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Battle Royale - Koushun Takami

Par Anaïs

Battle Royale - Koushun Takami
Auteur :Koushun Takami.Langue originale :Anglais. Traduction : Patrick Honnoré / Tetsuya Yano / Simon Nozay.Éditeur : Calmann-Levy.Date de parution :2006.Pages :567.Prix :24€.
Battle Royale - Koushun Takami
Ce qu'en dit l'éditeur 
Programme [program] n. m. :
[...] 4. Depuis 1947, simulation de combat exécutée à des fins de défense nationale par les forces terrestres d'intervention rapide de notre Nation. (Nom officiel : "Expérimentation militaire du Programme 68".) Chaque année, cinquante classes de troisième choisies au hasard parmi l'ensemble des collèges du pays y participent. Le déroulement de l'expérience est très simple en lui-même : laisser se battre entre eux les élèves d'une classe jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul survivant, l'objectif étant de recueillir diverses données statistiques sur le temps mis par le champion à exterminer le reste de la classe ; le Programme constitue à ce titre un élément essentiel de notre souveraineté nationale et de la politique de défense de notre pays. Le survivant de chaque classe (appelé le/la champion/ne) gagne le droit de vivre aux frais de l'État jusqu'à sa mort [...].
"Battle Royale évoque un riff de guitare follement divertissant, mélange improbable du jeu Survivor et d'un combat de catch. À moins que Battle Royale ne soit juste complètement fou."
Stephen King

Avertissement : Battle Royale peut générer des troubles momentanés dans votre quotidien (cauchemars, insomnies, nausées). Chez certains lecteurs, cet ouvrage peut également occasionner un dédoublement fonctionnel : assurez-vous donc que vous pouvez lire en vidant votre lave-vaisselle, en vous brossant les dents, en marchant (!) – liste non exhaustive – avant de vous lancer.

Vous l'aurez sans doute compris, Battle Royale exerce une attraction hors du commun. 

Il agit sur l'humain comme un aimant dont les pôles seraient différents – oui car je rappelle que les pôles identiques, eux, se repoussent et je ferme cette parenthèse électro-magnétique avant de perdre définitivement votre attention. Il est donc absolument impossible, et ce bien qu'il ne soit pas exempt de défauts, de le lire autrement qu'en le dévorant. 

Cette accoutumance résulte selon moi de la combinaison de deux éléments : une intrigue angoissante qui attise fatalement la curiosité morbide du lecteur (puisqu'il ne peut en rester qu'un, qui diable va s'en sortir ?) et une construction narrative plurielle qui alterne, à chaque chapitre ou presque les points de vue – construction qui semble d'ailleurs avoir le vent en poupe ces derniers temps  cf. Sorry ou encore Game Of ThronesBattle Royale repose, en conséquence, sur une structure sadomasochiste qui dépeint des personnages voués à mourir.

L'unique œuvre de Koushun Takami est donc indissociable d'une extrême violence : physique d'une part car l'auteur y décrit avec un réalisme mi gore mi glacial les différents meurtres, psychologique d'autre part car il y révèle avec une minutie particulièrement déstabilisante les réactions de tout à chacun face à une mort programmée. D'une certaine manière, Koushun Takami reprend la plus célèbre des interrogations littéraire ("To be or not to be, that is the question") mais y insuffle une intensité nouvelle : assassiner ou être assassiné ?   

Parce qu'il anéantit toute frontière entre victimes et bourreaux, Battle Royale livre, selon moi, avant tout une réflexion morale. Il oblige en effet à redéfinir complètement nos présupposés éthiques : est-il acceptable de tuer pour survivre (autrement dit, la fin justifie t-elle les moyens ?). Au gré des chapitres, Koushun Takami pose également la question la plus fondamentale en matière de relations humaines : peut-on – et surtout faut-il – avoir confiance ? Cette interrogation est d'autant plus cruciale que l'amour et l'amitié s'évaporent aisément dans un monde alternatif comme celui-ci.

L'auteur rend donc compte, à mon sens, d'une crise humaine généralisée mais pas que. En effet, Battle Royale est également un roman satirique qui analyse de manière acerbe les mécanismes sur lesquels repose une dictature. Il dénonce notamment l'acceptation tacite voire la passivité totale des citoyens qui, disons le clairement, tolèrent qu'un tel programme subsiste et tue leurs enfants. L'absurdité et la cruauté – les armes étant distribuées au hasard, certains doivent combattre avec des armes à feu, d'autres avec une fourchette... – font quant à elles indubitablement écho au nazisme et plus spécifiquement aux camps de concentration.

Cette chasse-à-l'homme se déroule en effet sur une île où cohabitent règle et désordre, un monde où la discipline temporelle, spatiale et hiérarchique coïncide étrangement avec un dérèglement total des valeurs, voire une absence totale de logique. Or il est vrai que si l'on s'attarde ne serait-ce que sur l'organisation de la terreur durant la Seconde Guerre mondiale – le sadisme mêlé à un semblant d'incohérence terrorisait d'autant plus les déportés – il semble que tout ait été régi à la perfection. Cette dualité permanente et propre aux deux univers renvoie donc, indirectement, au caractère ubuesque dont parle David Rousset dans L'Univers concentrationnaire pour qualifier les camps.

Afin sans doute d'édulcorer quelque peu cet univers, Koushun Takami glisse toutefois dans son roman pléthores d'amourettes qui confèrent, toutes, une tonalité "fleur bleue" au récit ce qui peut agacer les lecteurs les moins tolérants. J'ai également noté quelques invraisemblances telles que l'extrême maturité de certains personnages alors qu'ils n'ont que 15 ans ou encore la composition étonnamment diversifiée de la classe (prostituées, sociopathes, athlètes, McGyvers en devenir...). Autre bémol, le traitement assez stéréotypé des personnages (je pense notamment à Mitsuko Soma et Sho Tsukioka mais ne peux malheureusement pas vous en dire plus) et également à la psychologie du héros qui est, ô surprise, le rebelle-sportif-artiste (la totale quoi !).

Difficile toutefois d'en vouloir à un auteur dont le récit est parsemé de Bruce Springsteen ("Cause tramps like us, baby we were born to run"). 

À mi chemin entre le thriller, la dystopie et le roman gore, Battle Royale est donc un ouvrage singulier, à la fois naïf et cruel, qui parvient à à captiver de bout en bout – on doute jusqu'à la dernière page – et qui propose une réflexion éthique et politique résolument moderne. 

Un grand classique.

Le petit plus Peut-être (sans doute) n'avons-nous pas le même degré d'érudition mais Battle Royale fourmille de détails logistiques qui, jusque là, m'étaient en tout cas totalement inconnus : sortie des traditionnelles armes blanches ou du fusil à pompe, je n'ai en effet aucune connaissance spécifique en armements. J'ai donc appris l'existence de l'UZI, du Smith & Wesson ou encore du Cz 75 et me suis surprise à les "googler" pour en connaître les différences. Le roman de Koushun Takami a donc eu le mérite de m'intéresser à un sujet auquel, d'ordinaire, je suis totalement indifférente. Si vous n'avez pas d'ores et déjà un doctorat en la matière, il est donc fort possible que vous vous surpreniez à faire ces mêmes (fort instructives) recherches.
N'hésitez pas si :
  • vous pouvez survivre à une nuit blanche (autant vous prévenir, une fois ouvert, vous ne le lâcherez plus) ;
  • vous avez aimé l'esprit de 1984 ou encore de V pour Vendetta ;
  • la notion d'éthique vous intéresse ;

Fuyez si :
  • vous ne tolérez pas la violence (les morts sont, dans leur ensemble, particulièrement gores et cruelles) ;
  • les petites amourettes vous donnent de l'urticaire (au vu du nombre d'histoires de cœur et du ton quelque peu fleur bleue, votre lecture risque d'être laborieuse) ; 
***
Le conseil (in)utile 
Exceptionnellement, je n'ai pas un mais deux conseils pour vous. Le premier : ne lisez rien à côté car tout autre ouvrage risque de vous paraître bien fade en comparaison, notamment en termes de rythme – je suis d'ailleurs persuadée que c'est une des raisons qui a fait que je n'ai pas été happée par Sorry. Le second : dans le premier chapitre, si vous pouvez, prenez quelques notes générales sur les personnages ce, que vous ayez survécu à la lecture de Game of Thrones ou pas – et j'insiste sur ce point, oui Game Of Thrones est réputé pour être particulièrement difficile à suivre, au départ, mais ce n'est rien à côté de Battle Royale où, qui plus est, les prénoms et noms japonais se confondent aisément pour qui n'est pas familiarisé à la culture nippone – sous peine de perdre rapidement le fil

En savoir plus sur l'auteur

N'ayant pas trouvé d'informations complémentaires, je suis forcée de me contenter de ce qu'en disent les éditions Calmann-Levy : "né en 1969 à proximité d'Osaka, Koushun Takami a suivi des études de littérature avant d'exercer le métier de journaliste de 1991 à 1996, couvrant des domaines aussi variés que la politique, les faits divers et l'économie. Il se consacre depuis à l'écriture, travaillant aujourd'hui son second roman après avoir rédigé le scénario de Blitz Royale, manga faisant suite à son Battle Royale". À noter également, deux films ont été tirés de son roman en 2000 et 2003 : Battle Royale réalisé par Kinji Fukasaku et Battle Royale 2 : Requiem réalisé là encore parKinji Fukasaku mais cette fois-ci en collaboration avec Kenta Fukasaku. Ce livre s'inscrit dans deux de mes challenges : les 170 idées et le tour du monde.

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