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Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 12 avril 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Assise.  Elle était assise – et heureusement pour lui.  Car, s’il l’avait vue se mouvoir, s’étendre à la verticale, il serait tombé de sa chaise, vaincu, Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…abruti.
Assise.  Sa tête avait tendance à pencher sur la gauche, comme une de ces feintes coquetteries que les filles se plaisent à avoir.  Elle fumait.  Elle attendait.  Quelqu’un.  Quelque chose.  Que le temps passe. Que le monde coule. Elle attendait placidement, oubliant même sa cigarette qui, autonome, se faisait fumer par le vent.

Regard désertique.  Immobilité.  Sorte de sourire, figé, de politesse, absent sous le vernis.
Dans la tasse devant elle fumait une boisson – thé, chocolat, ou autre, la tasse était grande.
Il la regardait sans pudeur.  Il se demandait si, finalement, elle allait boire.  Si elle n’était pas là juste pour lui, pour éclairer sa journée qui promettait d’être médiocre, vu qu’il avait rendez-vous à la banque pour discuter de sa situation plus que catastrophique.
Remarquant son absence – qui dessinait autour d’elle une sorte de halo, de lueur diffuse, cela arrive avec les gens « absents » –, il ne se gênait pas pour la dévisager.
Sa beauté était peu commune : elle ne provenait pas d’une harmonie plus ou moins régulière dans la disposition des traits, des yeux, de la bouche.  Une bouche sûrement trop petite.  Des yeux sûrement trop grands.  D’ailleurs, les autres hommes assis en terrasse l’ignoraient gracieusement.  Cette beauté-là venait d’autre part, de profondeurs subtiles nichées au fond de l’âme.  Elle irradiait par le regard – pourtant creux – et le sourire – pourtant faux.  Cette beauté-là, simplement, respirait l’intelligence.  Il en va parfois ainsi : on remarque une face, un regard qui, malgré leur aspect ingrat, diffusent une telle lumière que l’être un peu sensible aux qualités d’un cerveau ne peut qu’en être dévasté.  Il faisait partie de ce genre d’hommes.
Son café, à lui, était bu, oublié.  Il ne buvait, ne se nourrissait que d’une chose : cette fille.  Les yeux mi-clos, la bouche ouverte sans le savoir, on aurait dit qu’il la regardait avec sa bouche.  C’était le cas : la fonction de la vue était clairement brouillée.
Il la mangeait de loin.  Il la mangeait en silence, de tout son cœur.
Un mouvement.  La statue s’agite.  Sort un carnet de son sac, le feuillette, et ce visage en mouvement est encore plus noble.  Une moue de lassitude remplace le sourire.  Le carnet se ferme – même les mains ont l’air intelligentes, il délire totalement – ;  les yeux se plissent, la tasse fume encore.  Debout.  Corps debout.  Lui, six pieds sous terre, écrasé par ce qu’elle dégage.  Il regarde sa montre.  Elle, encore un peu ailleurs, ne le regarde pas.  Elle part.  En la suivant des yeux, la bouche encore imprégnée de cette improbable saveur, encore inconsciemment ouverte, il la voit entrer dans la banque.

La journée, finalement, avait peut-être une chance de devenir autre chose.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments, et Poèmes, Mignardises et

Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…
Aphorismesaux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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