Juan Gelman
Poète argentin qui a choisi le camp du peuple contre les dictateurs
El poeta Juan Gelman, resistencia a la dictadura argentina
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Juan Gelman, poète argentin né le 3 mai 1930 à Buenos Aires, est l’une des plus grandes voix actuelles de la poésie latino-américaine.
Né à Buenos Aires, à Villa Crespo, quartier à l’identité juive fortement marquée, Juan Gelman est le troisième enfant (le seul né en Argentine) d’un couple d’immigrants juifs ukrainiens, Joseph Gelman et Paulina Burichson. Il apprend à lire à 3 ans et écrit ses premiers poèmes d’amour à huit ans ; il sera publié pour la première fois à onze ans (1941) par la revue Rojo y Negro.
À quinze ans il adhère à la Federación Juvenil Comunista (Fédération des Jeunes Communistes). En 1948 il entreprend des études de chimie à l’Université de Buenos Aires mais les abandonne rapidement pour se consacrer pleinement à la poésie.
Le groupe « El pan duro » et la nouvelle poésie (1955-1967)
En 1955 il fait partie des fondateurs du groupe de poètes El pan duro (Le pain dur), composé de jeunes militants communistes qui proposent une poésie engagée et populaire et adoptent un fonctionnement coopératif pour la publication et la diffusion de leurs œuvres. En 1956 le groupe publie son premier livre, Violín y otras cuestiones.
En 1963, sous la présidence de José María Guido, il est emprisonné, ainsi que d’autres écrivains, pour son appartenance au Parti Communiste. Après sa libération, il abandonne le Parti Communiste pour de rapprocher de certaines tendances du péronisme révolutionnaire.
Avec d’autres jeunes gens en rupture avec le Parti Communiste comme José Luis Mangieri y Juan Carlos Portantiero il fonde le groupe Nueva Expresión (Nouvelle Expression) et la maison d’édition La Rosa Blindada (La Rose Blindée) qui diffuse des livres de gauche refusés par le communisme orthodoxe.
Juan Gelman journaliste
En 1966 Juan Gelman se lance dans le journalisme. Il sera rédacteur en chef de la revue Panorama (1969), secrétaire de rédaction et directeur du supplément culturel du quotidien La Opinión (1971-1973), secrétaire de rédaction de la revue Crisis (1973-1974) et rédacteur en chef du quotidien Noticias (1974).
Militantisme au sein d’organisations de guérilla
En 1967, pendant la dictature militaire auto-dénommée Revolución Argentina (1966-1973) il adhère aux Fuerzas Armadas Revolucionarias (FAR), jeune organisation d’orientation péroniste-guévariste qui réalise des actions militaires et politiques contre le pouvoir. Fin 1973, les FAR fusionnent avec les Montoneros, d’orientation péroniste, et Juan Gelman jouera un rôle important dans l’action culturelle et la communication des FAR puis des Montoneros.
Exil
En 1975 l’organisation des Montoneros l’envoie en mission de relations publiques afin de dénoncer internationalement les violations des Droits de l’homme en Argentine sous le régime d’Isabel Perón (1974-1976). Alors qu’il réalise cette mission, survient le coup d’état du 24 mars 1976, point de départ de la dictature militaire auto-dénommée Processus de Réorganisation Nationale (1976-1983), qui met en place un régime de terrorisme d’état à l’origine de la disparition de 30 000 personnes. Mise à part une courte incursion clandestine en Argentine en 1976, Gelman reste en exil, résidant à Rome, Madrid, Managua, Paris, New York et Mexico et travaillant comme traducteur pour l’Unesco.
Les démarches effectuées par Gelman aboutissent à la publication en 1976 par le journal Le Monde de la première condamnation publique de la dictature argentine, signée par plusieurs chefs de gouvernements et hommes politiques européens parmi lesquels François Mitterrand et Olof Palme. En 1977 il adhère au tout nouveau Mouvement Péroniste Montonero en dépit de sérieuses divergences avec sa direction et, en 1979 il le quitte en raison de sa structure militariste et autoritaire, et en désaccord avec les contacts de la direction du mouvement avec des représentants de la junte militaire au pouvoir. Gelman, qui a exposé ses arguments dans un article publié par Le Monde en février 1979, sera accusé de trahison et condamné à mort par le mouvement Montoneros.
sud-américains
est-il parti à travers l’air ou était-il une invention de gorge verte ?
Isidore Ducasse de Lautréamont est parti à travers l’air ou était :
une invention de gorge verte un Isidore de l’autre amour
qui mangeait des visages pourris mélancolies désespoirs peines toutes blanches tristes rages
et dressait ensuite son courage et remplaçait l’infortune par l’une ou l’autre clarté
le sud-américain mag- nifique aux algues dans la bouche où trouvait-il des clartés ?
il les trouva sur des visages pourris mélancolies désespoirs peines
toutes blanches tristes fureurs qui lui touchèrent le coeur
comme on dit le pourrirent désespéré attristé on le vit
comme un petit oiseau au coin de Canelones et
Boul’ Mich’ promenant la Mélanco Lie comme une fiancée pure
dissimulant des viols commis dans le quartier
« oh douce fiancé » lui disait-il la clouant contre ses bras ouverts
et une sorte de mer lui sortait par le regard par la bouche
par les poignets par la nuque « voyons comment tu meurs »
lui disait-il « ma belle » lui disait-il
pendant qu’il l’aimait spécialement et la désarmait à Paris
comme une fête comme un feu hier continue de crépiter
dans une chambre de Poissonnières qui sent la sueur américaine
ea Ducasse Lautréamont montévidéen ea ea eu vide o montede
ta mort pareille à une boule d’or une chaleur dégainée
la tristesse décapita la fureur apaisa il est parti à travers l’air
ou était un Isidore Ducasse mort cette fois-ci seulement
ou comme pluie d’un autre amour mouilla Notre Dame de la Commune armée et aimée
avec la beauté qui montait de sa gorge vert pourri
en mille neuf soixante-sept par le ravin des perroquets
on l’entendit presque voler ou il semblait crépiter contre la forêt trouée
les désespoirs du pays les mélancolies les plus grosses
mais ce fut l’autre qui tomba cette fois-ci seulement
pendant que Ducasse se reposait dans un campement d’ombres
Extrait d’Obscur ouvert, éditions PHI, 1997