Claude Lévêque, Un instant de rêve, 2013, Courtesy de l’artiste et Kamel
Mennour, Paris
Le point commun aux cinq expositions qui viennent de s’ouvrir à la Maison Européenne de la photographie est justement qu’il ne s’agit pas de photographie pur jus. Les artistes choisis utilisent la photographie pour enregistrer leur quotidien (Claude Lévêque), capturer les grands et petits personnages du monde de l’art (André Morain). D’autres, tel que Philippe Favier, détournent les images capturées qui deviennent support mais non œuvre tout comme Atsunobu Kohira qui propose une installation autant visuelle que sonore. Gustavo Speridiao s’intéresse davantage à la photographie historique qu’esthétique et les trois artistes regroupés dans l’exposition thématique « images et musique » permettent surtout aux visiteurs de découvrir une œuvre musicale et un compositeur grâce à l’image et non l’inverse.
L’intérêt premier d’un tel rassemblement devient par conséquent sociologique ce qui est tout à fait pertinent à une époque où la photographie est utilisée par tous à tout moment.
Le troisième étage regroupe les innombrables images du plasticien Claude Lévêque. Elles m’ont beaucoup plu et même touché car, connaissant son travail, j’y ai vu ses diverses inspirations. J’ai également reconnu ses thèmes de prédilection et je dirai même sa façon de regarder le monde faite de poésie et parfois de trash. Le travail de monstration de ces « vues du monde » est parfaitement dosé. Une judicieuse sélection a été opérée pour le plus grand plaisir du public, est ainsi évité le défilement d’images ad nauseum. De plus, le dispositif est composé de petites projections donnant une ambiance assez intime qui colle parfaitement avec ces images. Un instant de rêve, le titre de cette exposition monographique, ne me semble pas être une antiphrase comme le prétend le commissaire Michel Nuridsany, mais plutôt un reflet de la vie ni trop embellie ni trop enlaidie. Une vision assez juste finalement. Bourdieu parlait de la photographie amateur, qui s’est développée dans les années 1960, comme d’un art moyen. Nous n’en sommes ici pas très loin cependant il n’y a pas là matière à débat car l’artiste ne se revendique nullement photographe et ses images sont présentées pour ce qu’elles sont. Des clichés sans valeur particulière prises tous les jours sans volonté esthétique, le but est d’avoir une sorte d’aide mémoire pour l’élaboration de ses œuvres. Ces photographies participent donc au processus créatif de l’artiste, c’est un matériau pour son art. N’oublions pas que si le regardeur fait l’œuvre, célèbre formule de Marcel Duchamp, la volonté de l’artiste est encore plus importante pour le statut des œuvres créées.
Autre étage, autre regard. Celui d’André Morain est aussi lié à la mémoire car sa volonté affichée est de mettre en avant ces hommes et ces femmes qui œuvrent dans le monde de l’art. Artistes, institutionnels, galeristes, ce microcosme parisien souvent détesté car jalousé, est ici photographié avec beaucoup d’empathie. Je dois moi-même sûrement vieillir car peu de visages m’étaient étrangers. Un vieux monsieur, habitué des vernissages et parlant fort, disait reconnaitre tous ses amis et critiquait gentiment l’embourgeoisement des artistes. André Morain est comparé à Cartier-Bresson, je n’irais pas juste là, il manque ici un peu de mordant et là quelque impertinence. Il n’empêche que c’est très plaisant d’observer tout ce beau monde, on ne se sent pas dans la peau d’un voyeur parce que justement André Morain ne prends pas ses sujets au piège. Laissez-vous tenter par la curiosité et la bienveillance d’un monde qui en a si peu, regardez Jean Nouvel avant sa calvitie avec Andrée Putman toujours aussi souriante et Pierre Restany happé par l’Origine du Monde de Courbet. Celle qu’il ne faut absolument pas manquer, c’est Iris Clert de dos dans une ruelle, qu’on qualifierait aujourd’hui d’insalubre, portant les allumettes géantes de Raymond Hains. Serait-ce une métaphore du monde de l’art ?
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Maison Européenne de la photographie
5-7 rue de Fourcy Paris 75004
M° Saint Paul
Claude Lévêque, Un instant de rêve
Gustavo Speridiao, Géométrie. Montage. Equilibrage
André Morain, Photographies 1961-2012
Images et Musique, une collection d’Actes Sud
Atsunobu Kohira, Ouverture de Bombyx Mori
Stéphane Hette, Art of butterfly (vitrine de la MEP)
Toutes les expositions se tiennent jusqu’au 16 juin.
Christelle