 500 000 et 1 million de victimes torturées et massacrées en quelques mois.

The Act of Killing raconte notamment la vie d’Anwar Congo, un mafieux de Medan qui est devenu l’assassin principal des membres du Parti communiste de cette ville en 1965 et en 1966. Les spectateurs assistent, effarés, à la manière dont Anwar raconte sa cruauté sans fard ni état d’âme.

The act of killing1

Les origines de The Act of Killing

L’idée de The Act of Killing , le réalisateur américain l’a lors de son premier voyage à Sumatra en 2001. A cette époque, il tournait un documentaire sur les ouvriers des plantations de palmiers à huile dans la région de Matapao [dans le nord de l’île de Sumatra]. “Je voulais montrer les problèmes de ces ouvriers ainsi que leurs difficultés à former un syndicat d’ouvriers”, explique Oppenheimer.

Pendant le tournage, il apprend une chose étonnante : ces ouvriers vivent aux côtés des hommes qui ont assassiné de nombreux travailleurs du Parti communiste indonésien en 1965 et en 1966. “Leurs voisins étaient des bouchers qui avaient tué leur père, leur oncle”, précise Oppenheimer. Un jour, le réalisateur trouve l’occasion de discuter avec un de ces tueurs qui lui raconte, dans les moindres détails, comment il a liquidé un membre du syndicat ouvrier affilié au Parti communiste.

Après avoir terminé son documentaire, il rentre en Angleterre, mais décide de revenir à Sumatra pour tourner un film sur ces tueurs.

En 2005, Oppenheimer fait la connaissance d’Anwar Congo. Anwar est connu comme le mafieux des cinémas, car autrefois il régnait sur le marché noir des tickets de tous les cinémas de Medan. Durant son enquête, le réalisateur découvre que les membres des bataillons de tueurs de Medan en 1965 étaient recrutés pour la plupart parmi les mafieux des cinémas, tout simplement parce qu’ils haïssaient les communistes, qui appelaient au boycott des films américains très en vogue à l’époque à Medan.

Oppenheimer fait aussi la connaissance d’Adi Zulkadry, un compagnon de débauche d’Anwar depuis l’adolescence. Adi, Anwar et d’autres compères ont procédé aux arrestations, enlèvements, interrogatoires, tortures, assassinats des communistes de Medan, et ont été jusqu’à l’élimination des corps de leurs victimes. Ils formaient ensemble le “bataillon des grenouilles”, un célèbre groupe de tueurs qui semait la terreur.

« Les bourreaux » n’ont pas été difficiles à convaincre pour participer au tournage de The Act of Killing, comme l’explique Joshua Oppenheimer : « Pour eux, les actes qu’ils avaient commis n’avaient rien de répréhensible et méritaient plutôt d’être célébrés. Ils n’avaient donc rien à cacher. C’est précisément ce symptôme révélateur d’une terrible maladie morale et sociale que le film tente d’examiner. Je n’ai pas eu à les convaincre de jouer dans le film. Ils tenaient à participer. »

The Act of Killing 02

Oppenheimer a choisi un procédé courageux de mise en scène.

Les tueurs de 1965 ne sont pas juste une source narrative ni des objets devant la caméra comme dans la plupart des films sur cette thématique. Le réalisateur les invite à s’impliquer directement dans la réalisation même du film, à inventer eux-mêmes le scénario au jour le jour, mélange de réalité et de fiction, basé sur leurs souvenirs, leur imaginaire, leurs chimères et leurs commentaires d’aujourd’hui sur les atrocités dont ils ont été les auteurs dans le passé. Cette méthode n’est pas une première pour le cinéaste, Oppenheimer l’a éprouvée avec son œuvre précédente, The Globalisation Tapes son film sur les ouvriers agricoles dans les plantations de Sumatra. Il donne aux tueurs toute liberté dans l’écriture du scénario, dans le choix de leur rôle et des acteurs secondaires, dans la musique, le décor, les costumes et le cadrage.

The Act of Killing est aussi un documentaire sur le tournage d’un film de fiction par les tueurs de 1965, sur leurs propres crimes qui, sont, eux, bien réels.

SONY DSC

Un tournage qui met parfois mal à l’aise le réalisateur

Joshua Oppenheimer a reconnu avoir eu des difficultés lors du tournage de certaines scènes, craignant de cautionner les actes des criminels en les filmant. Il explique : « Il y a plusieurs moments dans le film où j’ai ressenti cette compromission, mais ça me semblait nécessaire. (…) Quand nous avons filmé la scène où des commerçants chinois se font extorquer, ce fut une expérience très pénible. (…) J’aurais voulu disparaître de la surface de la Terre. (…) J’étais mortifié. J’ai demandé à mon collaborateur anonyme s’il fallait arrêter de tourner, mais il a insisté pour que l’on continue car ces méthodes d’extorsion quotidienne n’avaient jamais été documentées auparavant en Indonésie. Il avait raison, c’est une scène clé du film. »

The Act of Killing 04

Plus de 100 heures d’images à monter

Le tournage de The Act of Killing a été très prolifique pour l’équipe, qui a accumulé plus de 1 000 heures d’images. Le montage a donc été une étape cruciale de l’élaboration du film, et a duré de longs mois. Le réalisateur revient sur ce travail méticuleux : « Entre fin 2009 et début 2011, deux monteurs ont travaillé simultanément pendant 16 mois pour réduire 1000 heures à 23 heures de montage préliminaire. (…) Nous ne voulions pas prendre le risque de fausser la signification d’une scène ou d’avoir l’air de porter un jugement, sans qu’il y ait eu un travail de montage. Cela nous a aidé à trouver le ton du film. (…) La grande difficulté était de réussir cet exercice de haute voltige permanent entre empathie et répulsion. »

Un tournage risqué

Certains membres de l’équipe technique, dont un coréalisateur et un producteur, ont tenu à ne pas figurer au générique : ils sont donc mentionnés en tant qu’anonymes. Joshua Oppenheimer explique cette décision : « Il y avait un véritable risque pendant le tournage. Derrière cette appellation à la résonance particulière se cachent des personnes remarquables. Sans leur courage, le film n’aurait pas existé. (…) L’un d’entre eux a été pendant 8 ans mon assistant sur la réalisation, le son, le montage et s’occupe maintenant de la distribution en Indonésie. »

Projections clandestines

The Act of Killing a été projeté en Indonésie clandestinement, et a touché la population, celle-ci prenant peu à peu conscience de son Histoire : « La première du film a eu lieu le 10 décembre 2012, journée internationale des droits de l’homme. Depuis, des projections ont lieu secrètement dans tout le pays« , raconte le réalisateur Joshua Oppenheimer, en poursuivant : « En Indonésie, ce spectacle d’un père fondateur du régime en place, s’étranglant littéralement sur les actes qu’il a commis, a eu un profond impact sur la population et la manière dont elle perçoit son histoire et ses dirigeants. Tout le monde savait que le pouvoir en place était corrompu et que certains politiciens avaient été des tueurs. Les langues se déliaient enfin. »

Festivals

Le film a été sélectionné à la Berlinale 2013 section Panorama.

 
Joshua Oppenheimer

Une interview du réalisateur : ici


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Journal Cinéphile Lyonnais 15243 partages Voir son blog

Magazines