Tyler, The Creator « Wolf » @@@½
Après Bastard et Goblin, au tour de l’alter-ego Wolf du ODWGKTA de prendre possession du corps du jeune Tyler, The Creator. C’est fini, Tyler ne se prend plus pour ce paradoxe ambulant qui pensait être une licorne. La pochette ultra-kitsch en dit long sur le handicap mental du personnage. Bah alors qu’est-ce qu’on attend pour écouter ses nouvelles folles aventures?
« Fuck you ». C’est par ces mots doux que Tyler inaugure ce premier album distribué en major. Qu’il y ait ou non un logo Sony sur le boîtier du CD, la tête pensante – je ne sais pas si c’est l’expression qui convient mais bon – d’Odd Future n’a pas appris la politesse ou la discipline. Tant mieux! Tyler et son comparse Hodgy Beats commencent par nous péter la nuque avec « Jamba« , un instru conçu avec des bruits de synthés qui ressemblent presque à des pets et des gémissements féminins. C’est à partir de « Cowboy » qu’on commence par cerner qui est ce fameux Wolf, quand il dit « I’m the cowboy of my own trip »: Tyler s’imagine comme une sorte de loup affamé de jeunettes, un monstre qui découvre l’amour rendu possible grâce à son succès. L’expression de cette tempétueuse post-adolescence se retrouve sur des titres comme « Answer« , « Awkward » (sur lequel il ne fait que parler avec sa grosse voix transformée), « IFHY » (pour « I fuckin’ hate you »). En tout cas ça change des viols et de ces envies frénétiques de masturbation ou de meurtre, les thèmes sont moins malsains mais une chose est sûre, croyez bien que ses lyrics ne sont pas devenus hygiéniques.
Musicalement parlant, Tyler a fait un grand bond en avant à la production. Ses instrus sont bien plus élaborés et mélodiques. Sur pas mal de morceaux on se dit d’ailleurs « tiens ça ressemble à du Neptunes du début des années 2000″, « tiens là aussi on dirait du Neptunes », « puis encore là tiens ». Ouais, voilà, c’est de notoriété publique que Tyler est un hardcore fan des Neptunes et cela a eu une incidence directe sur sa musique. C’est fort, on est passé de Goblin, avec des beats chaotiques à la limite de l’amateurisme à un album très accessible d’écoute, surtout quand la voix de Frank Ocean (ou Syd the Kid en toute discrétion sur le mélancolique « Answer« ) arrive comme du beurre sur la biscotte sur « Slater » suivi de « 48« , puis le medley « PartyIsntOver/Campfire/Bimmer » (ça devient le truc à la mode de faire plusieurs morceaux en un). On y trouve même dans certains de ces titres une teinte californienne. Quitte à s’inspirer fortement des Neptunes, on finit par rêver que Pharrell Williams apparaisse de nulle part, ce qui se produit sur « IFHY » comme par magie. Magique aussi cet essai néo-soul réussi « Treehome95 » avec Erykah Badu s’il-vous-plaît. Paraît qu’il s’agit d’une chanson inachevée, mais qu’est-ce qu’on s’en cogne!
Il y a du changement sur de nombreux aspects mais dans le fond, Tyler reste Tyler, avec sa voix grondante et ses délires entre pote des Odd Future Domo Genesis, Earl Sweatshirt, Casey Veggies, Hodgy, Left Brain, Taco, Jasper Dolphin, comme « Domo23 » ou plus typiquement « Trashwang » moins le bordel organisé. Dans le genre « on arrive en groupe pour chercher des problèmes », « Pigs » est pas mal du tout. Seul, Tyler s’en tire à bon compte également, en essayant tant bien que mal de gérer son récent succès, décrit à travers « Colossus » et « Rusty« . Il partage un moment de vie privée sur le jazzy « Lone » en racontant comment il a vécu la disparition de sa grand-mère. On découvre le long de Wolf d’autres facettes du garçon et la confirmation de son potentiel, en évitant de justesse l’auto-caricature. Plus musical et accessible, il permet de l’autre côté à Goblin de davantage conforter son statut d’album culte, comme celui qui a définitivement lancée le mouvement Odd Future avec le souvenir indélébile qu’il a laissé.