Titre original : The Croods
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Kirk DeMicco, Chris Sanders
Distribution voix : en V.O. : Nicolas Cage, Emma Stone, Ryan Reynolds, Catherine Keener, Clark Duke, Cloris Leachman, Chris Sanders, Randy Thom… / En V.F. : Dominique Collignon-Maurin, Kev Adams, Bérengère Krief, Françoise Vallon, Benjamin Bollen, Colette Veinhard…
Genre : Animation/Comédie/Aventure
Date de sortie : 10 avril 2013
Le Pitch :
Si la famille de néandertal des Croods a survécu pendant aussi longtemps, c’est parce qu’elle a suivi les règles de Grug, le chef de famille : rester dans la caverne, toujours avoir peur, ne jamais sortir la nuit, rester ensemble, craindre la nouveauté car c’est mal… Mais Eep, la fille aînée du groupe, en a marre de l’attitude stricte de son père. Elle est fascinée par la lumière extérieure, et veut partir à l’aventure. Son vœu se voit rapidement exaucé lorsqu’elle rencontre Guy, un homo sapiens intelligent qui maîtrise le feu et qui a calculé que la fin du monde allait bientôt sonner. Quand un tremblement de terre détruit leur caverne, les Croods partent à la recherche d’un nouveau domicile avec Guy comme guide, traversant des terres exotiques et dangereuses habitées par d’étranges créatures, alors que les continents commencent à se séparer. Pendant leur périple, la position masculine de Grug est menacée par l’arrivée de ce petit génie préhistorique, et le fait que sa fille ne soit pas uniquement séduite par l’amour du risque n’arrange pas les choses…
La Critique :
Si les créateurs des Pierrafeu avaient pris des hallucinogènes, le résultat partagerait des ressemblances avec Les Croods. Loin d’être la première comédie sur une famille préhistorique, Les Croods n’est pas un grand film, mais il en reste bon durant toute sa longueur, avec les aspects traditionnels attendus, d’un studio comme DreamWorks : un beau travail d’animation, un bel effort de la part des acteurs qui prêtent leurs voix au long-métrage, et assez malin pour ce qu’il est, même s’il reste largement prévisible.
Allez, on répète : l’histoire concerne une famille préhistorique, qui a toujours survécu en suivant la consigne « rester dans la grotte » d’un père gentil mais sur-protecteur appelé Grug (la voix de Nicolas Cage dans la version originale). Une famille contrainte à s’aventurer dans la nature pour échapper à la dérive des continents. À la recherche d’un nouvel abri, le périple se complique lorsque Eep, la fille aînée rebelle, tombe amoureuse du guide involontaire Guy, dont la philosophie « esprit libre » se heurte à celle du père. Ah, et la compréhension que possède le film pour la préhistoire est légèrement au-dessus de celui de la saga L’Âge de Glace, se limitant à « les gens étaient baraqués et portaient des fourrures, et tous les animaux étaient grands et avaient une gueule bizarre ». C’est L’Âge de Glace 4, mais en moins pourri.
Et pourtant, seulement pour avoir fait un pas de plus, Les Croods est une bouffée d’air frais. Il semblerait que l’animation ait enfin pris une douche froide et innovée le rôle du protagoniste féminin. L’histoire de Eep est peut-être une énième répétition du même numéro de La Princesse Qui Recherche de L’Autonomie servi par Ariel, Pocahontas, Raiponce et compagnie, mais presque par défaut, c’est l’une des héroïnes les plus intéressantes du cinéma d’animation depuis un bon moment. Première bonne trouvaille ? Le film la laisse être aussi naïve et « bête » que le reste de sa famille, malgré le fait qu’elle soit automatiquement nominée comme étant la plus sérieuse du groupe.
Mais c’est surtout le physique qui fait la différence. Alors que les princesses Disney et leurs imitatrices tendent à avoir la même apparence qu’une poupée Barbie quels que soient leurs liens de parenté, Eep est baraquée comme un tracteur et partage le même corps que sa famille : trapue, musclée, de larges épaules, des bras et des hanches surdimensionnées (les Croods courent souvent à quatre pattes comme des singes), une grosse tête ovoïde, etc. Elle a même le droit d’avoir la même force surhumaine que les hommes, soulevant des pierres comme ferait l’Incroyable Hulk. À côté, la supposément révolutionnaire princesse Merida de Rebelle, ressemble à Hannah Montana.
Poussant la subversion du genre encore un peu plus loin, c’est Guy, son amoureux, qui se voit chargé du rôle du personnage moderne et conventionnellement beau gosse dans ce monde préhistorique (l’idée étant qu’il est censé être un Homme de Cro-Magnon alors que les Croods sont des Hommes de Néanderthal), et l’indication que l’apparence d’Eep laisserait entendre qu’elle ne serait pas une « partenaire idéale » pour lui (au contraire, il est complètement sidéré) n’est jamais suggérée du tout. Sérieusement, quelqu’un a inventé un personnage féminin qui porterait peut-être une taille différente. DreamWorks mérite carrément une médaille.
Pour ce qui est du reste du film, ça sent un peu le réchauffé. Mais ça continue à être divertissant et parsemé de moments délirants assez créatifs. Parmi ceux-là, une joyeuse séquence de chasse qui ouvre le film, où l’on voit la famille « attraper » son petit dèj’ suivant une chorégraphie proche du rugby ou une course aux obstacles poussée à l’extrême. Certes, les blagues auraient pu passer la seconde au lieu de ressortir les mêmes gags « tel père/tel fille » (il y a notamment un superbe délire morbide concernant Grug qui attend que la grand-mère du groupe morde la poussière, qui ne fait jamais le grand saut, puisque c’est bien sûr un film pour enfants), les messages destinés aux petits hésitent entre le tendre et le niais (« il faut partir à la recherche de demain… »), et l’acte final divague vers quelque-chose d’assez inattendu avant de retourner tranquillement dans le territoire du familier pour la conclusion.
Mais en fin de compte, le jeune public ciblé trouvera sans doute le film beaucoup plus original qu’il ne l’est vraiment, puisqu’on oublie souvent que les genres se servant des hommes préhistoriques comme métaphores de la modernité ont été revisités au fil des décennies : de la comédie ridicule Un Million d’années avant J.C. (1966) à l’humour plus sombre et sérieux de La Guerre du Feu (1981), en passant bien sûr par Les Pierrafeu.
L’utilisation de civilisations tribales ou primitives comme paramètres pour commenter ou parodier le présent n’a rien de nouveau, bien entendu. Par exemple, au 19ème siècle, les ouvrages Winnetou de l’écrivain allemand Karl May employaient l’usage d’amérindiens afin de créer des avatars de fiction pour les valeurs et les traditions guerrières germaniques. Mais en général, le modèle de l’homme des cavernes est celui qui a enduré le plus. Après tout, il n’y plus d’Hommes de Cro-Magnon pour porter plainte contre la caricature…
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : 20th Century Fox France