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Entretien avec Margarethe Von Trotta

Par Mickabenda @judaicine
margarethe-trotta

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, Hannah Arendt n’est pas un biopic, ou biographie filmée. Le film de Margarethe Von Trotta se concentre sur une période relativement courte de la carrière de la philosophe allemande naturalisée américaine : sa couverture, pour le compte du magazine américain The New Yorker, du procès à Jérusalem du criminel nazi Adolf Eichmann (1961), et ses conséquences. (Sortie du film le 24 avril)

Qu’est-ce qui vous a enthousiasmé concernant Hannah Arendt ?

La problématique de la réalisation d’un film sur une philosophe. Comment regarder une femme dont l’activité principale est la pensée. J’ai bien évidemment eu peur de ne pas lui rendre justice. La représentation cinématographique a donc été bien plus complexe que celle de Rosa Luxemburg, notamment. Ces deux femmes étaient extrêmement intelligentes, dotées d’une forte personnalité, capables de relations amicales et amoureuses et toutes deux intellectuelles, provocant tant par la pensée que par le verbe. La vie d’Hannah Arendt n’a pas été aussi dramatique que celle de Rosa Luxemburg – elle n’en a pas moins été importante et touchante.

Pourquoi avez-vous choisi de centrer le film sur le procès Eichmann de 1961 ?
Nous voulions raconter l’histoire d’Hannah Arendt sans réduire l’importance de sa vie et de son œuvre, sans pour autant avoir recours à la biographie tentaculaire classique. Après avoir soupesé toutes les options, l’idée de se focaliser sur les quatre années pendant lesquelles elle a travaillé sur le rapport et sur le livre Eichmann s’est imposée comme une évidence pour dépeindre au mieux la femme et son œuvre. La confrontation entre Hannah Arendt et Adolf Eichmann nous a permis non seulement de mettre en exergue le contraste inouï entre ces deux personnages, mais aussi de mieux comprendre les années sombres de l’Europe du 20ème siècle. Hannah Arendt a fait la fameuse déclaration suivante, « Personne n’a le droit d’obéir ». Avec son refus catégorique d’obéir à quoi que ce soit d’autre que ses propres connaissances et convictions, elle ne pouvait être plus différente d’Eichmann que quiconque.

Vous avez pu rendre de manière précise le personnage “non-pensant” d’Eichmann par les images d’archives en noir et blanc du procès.
On ne peut montrer la vraie « banalité du mal » qu’en observant le vrai Eichmann. Un acteur ne peut que déformer l’image, en aucun cas il ne pourrait la préciser. En tant que spectateur, on pourrait admirer la grandeur d’interprétation de l’acteur mais ce serait au détriment de la médiocrité d’Eichmann. Eichmann était incapable de formuler ne serait-ce qu’une phrase grammaticalement correcte. Il était incapable de penser de façon sensée à ce qu’il faisait et cela transparaissait dans sa façon de parler. Il n’y a qu’une scène avec Barbara Sukowa qui a vraiment lieu dans la salle d’audience et dans ce cas précis, parce qu’il fallait avoir recours à un acteur, on ne voit Eichmann que de dos. Nous avons filmé toutes les autres scènes de la salle d’audience dans la salle de presse, là où le procès était en fait retransmis sur plusieurs moniteurs. De cette façon, nous avons pu utiliser le vrai Eichmann, par le biais de séquences d’archives pour tous les moments clé.
Vous terminez le film par un discours d’Hannah Arendt de plus de huit minutes, véritable morceau de bravoure pour l’actrice. Pourquoi ce choix audacieux ?
De nombreuses personnes pensaient qu’un film sur Hannah Arendt devait s’ouvrir sur un discours. Or, il commence par une conversation entre amies qui parlent de leur mari. Nous voulions que le discours final incarne le moment où le public comprend les conclusions mises en évidence par la pensée d’Hannah Arendt.
Ce n’est qu’après l’avoir vu se forger un avis sur le personnage d’Eichmann et vu les nombreuses attaques tellement virulentes et bien souvent injustifiées dont elle a fait l’objet que l’on a envie de l’écouter si longuement. Le charme de sa personnalité et de sa pensée a d’ores et déjà opéré.

 
Filmographie sélective de Margarethe Von Trotta

1975 : L’HONNEUR PERDU DE KATHARINA BLUM

1981 : LES ANNÉES DE PLOMB

1986 : ROSA LUXEMBURG

1995 : LES ANNÉES DU MUR

2003 : ROSENSTRASSE

2006 : JE SUIS L’AUTRE

2009 : VISION

2012 : HANNAH ARENDT

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